Nous les avions quittés dans le froid du mois de janvier, abandonnés aux ombres de l’Ancienne Belgique et à la suite de leur tournée. En ce mois de mars, les incandescents cadavres de Feu ! Chatterton s’en venait en pays noir pour enflammer une salle de paradis au cœur de Charleroi. Ensorcelant oiseleur, Feu ! Chatterton a encore frappé, dans les corps, dans les cœurs, dans les esprits.
En quelques années, nous avons déjà écumé les salles pour applaudir Feu ! Chatterton, de la si petite Rotonde à l’auguste Cirque Royal en passant par la mythique Ancienne Belgique. Pour cette fois, nous quittons la terre bruxelloise pour celle noircie de Charleroi et de son Eden si adéquatement nommé. La salle n’est pas très grande, elle ne peut que nous rappeler, les premiers concerts intimistes partagés avec nos rockeurs bien-aimés. Ce soir, le public est au rendez-vous, la soirée est sold out. Ce n’est guère étonnant : jouer à guichet fermé est monnaie courante pour Feu ! Chatterton.
C’est aux alentours de 21h que le public embarque sur le pont d’un auguste paquebot, ou alors sont-ce les ailes déployées d’un Boeing ? Peu importe, ce sont les portes d’une odyssée qui s’ouvrent devant nous. Certains ne savent pas encore ce qui les attend de l’autre côté. Nous nous connaissons l’itinéraire par cœur, mais nous trépignons d’impatience à l’idée de nous envoler de nouveau. Et les voici qui apparaissent sur la scène, à leur bras, une certaine Ginger. Le vent souffle déjà dans la salle, il dépêche cette douce frénésie qui embrase l’assistance.
Nos incandescents cadavres préférés sont dans la place, les retrouvailles ne sont que plus exaltantes lorsqu’ils nous invitent à partager cette folie poétique qu’il les caractérise, accostant sur cette île paradisiaque, réelle ou imaginée. Les requins y sont marteau, nous sommes fous… Fous à lier. On n’a jamais connu ça ici, crie un homme. Arthur ne peut que le répéter, amusé par cette assistance qui tantôt lui hurle son amour, tantôt lui demande de se mettre à poils. Ne sommes-nous pas assez nus, ici devant vous ? leur répond-il.
Et la folie retombe, les corps et les guitares frémissent alors que le Côte Concorde s’apprête à sombrer sous nos yeux, impuissants. Les étoiles s’éteignent pour laisser place aux stroboscope, le ciel, lui, déverse des cordes sur nous. Faut-il y grimper ou s’y pendre ? Nous n’avons toujours pas trouvé la réponse.
La chaleur se fait de plus en plus forte en cet Eden luxuriant. Après la pluie et l’orage, là-haut, l’embellie se déploie. Un roucoulement parvient à nous oreilles, un oiseau vient à nous. Pigeon de nos cœurs, infatigable oiseau moqueur. Tel le joueur de flûte de Hamelin, Arthur s’érige en envoûteur. Le public boit ses paroles qu’elles soient chantées ou déclamées entre deux chansons. Toutes mes pensées naissent, dans mes nuits d’ivresse… Après l’envolée, il nous ramène sur terre dans la réalité embrumée d’un petit rade. Le paradis exhale maintenant la divine eau de vie qui nous enivre encore et toujours. Nous nous y attendions, nous le redoutions, ça y est voilà, nous sommes raides !
Au septième ciel, la foule jubile, acclame et applaudit. On n’a jamais connu ça ici, répète Arthur. Les vapeurs d’alcool se dissipent, le rade nous recrache dans la touffeur de cette nuit aux allures de petite mort. Inéluctable, le Bic Médium se dresse devant nous ; la volupté nous guette alors que les guitares acrobatiques se répondent dans un dialogue langoureux… Amoureux…
Petite mort toujours, amour encore. La sylve moite jaillit dans les ombres, sous nos prunelles hypnotisées. C’est la mort dans la pinède, les cœurs s’emballent et le public aussi. Les cris s’élèvent, les corps chaloupent, c’est la ferveur qui nous tient. Il est temps de reprendre de la hauteur, un avion survole la jungle. