Fini la Lune, maintenant on marche sur la bulle #13 : les Visions du futur, tonitruantes et audacieuses de Dargaud !

Ça y est, l’homme a marché sur la lune. Enfin, ça fait cinquante ans qu’il l’a fait mais ce souvenir inébranlable, cet exploit, a été transmis de génération en génération, faisant toujours autant rêver quand on lève les yeux au ciel. Alors que dans nos contrées francophones, Thomas Pesquet a ravivé l’intérêt de la conquête des étoiles et de la voie lactée, le Neuvième Art (comme le Septième) a réaffrété des vaisseaux dessinés à mettre sur orbite. Des successeurs de Tintin ou de Valérian, et tous les autres, dans tous les horizons et tous les genres. On ne sait pas si les extra-terrestres lisent des petits miquets mais les terriens, oui. L’été et les vacances nous ont définitivement lâchés mais les éditeurs continuent de nous mettre la tête dans les cieux.

Et, notamment, les Éditions Dargaud qui ont fait de la science-fiction, plus que jamais (enfin, c’est quand même l’éditeur de Valérian et Laureline!) avec une collection nommée « Visions du futur » et qui s’accomplit, sans faute, depuis mai. Cinq albums, tous différents, sont sortis, je les ai lus et voilà ce que j’en pense.

Aiôn… Technology

© Ludovic Rio chez Dargaud

Résumé de l’éditeur : Quand son vaisseau intercepte un message de détresse, Lexi Néel voyage déjà depuis plusieurs années à travers la galaxie, dans le système d’Alpha-Centaur, à une distance de 4,2 années-lumière de la Terre. Une procédure de réveil est enclenchée, réveillant Lexi. L’humanoïde chargé de veiller sur elle lui explique que le signal provient d’une colonie scientifique qui étudie certaines particularités de l’espace-temps. Ce centre de recherche est situé sur la petite planète d’AIÔN, proche du vaisseau : le protocole prévoit que le vaisseau doit porter secours à la colonie…

© Ludovic Rio chez Dargaud

Outch ! Voilà de quoi commencer en force une collection qui se veut visionnaire. Aiôn, c’est la redécouverte d’un auteur, Ludovic Rio, qui a souvent fait oeuvre en collectif ou dans des concepts audacieux (Façades, en pop up). Auteur d’un album sur la Zad en 2013 chez Vide-Cocagne, c’est dans un tout autre genre qu’il s’accomplit ici en tant qu’auteur complet et avec de la suite (temporelle) dans les idées.

© Ludovic Rio chez Dargaud

Aiôn, c’est un projet infiniment graphique et BD, utilisant des images qui marquent et de répétition. Piégeant le lecteur dans la persistance rétinienne mais changeant doucement l’angle pour emmener l’éternel recommencement vers une solution qui ne laissera personne indemne. Revisitant dans l’espace le concept de l’aventurière et du savant fou, Ludovic Rio livre un album, se rapprochant du format comics et ça lui va bien, avec de trois à six cases par planche, troublant, à la poésie crépusculaire (renforcée par les couleurs de Christian Lerolle), taiseux mais évocateur. Et qu’il faudra relire pour en comprendre les subtilités. Sans vraiment être sûr d’arriver au bout de celles-ci. Merveilleux commencement.

© Ludovic Rio chez Dargaud

Titre : Aiôn

Récit complet

Scénario et dessin : Ludovic Rio

Couleurs : Christian Lerolle

Éditeur : Dargaud

Collection : Visions du futur

Nbre de pages : 130

Prix : 16,95€

Date de sortie : Le 17/05/2019

Extraits : 

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L'(in)humain

© Diego Agrimbau/Lucas Varela chez Dargaud

Résumé de l’éditeur : Planète Terre. 500.000 ans dans le futur. Alpha est un psycho-bot, à savoir un robot psychologue d’aspect féminin. Elle est responsable de la santé mentale de Robert, un biologiste généticien qui a été envoyé depuis l’ère humaine pour relancer la civilisation disparue depuis des milliers d’années. Sur place et une fois réveillé, Robert ne pense qu’à l’arrivée de June, sa femme, avec qui il devrait commencer la repopulation humaine.

