Si vous aviez loupé l’info, les incandescents cadavres de Feu ! Chatterton étaient à Floreffe en ce début du mois d’août pour Esperanzah ! et pour notre plus grand plaisir ! L’occasion pour nous de tailler une bavette avec Arthur et Sébastien, oiseleurs entre plantes vertes et infusion au thym !
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Bonjour Arthur, bonjour Sébastien. Alors, de retour en Belgique ?
Sébastien : Oui, on était à Spa il y a deux semaines, à Esperanzah ! aujourd’hui et on revient tout bientôt pour le Brussel Summer Festival.
Arthur : Et puis on a joué dans pas mal de salles aussi, l’AB, la Rotonde, l’Eden, etc.
J’espère que vous aimez la Belgique avec tout ça !
Arthur : Je ne sais pas si on aime la Belgique, mais en tout cas on aime les Belges, parce que les Belges sont chanmés ! La première fois qu’on est venus à Bruxelles, c’était à la Rotonde. Moi, je ne connaissais pas du tout la Belgique et je m’en faisais une idée un peu tristoune, le plat pays tout gris, bref quelque chose d’un peu chiant. Et en fait, j’ai tellement aimé, que je suis resté après le concert, j’ai été hébergé par une copine et je suis resté là une semaine. C’était génial !
Esperanzah !, vous connaissiez ce festival ?
Sébastien : On connaissait de nom, oui ! Un super pote de Raphaël, notre batteur, nous avait dit que c’était vraiment top, mais on ne connaissait pas vraiment le concept du festival, avec tout cet aspect associatif. Nous nous sommes un petit peu baladés tout à l’heure, c’est vraiment chouette, parce qu’à la différence des gros festivals, ici on ose mélanger tous les types d’art. Et, en plus, il y a un engagement pour des causes diverses et larges. Ça nous fait plaisir de jouer ici en tout cas !
Arthur : À la différence des gros festivals, on sent une réelle convivialité, une intimité même. Et j’ai appris que le nom du festival était un hommage à Manu Chao.
Ici, à Esperanzah !, on parle beaucoup de World Music. Finalement, la musique de Feu ! Chatterton elle peut s’inscrire dans cette World Music…
Sébastien : En fait, la World Music, on ne sait jamais vraiment ce que c’est !
Arthur : Si on prend la Black music par exemple, elle a donné naissance au blues, qui a donné la soul, le funk, le jazz, le rap,… Ce sont des styles de musique qui aujourd’hui influencent tout le monde, et nous en particulier ! Dans notre musique, il y a plein d’éléments de funk, que l’on adapte à notre manière. Donc il y a cette influence dans notre musique, mais pas plus que chez un autre, je pense ! On peut dire que depuis YouTube et tous ses algorithmes, il y a eu un mélange très universel de la musique. En fait, ce qui me dérange le plus dans le terme World Music, c’est qu’on l’utilise souvent pour caser ensemble toutes sortes de musiques traditionnelles. Or, quand on fait de la musique traditionnelle, on ne s’inscrit pas dans un style, mais plutôt dans une culture, une sorte d’hérédité où la musique est accompagnée de rites, de costumes…
Sébastien : Quand on y réfléchit, c’est quand même un peu bizarre de caser toutes les musiques d’ailleurs, un peu exotiques, dans la World Music.
Arthur : Là par exemple, il y a Muthoni Drummer Queen qui est en train de jouer, mais ce n’est pas de la World Music, c’est une Kenyane qui, avec sa sensibilité, fait un mélange de funk, de soul et de hip-hop ! C’est plus proche de Beyoncé que de la musique traditionnelle kenyane ! Après, pour ne pas voir que les côtés un peu moches et négatifs, il y a derrière la World Music une réelle volonté de fédérer, d’outrepasser les frontières, et ça, c’est joli comme idée !

Chaque année, Esperanzah ! s’articule autour d’un thème et pour cette édition, le festival invite à démasquer les privilèges. Qu’est-ce que cela vous évoque ?
Arthur : C’est un beau sujet ! Je prends un exemple tout bête que j’ai vécu pas plus tard qu’il y a deux jours en festival. Il faut savoir qu’en tournée, il y a Feu ! Chatterton, le groupe, puis toute notre équipe technique qui nous suit et sans qui notre spectacle n’existerait pas. Les douches de festivals, ce sont des Algeco, et là, il y avait les douches spéciales « artistes » et puis les autres. C’étaient les mêmes douches, sauf qu’on avait fait des distinctions. Et, je prenais ma douche, j’étais content de l’avoir pour moi tout seul, mais d’un autre côté, je ne pouvais m’empêcher de me demander ce qui nous distinguait de nos techniciens qui montaient le spectacle pour nous.
À part le fait que nous sommes sur le devant de la scène, il n’y a pas de différence ! Si tu ne te questionnes ces petits privilèges, c’est que tu acceptes l’idée que tu es supérieur par ton talent ou quelque chose. Ce sujet des privilèges est très délicat, surtout pour nous, les artistes parce qu’on a plein de privilèges. Mais il faut faire attention aussi ! Pour les loges par exemple, les gens vont penser que c’est un privilège, alors qu’en fait, nous vivons dans un bus la plupart du temps, c’est donc normal d’avoir un peu de confort et de repos quand on arrive le soir avant de monter sur scène. Mais, c’est vrai que nous sommes traités différemment ! C’est ça qui est étrange dans l’idée d’égalité ; on oublie souvent que certaines différences sont un moyen de contrer les privilèges. C’est subtil, car toute différence, n’est ni un privilège, ni un défaut !
Vous parliez des privilèges auxquels vous êtes confrontés dans votre vie d’artistes. J’imagine que ce ne sont pas les mêmes qu’il y a cinq ans et qu’ils ont bien évolué !
Sébastien : Complètement ! Déjà, au début, on jouait dans des bars donc on devait porter notre matériel, faire notre installation nous-mêmes, dormir à quatre dans une même chambre ! Maintenant, c’est vrai qu’on a un grand bus, des loges…
Arthur : En même temps, le fait d’être passé par ces étapes, ça nous fait réaliser la chance qu’on a. Est-ce un privilège ? Je ne pense pas ! On s’est battu pour avoir ça, on est toujours obligé de se battre parce qu’on pourrait le perdre à chaque instant.
Sébastien : Les gens s’imaginent que Feu ! Chatterton c’est la folie, mais ce n’est pas du tout ça !
Arthur : C’est vrai ! Parfois, on montre le bus aux gens et ils sont tout ébahis alors qu’en réalité, on n’a pas de douche, on dort dans une couchette hyper étroite… Et on est tous ensemble dans ce bus, mais ça, ça nous fait du bien ! Après avoir passé trois heures sur scène, dans le monde, à être acclamé par le public, quand tu retrouves ton bus avec tes copains, tu sais que ton métier, c’est d’être saltimbanque ! C’est un métier de circassien, tu prends la route et tu vas de scène en scène.
Sébastien : En réalité, l’époque de nos débuts, ce n’était pas si hardcore que ça ! C’est vrai qu’on dormait à trois dans une chambre, mais on avait la chance d’être sur la route et de faire notre musique ! Et pour moi aujourd’hui, la situation est finalement presque identique, on est quinze dans un bus, on est sur la route, on joue notre musique ! Nous, notre plus grand plaisir et notre seul privilège, c’est de se retrouver sur scène à pouvoir s’exprimer devant des gens et partager notre musique ! Pour moi, c’est ça notre plus grand privilège. Si chacun avait la chance de faire ça au moins une fois dans sa vie…
Arthur : Sur scène, tu peux te permettre de trouver facilement un espace d’épanouissement et d’harmonie ! Chacun a besoin de cet endroit, mais chez les autres gens, cet espace, ce la cuisine, le sport,… Nous, c’est sur la scène et c’est une chance !
Sur la scène et parfois en plein air ! On vous a vu démarrer dans des salles obscures, avant de vous ouvrir aux festivals. Qu’est-ce que ça a changé dans votre musique, dans votre façon d’appréhender la scène ?
Sébastien : C’est vrai que jouer en festival, c’est très différent ! Déjà, pour la simple et bonne raison que ce n’est pas notre public, en tout cas pas en intégralité ! On est face à une bonne moitié de gens qui ne connaissent absolument pas notre musique, c’est un public qu’il faut aller chercher dans un temps raccourci. Donc, forcément, notre set sera tout à fait différent ; on le construit de manière assez dense, tout en gardant l’émotion de certaines de nos chansons. Contrairement aux salles obscures, en festival, on va jouer des morceaux moins profonds, plus courts aussi puisqu’on a des chansons qui durent plus de dix minutes qu’on ne peut pas se permettre de jouer ! Au début, les premières tournées de festivals qu’on a faites, on a eu vraiment du mal à passer en extérieur ! On ne savait pas comment on devait organiser notre set pour choper le public.
Arthur : C’est vrai que c’est une dynamique tout à fait opposée. Quand on est en salle avec un public qui vient pour nous, on a déjà une certaine intimité, on peut créer lentement et dans une certaine délicatesse. Là, c’est autre chose, mais ça ne veut pas dire que c’est moins bien ! En fait, il y a plein de manières différentes de faire la même musique, je pense que c’est la première chose que l’on a apprise. Que l’on joue dans un bar, devant cinq cents personnes ou deux milles personnes, on va jouer les mêmes chansons, mais différemment. On ne peut pas figer une émotion dans une chanson, c’est impossible !
