Samedi, Feu! Chatterton était à Bruxelles pour un second concert au Botanique, migrant cette fois vers l’Orangerie (compte-rendu ici). L’occasion pour nous de poser quelques questions à Clément et Raphaël, respectivement guitariste et batteur du groupe. Une très belle rencontre où on a parlé Français, forcément, peinture, interprétation et Bruxelles, ça va de soi.

Et c’est quelques heures avant le concert tant attendu que nous les retrouvons au Café Bota. Comme nous, quelques autres journalistes attendent le groupe qui a pris apparemment un peu de retard. Certains paraissent embêtés, mais pas nous, ce sont les aléas du métier et nous en profitons pour faire le tris dans les nombreuses questions que nous avons à leur poser – on sait déjà qu’on en aura de trop. Et, finalement, ils nous rejoignent…
Raphaël : Désolés pour le retard.
Clément : Oui, c’est une longue journée pour nous…
Aucun problème… J’imagine que les longues journées doivent s’enchaîner avec la sortie de l’album…
Clément : Il y en a pas mal, oui, mais celle-là, elle est particulièrement longue !
Bruxelles vous y étiez déjà venus pour les Nuits Bota, la première fois que vous découvriez la Belgique…
Raphaël : En tant que groupe, avouons-le !
Cette date, vous avait-elle marquée ?
Clément : Déjà, il y avait une ambiance particulière. Maintenant c’est cool de revenir exactement au même endroit, ça fait trop plaisir ! Et puis, de prendre un peu de gallon, de passer de… C’était quoi encore ?
Raphaël : La Rotonde.
Clément : C’est ça, de passer de la Rotonde à l’Orangerie, c’est assez sympa. Mais, il y avait déjà une super ambiance la dernière fois. C’était complet à l’époque, donc pour nous c’était assez impressionnant.
Raphaël : Il y avait vraiment une ambiance de fou ce soir-là…
Clément : On sent qu’il y a un accueil vraiment chaleureux des Belges. On a joué à Liège aussi, aux Ardentes. Dans une sorte de hangar, c’était assez spécial. Là, on revient et on a été très contents de voir que le concert était complet déjà un mois à l’avance.
Raphaël : Après, ça nous met une petite pression quand même. Vu que la soirée qu’on avait fait la dernière fois aux Nuits Botanique, on ne s’attendait pas du tout à cette ambiance. On sortait de France donc on ne savait pas vraiment si on était connu en Belgique ou pas. Et ce soir-là, il y a vraiment eu quelque chose qui s’est passé. Donc là on a une petite pression, on a l’impression d’être attendus alors que pour les Nuits du Bota, on ne l’était pas. Voila, il va falloir être bons !
Justement, le premier album vient de sortir, vous étiez déjà attendus depuis la sortie de l’EP. Comment gérez-vous tout ça ; les concerts sold-out, la rencontre avec le public, la nouvelle tournée… ?
Clément : Cette ambiance ça avait un peu débuté il y a un an, quand on avait déjà pris la route de la tournée, en octobre dernier. Et les surprises sont arrivées à ce moment-là. Les salles étaient beaucoup plus petites ; l’automne dernier c’étaient des salles de 100-200 places maximum et on était très surpris de trouver un public là-bas. Il y avait déjà à l’époque un très bon accueil. Et c’est vrai que maintenant, plus ça avance, plus les salles sont grosses et plus on est étonné que les gens viennent pour remplir ces salles. Mais on se sent bien ; fatigués et heureux…
Raphaël : La pression sur l’album qui était attendu, on ne la ressent pas trop en fait, parce qu’on ne peut plus rien faire. Il est fini, il est enregistré, il est là, après les gens aimeront ou pas.
Clément : Si, on ressent quand même un peu de pression. C’est un peu comme le résultat d’un concours, ou d’un examen sur lequel tu aurais bûché il y a deux mois.
Raphaël : On espère que les gens vont l’apprécier, c’est sûr.
Clément : Mais on ne peut plus rien faire !
Raphaël : Alors que les concerts, libre à nous de faire des concerts qui soient des moments vraiment forts ou alors de les rater complètement !
Ici le jour (a tout enseveli), premier album donc, pourquoi ce titre et pourquoi cette iconographie au niveau de la peinture qui a été choisie pour la pochette ?
Clément : Ici le jour (a tout enseveli), ça fait partie des paroles d’un des titres de l’album, qui s’appelle Les Camélias.
Raphaël : C’est l’ouverture des Camélias.
Clément : Voila c’est l’ouverture du titre qui clôt l’album.Il y avait ce paradoxe sur le jour qui est lumineux et qui est enseveli comme dans la terre. Et en fait, ce sont des paradoxes d’écriture qui sont utilisés dans tout le disque, c’est l’ironie qui est aussi présente dans tous nos textes et dans notre musique.
Pour ce qui est de l’iconographie, c’est un tableau d’Odilon Redon que nous aimons beaucoup. Il est tout simplement magnifique… On avait déjà utilisé ce type d’iconographie sur la pochette de notre précédent EP qui s’appelait Bic Médium. Sauf que là, c’était une composition personnelle: on avait trouvé une tête de mannequin dans la rue et on l’avait photographiée. Ici, évidemment on retrouve le personnage de la femme dans toute sa splendeur dont on parle tout au long du disque.
Raphaël : Après, c’est vrai qu’il y a le bleu. On a souvent discuté ensemble de la couleur qui pourrait caractériser notre musique, et c’est le bleu qui revient en dominance. Et un bleu assez sombre, parce qu’il y a certains aspects assez sombres dans notre musique. Et en même temps, comme l’a dit Clément, il y a toujours ce paradoxe ; il y a cette musique sombre et bleue, mais on a des envies et des expressions sur certains passages que l’on veut plus lumineuses. Donc le titre, comme ce tableau d’Odilon Redon nous résume assez bien.
Clément : Et on a utilisé des parenthèses, c’est peut-être une petite préciosité du nom, mais je pense que ça nous caractérise aussi pas mal, la ponctuation. Et les parenthèses permettent d’avoir une double lecture du titre, ce qui est également le principe du nom Feu ! Chatterton qui est un nom à tiroir duquel on peut sortir plusieurs lectures. On peut y voir « Ici le jour » tout seul et mettre l’autre information secondairement, ou alors prendre la phrase entière qui dévoile tout son sens.
Ce qui est fascinant dans vos textes c’est cette impression que chaque mot est précieusement choisi. Puis, qu’une fois interprétés, ces mots trouvent une vie et un écho dans la musique même. Comment est-ce que vous écrivez ? Comment mettez-vous en place la musique sur le texte ou l’inverse ? Quel est le processus ?
Clément : Arthur écrit les textes et les musiciens écrivent la musique. C’est relativement classique. Après, il n’y a pas vraiment de recette magique pour l’écriture des chansons. Parfois il y a une musique déjà assez poussée qui arrive en premier portée par l’un des membres, le texte arrive ensuite et les autres membres vont finir les arrangements. Parfois c’est un texte qui arrive en premier et qui va venir inspirer une musique. Parfois c’est un bœuf et c’est vraiment l’improvisation en groupe qui fait naître des débuts de chansons, des bouts de chansons, des choses qu’on garde ou pas. Parfois des textes ont été mis sur des musiques qui ont changé deux, trois, quatre fois jusqu’à avoir une version finale. Donc il n’y a vraiment pas de composition magique. Et plus on avance avec le groupe, plus on est finalement dans cet esprit d’ouverture où chacun peut proposer ce qu’il veut.
Après sur la façon de porter les mots, on a des textes qui sont souvent très précis, et Arthur, au fil des mois et des années, a beaucoup élagué dans sa façon d’écrire. Par exemple, les Camélias c’est un des derniers textes qu’il ait écrit et qui est vraiment très précis. On sent vraiment que chaque mot est choisi, ce qui est aussi le cas dans tout le reste de la chanson Bic Médium, et l’écriture est beaucoup plus charnue. Et après, nous, notre travail de musicien est d’essayer de porter au maximum chacun de ces mots, que chaque mot tombe juste et que les arrangements soient d’une précision telle que rien ne puisse aller phagocyter les mots. Voila, on essaye que tout ait une place absolument partout dans la musique.
Après, chacun de vos morceaux se caractérisent par une atmosphère particulière. Ils sont tous singuliers et il y a, aussi à l’intérieur de ces morceaux, des changements radicaux d’ambiance, comme par exemple dans La Mort dans la Pinède, ou dans Pont Marie. Est-ce que ça s’inscrit dans une volonté de toujours surprendre ?
Clément : Nous ce qu’on recherche en premier de toute façon c’est que nos chansons nous procurent une émotion. Donc, on ne veut pas forcément être dans la technique d’un rock progressif qui serait tout le temps à essayer de surprendre et faire des choses nouvelles à l’intérieur d’une même chanson. Mais en même temps, on garde quand même ça à l’esprit ; on aime que les choses évoluent. Je pense que nos modèles d’album nous inspirent, moi c’est Radiohead par exemple. C’est vrai qu’il y a des albums de Radiohead dans lesquels ils arrivent, tout en restant cohérent dans la production, à créer des univers qui sont totalement différents, avec des idées nouvelles d’arrangements, des idées d’instruments neufs à chaque titre. Et, je pense, que cette influence-là se ressent sur le disque.