© Diego Agrimbau/Lucas Varela chez Dargaud

Aiôn ne pouvait que nous donner l’envie d’aller plus loin dans cette collection. Encore plus quand un de nos chouchous, Lucas Varela, en était l’artisan. Signe que l’espace fait voyager, c’est avec des auteurs argentins que le périple continue. Après avoir suivi le destin d’une War Bride jusque dans le Michigan, Lucas Varela (qui, dans un registre science-fictionnel, avait déjà signé Le jour le plus long du futur) prend un autre genre d’avion, pour aller plus loin, en compagnie de Diego Agrimbau au scénario.

Là encore, c’est une vraie histoire d’auteurs qui se dessine, en cinq programmes et autant de chapitres. Et des variations. La fin du monde n’aura pas lieu, elle a déjà eu lieu. Pour y pallier, les humains ont prévu le coup en envoyant, dans deux vaisseaux séparés, un couple de scientifiques pour repeupler une autre planète. Tout recommencer. Si Robert a bien atterri, aucune trace de June, sa partenaire, qu’il va chercher sans relâche sur cette terre hostile. Face à des singes tyranniques et violents, Robert va heureusement pouvoir compter sur les robots rescapés de l’aventure, complémentaires, chacun ayant une attribution particulière mais une capacité d’action bien sûr entravée par la volonté (et la folie) humaine.

© Diego Agrimbau/Lucas Varela chez Dargaud

Aussi Shakespearien que Kubrickien, Agrimbau et Varela trouve une fenêtre de tir particulière et fondamentalement originale. Difficile d’en dire plus tant l’histoire que les deux Argentins proposent est palpitante et se déroule en plusieurs phases. Nous avons d’ailleurs gommé une phrase du résumé proposé par l’éditeur qui, selon nous, spoilait un peu la première partie du récit. Varela est habile à faire surgir l’aventure et l’action sans négliger les moments cruciaux où les dialogues sont importants. Les couleurs restent peut-être un peu trop ternes mais collent puissamment à l’atmosphère délétère de cet album.

© Diego Agrimbau/Lucas Varela chez Dargaud

Parlant de la résilience et de la possibilité, voire de l’obligation, d’être désobéissant, même si notre condition va contre cette possibilité, l’ensemble de ce roman graphique est désarçonnant mais aussi sensé et se révèle en vrai acte de résistance. Et si, plutôt que l’humain, les robots sauvaient le monde ?

Titre : L’Humain

Récit complet

Scénario :  Diego Agrimbau

Dessin et couleurs : Lucas Varela

Traduction : Christilla Vasserot

Éditeur : Dargaud

Collection : Visions du futur

Nbre de pages : 140

Prix : 21€

Date de sortie : Le 30/08/2019

Extraits : 

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Univers ! et petites contrariétés

© Albert Monteys chez Dargaud

Résumé de l’éditeur : « Univers ! « est une série d’histoires de science-fiction, indépendantes, délicieusement drôles, et connectées entre elles. On retrouve pêle-mêle un dirigeant d’entreprise mégalomane qui a inventé une machine à remonter le temps et qui se décide à breveter l’univers entier depuis sa création, des voyages vers des planètes lointaines à la recherche d’autres espèces intelligentes, des désynchronisations temporelles, des robots qui nous aiment un peu trop, des insectes anthropomorphes, etc.

© Albert Monteys chez Dargaud

Sous un fourreau format comics, c’est en fait au format à l’italienne que se décline Univers !, et l’arrivée en francophonie de l’excellent Albert Monteys. Avec de courts récits capitalisant sur la science-fiction, les humains et les robots, l’Espagnol nous emmène à la découverte d’un univers barge et dangereux, peuplé par des personnages qui viennent donner de l’épaisseur à cet infini et son au-delà.

© Albert Monteys chez Dargaud

Avec un dessin dans la même veine que Mathieu Burniat, Monteys propose des pistes dans un esprit très hispanique, surréaliste. Sa volonté de scinder le tout, d’assembler le puzzle en amenant de nouveaux participants issus de classes différentes prend sens et permet justement de voir toujours plus loin. Si les cinq histoires rassemblées ici ne se valent pas et que celles de pure s-f sont finalement les moins spectaculaires, il y a au moins deux bijoux d’une force imparable et dans des tons différents dans ce premier recueil.

