Le couperet est tombé : les vacances sont à notre porte. C’est loin d’être désagréable, ça va nous faire le plus grand bien. Mais c’est vrai qu’on aurait tellement aimé encore vous parler de quelques albums de BD avant le grand départ. Alors, voilà une petite sélection tous azimuts de quelques albums que vous pouvez glisser dans vos valises, sans problème (sinon le poids de celles-ci).
L’été en pente douce de Jean-Christophe Chauzy
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On avait laissé Jean-Christophe Chauzy dans une montagne en train de s’ébrécher (d’ailleurs, on espère qu’il donnera une suite au Reste du monde). Cette fois, ce sont les relations humaines qui s’ébrèchent. Sous un soleil de plomb, car, c’est connu depuis Audiard, les fêlés laissent passer la lumière. « Les gens, ce qu’ils aiment bien, c’est quand ça se termine bien ». Il y a trente ans, la radieuse Pauline Laffont se révélait un peu plus dans L’été en pente douce de Gérard Krawczyk et elle ne pensait pas si bien dire. Sauf que rien n’allait bien se terminer. C’est encore vrai dans cette adaptation-anniversaire de Jean-Christophe Chauzy. On y retrouve le triangle amoureux et le péché originel (Fane et son frère simple d’esprit, Mo, ainsi que Lilas, sa compagne rachetée à un homme qui ne la méritait pas et ayant hérité, dans ce coin de France profonde, d’une retraite formidable) coincé entre deux garages appartenant à un couple, lui aussi, en train de « battre la campagne ». L’été, caliente, aidant, au-delà des regards lancés par le reste du village, les langues vont se dénouer et les épaules (et le reste) se dénuder dans une ambiance moite et sensuelle.

Au roman de Pierre Pelot, Chauzy apporte son dessin caniculaire et irrésistible pour s’affranchir du film et proposer sa version des choses de la vie, pas toujours favorables au destin absurde des humains. Encore plus quand ceux-ci ne sont pas des tendres.

« L’été en pente douce », Pierre Pelot et Jean-Christophe Chauzy, Fluide Glacial, 110p., 18,90€ (sorti le 07/06/2017)
Michigan, sur la route d’une War Bride
Il y a un peu plus de septante ans, au sortir de la guerre, près de 200 000 Européennes ont quitté leur patrie et leur pays pour suivre un soldat américain, un GI comme on les appelle. Une façon de vivre leur rêve américain avec les yeux de l’amour, envers et contre cet océan qui les séparerait de leur ancienne vie. Parmi celles-ci, il y avait ma grand-tante mais aussi celle de la compagne de Julien Frey. C’est son destin entre hier et aujourd’hui, au coeur du Midwest et du Michigan, que le scénariste raconte dans Michigan, sur la route d’une War Bride.

Ou comment un Milky Way va influencer le cours d’une vie, le cours de plusieurs vies. Pour ces vacances longue durée en Amérique, Julien Frey a trouvé un allié de choc en la personne du redoutable et remarquable dessinateur argentin Lucas Varela (dont le terrible Jour le plus long du futur nous émeut encore). Le mal de l’air et de l’avion en moins, nous voilà ainsi découvrant cette Amérique sous le filtre d’Odette, cette ancienne Parisienne à la trempe bien affirmée et sous la curiosité de Julien qui, en raconteur qu’il est, voit là un formidable récit à partager.

Des petites histoires, des anecdotes qui forment peu à peu une trajectoire de vie sublimée par les choix graphiques simples mais de toute beauté de Lucas Varela qui allie humour et grande sensibilité. Dieu, que cette Amérique-là, à visage humain, faite de différences d’origine, est belle et touchante.

« Michigan, sur la route d’une War Bride », de Julien Frey et Lucas Varela, Dargaud, 148p., 19,99€, sorti le 07/04/2017.
Giant
Une radio grésille et balance ses infos, et nous voilà en train de faire un nouveau bond en arrière, dans un autre rêve américain moins charmant. Nous sommes en 1932 et New York City dresse ses buildings. Et, notamment, du côté de ce qui sera la tour du Rockefeller Center. Et il n’y avait pas que des Indiens qui se hissait au sommet de ces monstres de fer. Ainsi, c’est tout un microcosme aux origines multiples qui affrontent le vide et s’impose un rythme effréné en s’efforçant de ne pas tomber.