Parfois, ce sont des heureux hasards aussi ! Quand tu parles de changements d’ambiance dans Pont Marie par exemple, c’est surtout sur ce refrain qui est planté deux fois dans le morceau. On a eu beaucoup de mal à trouver ce refrain, à trouver l’ambiance et finalement c’est ce côté assez lourd, assez rock qui nous a tout de suite plu quand on a essayé de le faire. On l’a intégré et puis voila, effectivement ça donne un espèce d’objet où les ambiances changent assez radicalement, mais finalement dans la production, dans la voix et dans le texte, on retrouve une cohérence qui permet de porter tout le morceau et d’en faire un vrai titre qui soit cohérent.
Raphaël : Puis, il y a des morceaux dans lesquels on recherche une vraie continuité où la rupture ne s’impose pas tout de suite. Au bout d’un moment, on sait que la durée d’une partie peut être très variable. Le moment où l’ennui arrive c’est assez mince en fait et quand il arrive, à ce moment-là, on sait qu’on a besoin d’une vraie rupture ou pas.
Dans la Mort dans la Pinède, c’est encore autre chose, c’est vraiment le contraste du texte lui-même qui a appelé ça dès l’origine, je pense. Et dans Pont Marie, on avait vraiment un besoin de sortir de cette atmosphère des couplets que l’on aimait beaucoup. Au bout d’un moment, il fallait autre chose et pourquoi pas une rupture ? Ça ne nous a jamais vraiment fait peur les ruptures, au contraire… Donc, quand on en a besoin, on les fait.
Clément : Dans la Mort, la rupture c’est surtout un truc dynamique et ça c’est quelque chose que l’on aime beaucoup, que l’on faisait surtout au début du groupe avec des morceaux comme Côte Concorde où La Mort dans la Pinède, où, pour moi, pour nous, l’ambiance reste quand même assez constante tout au long du morceau. Et on travaille vraiment sur la dynamique, sur les points les plus faibles en intensité et les points les plus forts. Et c’est vrai que les refrains de ces deux titres sont des pics de force et du coup, c’est aussi des choses que l’on adore jouer sur scène et qui d’ailleurs, à la base, viennent de la scène et ont ensuite été retranscrites sur les disques.
Il y a un morceau incroyablement halluciné, c’est Harlem. Avec cette critique presque journalistique (et même un peu gonzo) de tous ces touristes qui partent avant même d’avoir vu ce qui devait se passer. Au niveau musical, ça pourrait être sujet à interprétation et même à improvisation, non?
Clément : C’est le cas de le dire puisqu’en fait, c’est une musique qui a été plus ou moins improvisée ! On avait vraiment la base musicale de ce titre et puis, Raphaël et Antoine sont arrivés avec une idée de dub, reggae, soul hyper assis, hyper lourd pour venir porter la voix. Et au final l’arrivée des refrains, quand on le fait en concert, c’est de l’improvisation ! C’est quand Arthur a fini de faire son truc, boum, on arrive sur un refrain. On est complètement dans l’improvisation là-dedans.
Raphaël : C’est vrai que sur un morceau comme ça, suivre le texte demande déjà une certaine attention parce que ce n’est pas un texte très frontal. Il va dire quelque chose et puis après il part dans une toute autre direction… Donc, même si l’envie musicale est là, on fait plus de l’ornementation improvisée. On ne peut pas se permettre, je pense, avec un texte aussi dense, d’en plus rajouter des éléments d’improvisation musicale. Personne ne pourrait suivre. Soit on suivrait la musique, soit on suivrait le texte, mais les deux ensemble ça ne serait pas possible. Mais dans le souci de servir le texte on ne peut pas se permettre plus que des ornementations. Même nous, pour comprendre le texte que nous proposait Arthur dans son entièreté, on a du mettre quelque temps déjà, il faut l’avouer !
Clément : C’est un texte qui a été vachement découpé et modifié. Et là, pour le coup, je pense que ça doit être le dernier truc qu’Arthur ait écrit en studio, vraiment quand on était en train de faire le titre et il a dû virer des trucs. Finalement, Harlem, c’est la première ou la deuxième chanson qu’on ait écrite avec cette intention de faire du Feu ! Chatterton. Et puis, il se rend compte qu’il y a quatre ans, il n’écrivait évidemment pas pareil, il ne racontait pas les mêmes choses et ça c’est intéressant.