© Albert Monteys chez Dargaud

La première histoire, Le passé, c’est maintenant! propose ainsi de refaire le monde en profondeur. Une entreprise ne crachant pas sur le profit a en effet décidé de mettre en service des voyages dans le temps. Pour cela, elle doit engager un astronaute qui va devoir, sur une durée de dix-sept milliards d’années (une éternité et le temps de s’emmerder, mais quelques secondes seulement dans sa réalité), reconstruire, refaçonner le monde, depuis le big bang, en prenant soit de watermarker et de disséminer du product placement. C’est un travail de moine copiste qui attend Thomas: il a les pleins pouvoirs de création mais a l’ordre formel de créer ce monde de fiction à l’identique. Enfin, bon, de toute façon, personne ne peut l’entraver, alors pourquoi ne pas se laisser aller à quelques cocasseries ? Qui vont provoquer quelques secousses inattendues dans la cohérence spatio-temporelle chère à Marty et Doc.

© Albert Monteys chez Dargaud

La dernière histoire, À demain, Cristina!, est un monument d’absurdité, un chef d’oeuvre de poésie dramatique. Là encore, l’expérience a mal tourné et Cristina s’en sort saine et sauve mais en décalage. Elle vit dans l’avenir, elle voit l’avenir. Oh, quelques secondes tout au plus (six cases de BD), au début… Car le processus va s’accélérer. Et Cristina va de plus en plus s’éloigner, complètement handicapées. De quoi exiger à son entourage une refonte en profondeur de sa relation avec elle. Jusqu’à rendre toute vie impossible. Là encore, on ne sait trop comment un autre média que la BD aurait pu s’y coller. Résumer cette intrigue est d’ailleurs déjà bien compliqué, dans le cadre de cette chronique. Il faut le lire pour le croire. Monteys a réussi là quelque chose de grandiose et son dessin, son cadrage fait profondément corps avec ce qu’il raconte.

Série : Univers !

Tome : 1

Scénario, dessin et couleurs : Albert Monteys

Traduction : Denise Laroutis et Christilla Vasserot

Éditeur : Dargaud

Collection : Visions du futur

Nbre de pages : 196

Prix : 19,99€

Date de sortie : Le 06/09/2019

Extraits : 

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Tremen, l’extinction des mots mais pas de la connexion

© Pim Bos chez Dargaud

Résumé de l’éditeur : Dans un monde gris, futuriste et apocalyptique, un étrange voyageur et sa monture errent dans des terres désolées. Obligés de se recharger en énergie, ils ne peuvent toutefois pas rester trop longtemps éloignés de la civilisation. Bien que d’autres créatures y vivent, la ville se montre pourtant tout autant inhospitalière, vide et morne. Mais partout où passe le voyageur, les choses se dérèglent, les machines perdent la tête et sèment le chaos. Il lui faut alors quitter la ville et explorer à nouveau les vastes étendues grises, seul.

© Pim Bos chez Dargaud

Les hispaniques sont loquaces, voilà un peu de repos… Quoique… Dans Tremen du Néerlandais Pim Bos, tout ne passe que par l’image. Pas un seul mot, dans cette ère étrange, à se mettre sous les yeux. Dans cette cinquantaine de planches, tout est livré au ressenti, à l’appréciation et à l’interprétation du lecteur-spectateur. Là encore, je n’ai pas envie d’en dire trop.

Toujours est-il que les références s’entrechoquent et ajoutent au charme dément et tragique de cet album : Mad Max, Hopper, Moebius… Et Pim Bos qui lui aussi interprète tout pour livrer quelque chose de très personnel dans cette fuite sans fin et ce besoin qu’ont ces personnages d’avoir une connexion permanente. L’OVNI de cette collection dont le prélude avait été donné par un court-métrage.