Les chansons sont en constante évolution du coup…
Sébastien : Totalement ! Dans le set de ce soir, on aura notamment des chansons avec des phases tout à fait improvisées. Après, c’est surtout l’ordre et la densité des titres qui vont tout changer, parce que c’est sûr qu’il y a certains morceaux qu’on va jouer tels quels en salle ou en festival.
Arthur : Ce qui change surtout, c’est l’intention qu’on va y mettre. Même dans cette idée de puissance, qui est un paramètre déterminant sur scène, c’est important d’être puissant, mais aussi de ne pas l’être ! Et de fait, avoir un espace ouvert devant soi, ça change la manière d’interpréter.

Est-ce que c’est une période de création ?
Sébastien : En ce moment, oui ! Notre dernier album est sorti en mars 2018, on s’est donc mis à travailler sur le prochain. Ça va prendre du temps, un an peut-être, d’autant plus qu’on est en train de travailler sur un autre projet en parallèle ! C’est donc une période assez fructueuse !
Ah bon, un autre projet ?
Sébastien : Oui (rires). C’est un film !
Et puis vous avez tout récemment sorti un vinyle avec quelques morceaux enregistrés en live. C’était important pour vous qui êtes un groupe de scène, de sortir ce disque ?
Sébastien : Oui, c’était important. On aurait aimé que ça soit plus conséquent encore !
Arthur : En fait, on a décidé ça un peu dans l’urgence, on voulait se faire plaisir. Il faut savoir que tous nos lives sont enregistrés, c’est notre ingénieur du son qui a pris cette initiative, et on le remercie ! Ça n’a donc pas été facile lorsqu’il a fallu dérusher tout ça, écouter les différentes versions, en être contents ou non et les choisir ensemble ! On est cinq, on est fous et déjà pour choisir ces quatre titres, ça n’a pas été une mince affaire. Il y en a d’ailleurs certains qui ont failli y rester mentalement. C’était comme un premier test et en réalité, on adorerait avant Noël prochain offrir à notre public un double live.
On va terminer la tournée et disparaître pour s’isoler à nouveau ; on aimerait bien laisser ça comme emblème de cette première période de notre vie d’artistes. Parce qu’après nos deux premiers albums, on sent qu’il y a quelque chose qui est en train de se clore.
Dans votre processus de création, qui du verbe ou de la musique vient en premier ? Il y a tellement de répondant entre les deux !
Sébastien : La question incontournable ! Il n’y a pas vraiment de règle établie en fait. Mais souvent ça commence par une ou deux phrases d’Arthur et quelques idées harmoniques. Après, en improvisant les deux, on va créer quelque chose. Ça, c’est le tout début d’une chanson. Mais, c’est vrai que sur le premier album, il y avait des morceaux pour lesquels toute la musique était écrite et il ne restait à Arthur qu’à écrire le texte.
Arthur : On travaille de moins en moins comme ça. C’est vrai qu’il y a longtemps, j’avais des textes finis sur lesquels il fallait poser toute la musique, ou l’inverse. Maintenant, on se connait bien, on se fait confiance et notre excitation c’est de pouvoir créer des morceaux tous ensemble. Inventer en même temps, allier les mots et la musique afin qu’on ne puisse plus distinguer l’origine de telle ou telle matière. À chaque fois, on se fixe un quota de quinze ou seize chansons pour à la fin en sortir une dizaine.
Nous sommes très intrigués par ce qu’il y a dans ton verre, Arthur !
Arthur : (rires) C’est du thym frais ! Comme tu peux le remarquer, j’ai la voix un peu… suave ! On a joué hier, avant-hier, et ma voix peut se fatiguer un peu, alors, j’ai mes techniques. J’ai tout essayé avant d’en arriver là : le miel, le citron,… Mais le mieux, c’est eau chaude et thym !
Une petite dernière question pour la route… Vous allez avoir le temps de profiter un peu du festival ?
Arthur : Après oui, bien sûr !
Sébastien : Moi, je l’ai déjà fait avant. Je suis allé voir le rappeur belge Veence Hanao avec le Motel. Puis, j’étais content d’apercevoir Muthoni Drummer Queen aussi ! Après, on aimerait bien aller découvrir les petits stands associatifs, les arts de rue, etc. Ils ont fait un boulot de dingue sur la programmation et tous les à-côtés, c’est impressionnant !
Merci à tous les deux !
Arthur : Merci à vous !
Interview réalisée par Alizée et Alexis Seny | Photos par Benoît Demazy
Et comme, vous le savez, entre Branchés Culture et Feu! Chatterton, c’est une histoire d’amour (dans la pinède ou ailleurs), retrouvez nos différents articles.
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