Justement, avec vos textes on redécouvre la beauté de la langue française, à l’heure où les jeunes groupes sont plus tentés de se lancer dans l’écriture en anglais. D’où vous vient cette envie de mettre le Français au cœur du projet musical, de le magnifier par le travail des mots et de le mettre en valeur par la musique ? Parfois, on a presqu’envie d’ouvrir un dictionnaire parce qu’on a oublié le sens d’un mot…
Clément : Clairement, et ça arrive souvent ! On se laisse surprendre aussi, et même… Arthur se laisse surprendre. Quand il cherche des mots avec des sens très précis, ce n’est pas une volonté d’être pédant, arrogant ou d’aller chercher des mots qui soient trop compliqués. C’est avant tout pour être juste par apport à ce qu’il veut raconter.
Raphaël : C’est ce qu’il disait d’ailleurs souvent à ce propos, c’est qu’on a la chance d’avoir une langue qui est quand même extrêmement riche et qui a justement cette capacité de précision incroyable. Peut-être même plus au niveau de la précision que l’anglais. En plus, vu que c’était sa langue, notre langue maternelle, je pense que l’idée de chanter en anglais ne nous est jamais venue à l’esprit ! Enfin, moi je n’étais pas là au tout début du groupe…
Clément : Mais on ne sest jamais dit, on va remettre le français au goût du jour. Ce serait assez orgueilleux de se dire ça. De l’histoire du groupe, il n’a jamais été question de ça. On s’est vraiment rencontrés au lycée, on a commencé à faire de la musique ensemble, d’abord avec Sébastien qui est l’autre guitariste. On était copains, Arthur était un copain aussi. Lui, il écrivait des textes mais il ne savait pas chanter donc il déclamait un peu, il faisait un peu de hip hop, mais pas grand-chose d’autre.
Au final, on a voulu essayer de mettre ses textes en musique et lui de son côté, voulait juste faire de la musique avec ses potes qui se marraient bien. En fait, il n’y a jamais eu de visée, d’ambition artistique d’essayer de remettre le français au goût du jour. Enfin, je te raconte ça, mais c’était déjà il y a treize ans et de fil en aiguilles, on ne s’est jamais posé la question avec Arthur, dans cette formation-là, d’aller chercher dans une autre langue.
Raphaël : Et puis, il faut l’avouer, les influences de chansons d’Arthur sont comme ça. Je ne pense pas qu’il ait écouté beaucoup de chanson française récente, par contre, c’est un peu mon cas aussi, il a énormément écouté Brassens, Brel forcément, Barbara, Montand, les reprises d’Aragon de Ferré et beaucoup de Gainsbourg et Bashung. Bref, tous ces gens-là qui maniaient déjà le français avec beaucoup de précision.
Et avec force au niveau de l’interprétation ! On retrouve vraiment un groupe d’interprétation à l’heure d’aujourd’hui où beaucoup poussent simplement la chansonnette.
Raphaël : C’est sûr que ce n’est pas de la chansonnette.
Et ça se retrouve également dans l’ esprit «hors format» des chansons, avec par exemple un Bic Médium qui dure treize minutes…
Clément : Sur les formats, on aime bien faire un peu ce qu’on veut par rapport à la musique et au texte. Si on a envie de faire du format single et que ça doit durer trois minutes et faire trois couplets, pourquoi pas ! C’est vrai que c’est une contrainte qui est intéressante. On le fait d’ailleurs avec plaisir sur la Malinche ou sur Boeing. Dans le cas contraire, si on a besoin de temps pour raconter une histoire, la chanson va durer sept minutes et il n’y a aucun problème avec ça. Comme c’est le cas avec Harlem ; on a besoin de temps pour poser les choses, pour rentrer dans cette façon qu’à Arthur d’être un conteur de son histoire, donc on n’hésite pas à le prendre.
Raphaël : Même Pont Marie elle est assez longue…
Clément : Mais c’est vrai que jouer avec les formats, c’est quelque chose qui nous amuse beaucoup !
Pour terminer, ce soir, qu’attendez-vous sur scène ?
Clément : De la chaleur, beaucoup de chaleur ! Là franchement, Bruxelles c’est une des dates les plus excitantes de ce début de tournée.
Raphaël : Oui, vraiment…
Merci beaucoup !
Raphaël : Merci à vous et à tout à l’heure !

Et au vu de notre compte-rendu émerveillé, on ne peut pas nier qu’il y a eu beaucoup de chaleur dégagée par ce concert électrique, ce soir-là. Et comme Feu! Chatterton est un groupe qui monte, le 19 mai au Cirque Royal, s’il vous plaît!
Par Alizée Seny
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