 

Titre : Tremen

Récit complet

Scénario, dessin et couleurs : Pim Bos

Éditeur : Dargaud

Collection : Visions du futur

Nbre de pages : 64

Prix : 14,99 €

Date de sortie : Le 06/09/2019


Mécanique Céleste, du pain, des jeux et des despotes

Résumé de l’éditeur: Dans un monde post-apocalyptique – non loin de la ville de Fontainebleau (!) – Aster survit en marge de la cité agricole de Pan, avec l’aide de son ami Wallis. L’équilibre fragile de la communauté bascule à l’arrivée d’un émissaire de la puissante république militaire de Fortuna, qui exige le rattachement de Pan à Fortuna ainsi qu’un tribut de nourriture sous peine d’envahir leur cité par la force. Dos au mur, les habitants de Pan s’en remettent à la mystérieuse Mécanique Céleste pour arbitrer leur destin… Leur surprise sera de taille lorsqu’ils découvriront que l’avenir de leur cité va se jouer à… la balle au prisonnier !

© Merwan chez Dargaud

Pour terminer, du moins pour le moment, Merwan livre ce qui est l’album au plus grand format de la collection, le plus touffu aussi avec ses 200 planches. Mécanique céleste c’est un one-shot post-apocalyptique en deux parties. La première découvre les personnages, bien campés, et l’univers dans lequel ils baignent. Un univers de rationnement dans lequel les humains n’occupent désormais qu’une petite partie d’un monde que la nature et la montée des eaux (tiens donc) a envahi. Avec, toujours, comment pourrait-il en être autrement une fois qu’il est question de l’Humain, des luttes de pouvoirs, de la résistance et des dominateurs. Ce qui nous amène à la deuxième partie.

© Merwan chez Dargaud

L’impérialiste république Fortuna s’intéresse au Peuple de Pan et entend bien l’annexer et l’asservir. Pan ne fait pas le poids mais une astuce va peut-être lui permettre de jouer crânement ses chances de liberté : l’arbitrage par la mécanique céleste.

© Merwan chez Dargaud

Kézaco ? Un nom tarabiscoté pour signifier un jeu auquel on a sûrement tous joué dans la cour de récré (ou au cours de gym) et auquel on donnait, chez nous du moins, le nom de purgatoire. Soit une balle à la main, deux équipes sur le terrain et un but simple : éliminer l’équipe adverse en essayant de toucher ses membres avec la balle. Bien sûr, de ses règles universelles, diverses variantes ont été tirées et Merwan pousse le bouchon un poil plus loin en organisant deux manches et la possibilité pour les équipes de choisir le décor dans lequel ce jeu fatal va se dérouler.

© Merwan chez Dargaud

Habitué à Hunger Games ou à d’autres jeux de l’espace et de la science-fiction (Tron, par exemple), on ne s’attendait pas à ce que l’auteur revienne à un jeu aussi, comment dire, préhistorique. Et ça fonctionne à mort tant Merwan insuffle le mouvement et transforme cet album en gigantesque terrain de jeu et de démolition. C’est fun mais comme rien n’est gratuit, dans cette énième version de David contre Goliath, cela a du sens. Ah, si toutes les guerres se jouaient comme ça, à l’économie du sang, à grand renfort d’ingéniosité. À armes et balles égales.

Titre : Mécanique céleste

Récit complet

Scénario, dessin et couleurs : Merwan

Éditeur : Dargaud

Collection : Visions du futur

Nbre de pages : 200

Prix : 24,99€

Date de sortie : Le 27/09/2019

Extraits : 

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4 commentaires

  1. Albert Monteys, un dessin dans la même veine que Mathieu Burniat… ??? 🤔 Ce sont 2 styles qui n’ont strictement rien a voir entre eux, je souhaiterais bien que tu me dises ce que tu y vois de semblable… 😉

    1. Hello Kazekami, j’ai dit dans la même veine pas dans le même style :-p Mais oui, cet album (et notamment son début) m’a fait penser aux albums sur la physique quantique et Internet de Burniat. Dans la façon de gérer les couleurs, de dessiner les visages. Je trouve qu’il y a des ressemblances. Ce n’est que mon point de vue. Et ça n’enlève rien, que du contraire, à la maestria des deux 🙂

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