Parmi ceux-ci, dans le lot d’Irlandais ayant fui les répercussions de la guerre civile. C’est dans les pas d’un de ceux-ci, l’enjoué et naïf Dan Shackelton, que nous invite Mikaël dans son nouveau récit qui tutoie les cimes dans la forme comme dans le fond, dans les vapeurs de la ville et au-delà, entre un rêve américain qui ne ressemble pas vraiment à ce qu’on s’était imaginé et les terres irlandaises qui le conçoivent encore à l’état pur.

Par l’intermédiaire de Dan Shackelton, Mikael va approcher un personnage encore plus subjuguant que cette tour de folie qui se rêvait géante. Giant, c’est d’ailleurs ainsi que se prénomme ce titan mystérieux et taiseux que l’exubérant Dan va peu à peu faire se découvrir. Car la solitude de Giant l’a poussé à entretenir une correspondance avec la femme d’un de ses compagnons d’escalade qui a trouvé la mort. Un jeu ambigu qui va se retourner contre cet Irlandais qui a le coeur sur la main.

C’est à un ouvrage colossal et fascinant que se livre Mikaël, saisissant pleinement toute la potentialité de cet univers, répercutant ses bruits (les « Ratatatatat » qui vous perce la tête à longueur de journée), saisissant sa dangerosité et toute sa profondeur sur des teintes sombres et ombragées comme si le désir de hauteur de l’homme allait lui apporter les couleurs. Une première partie de diptyque qui, loin de tomber de haut, tombe sous le sens tant la fresque est superbe.

« Giant« , de Mikaël, Dargaud, 64p., 13,99€, sorti le 02.06/2017
La Fabrique des corps
Si vous partez en vacances, faites bien gaffe à ne rien vous casser. Pire, à ne pas perdre un de vos membres. Je sais, c’est gore. Mais, au moins, ça nous met en situation pour entrer dans La fabrique des corps, deuxième volume de la collection Octopus dirigée par Boulet aux Éditions Delcourt. Après être parti à la conquête de l’espace, on revient donc plus terre à terre avec la toute jeune autrice, Héloïse Chochois.

Après avoir prouvé sur le net qu’elle avait le trait et la fibre scientifique, voilà qu’elle publie son premier album consacré à l’un des champs scientifiques en constante mutation : celui qui vise à réparer les humains. Vous vous souvenez du Dr. Connor dans Spiderman ? Celui qui s’est transformé en lézard en voulant faire repousser son bras ? Hé bien, ce n’est plus de la science-fiction, et désormais, non content de réapprendre à vivre avec une main ou un pied en moins, l’humain peut aujourd’hui se parer de prothèses de plus en plus performantes.

Avec comme guide de luxe Ambroise Paré, Héloïse suit ainsi le parcours du combattant adouci par les progrès de la science d’un jeune victime d’une collision entre son scooter et un cerf à l’orée du bois. Ça fait mal tout de suite et voilà qu’il se réveille amputé de son bras gauche. Passé la surprise, mauvaise et glaçante, le voilà totalement acquis à la cause d’Ambroise Paré qui va lui faire découvrir la Fabrique des corps du Mésolithique à notre futur proche et à son humain augmenté. Faisant de l’épreuve une grande promenade dans les dédales de la science de Vésale, Héloïse Chochois allie l’intime de l’expérience personnelle de cet homme au corps brisé (avec ce que cela comporte d’acceptation, d’habitude et d’attente avant de retrouver pleine possession de ses moyens) à la grande histoire d’une science méconnue mais peut-être encore plus essentielle à l’heure où les guerres déchiquettent et explosent les membres.

Le regard d’Héloïse n’est pas pour autant faussé et irraisonné puisqu’il est aussi question des limites et des craintes liées à une telle pratique de renforcement de l’humain meurtri. La dessinatrice qu’elle est trouve un graphisme efficace pour ce cours magistral sans doute un peu trop conventionnel et technique que pour prendre la mesure de ce sujet complexe. Impossible de tout retenir, donc, mais voilà un nouvel exemple de tout ce que la BD peut nous apprendre en un minimum de textes et un maximum de dessins.

« La fabrique des corps. Des premières prothèses à l’humain augmenté », Héloïse Chochois, Delcourt, coll. Octopus, 160p., 18,95€, sorti le 07/06/2017.
Napoléon, empereur et sans reproche
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Lui, aussi, peut se vanter d’avoir fourni à l’Histoire bien des champs de bataille sur lesquels des hommes se sont trouvés démembrés. Napoléon, le terrible, l’insatiable mais aussi… « votre flétrissure », « votre ventripotence » ou encore « votre impuissance ». Avec un personnage comme ça, comme l’Histoire laisse de la place à l’humour, on ne peut que s’en donner à coeur-joie. Et c’est ce que font, sans se priver, Lapuss et Stédo (qui, même sans Les Pompiers, ne peut s’empêcher de péter des flammes). Deux matadors pour un empereur qui perd de sa contenance et de sa prestance pour devenir un vrai héros de BD avec son nez pointu, la taille d’Astérix mais le diamètre d’Obélix.

On rit beaucoup face aux péripéties et à la fougue de ce pathétique empereur mais on saisit aussi le supplément d’âme conféré par les deux auteurs qui varient les plaisirs (et les décors) en farfouillant dans les éléments véridiques de la vie de cet empereur incatalogable. Ainsi apparaissent son sosie, un certain Coluche sans oublier ses soupirantes et la délicate Joséphine. Un joli cocktail.

« Napoléon », t.2, « Empereur et sans reproche », Lapuss/Stédo/Lunven, Bamboo, 42p. (+ six pages de dossier), 10,60€, sorti le 07/06/2017
Croquemitaines, Livre 2

Après un premier tome glaçant et nous renvoyant à nos pires cauchemars, les deux vénérables et infernaux acolytes Mat Salvia et Djet clôturent leur diptyque consacré aux Croquemitaines, et aux dissensions de ce monde de brutes et d’ombres, à tombeau ouvert. Et le petit Elliott dans tout ça doit bien se cramponner au Chien et au Père-la-Mort s’il veut avoir une chance de survivre dans ce monde ténébreux et lugubres.

Amis de l’hémoglobine, avec les chefs-coq Salvia et Djet, vous allez être servi. Le concept original est maîtrisé et les deux auteurs font feu de tout bois et de toutes les références. Sous influence, mais sortant du lot. Proposant des méchants Croquemitaines qui ont des allures de boss impitoyables dans un jeu vidéo prenant. Non, résolument, en ouvrant grand la porte de cette garde-robe d’où on craignait de voir apparaître un monstre carnassier, les deux auteurs réussissent une entrée fracassante et remarquée dans le monde du comics à la française. Avec en plus plein d’hommages et bonus de quelques grands auteurs actuels. On en bégaye, on en transpire, on en redemande !

« Croquemitaines », Livre 2, Mathieu Salvia et Djet, Glénat Comics, coll. « Original Graphic Novel », 128p., 17,95€, sorti le 31/05/2017.
La fille des cendres
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On termine avec ce qui avait été un vrai coup de coeur en septembre 2015 et qui l’est encore un peu plus avec la sortie du deuxième tome : La fille des cendres de la lauréate du prix Raymond Leblanc, Hélène V. Nourrie par la Rogues Gallery (des ballades pirates d’une compilation qui avait rassemblé John C. Reilly, Nick Cave, Sting ou encore Brian Ferry), la jeune autrice s’approprie ce monde qui lui appartient et mélange les frontières, les époques, le réalisme flibustier et le fantastique des grands monstres.
Dont un en particulier, le plus puissant, le plus sournois, Cétos, dont on n’a pas encore vu la couleur mais qui pèse de tout son poids sur cette histoire romanesque de pirates et de pacte avec le diable dont doivent désormais s’affranchir les héritiers. Et Harriett, la première, dotée d’un pouvoir inflammable. Est-ce pour ça qu’on est tout feu tout flamme à lire cette série ? Pas que, car Hélène V. possède d’indéniables qualités graphiques (pas si loin de ce qu’a fait Stéphane Melchior sur les Royaumes du Nord) qui, alliées au chant des sirènes, font mouche à tous les coups.

Mieux, on sent que cette raconteuse d’histoires se teste et teste ses envies et ses possibilités, composant des planches en vitraux, pour ne rien laisser au classicisme, comme si son album était lui-même un bateau. Hissez haut et chérissons ce parfum d’aventure formidable.

« La fille des cendres », t.2, « Le roi des démons », Hélène V., Le Lombard, 72 p., 14,99€, sorti le 09/06/2017
Voilà qui achève notre sélection. Et ne venez pas nous dire que vous n’avez rien à lire !
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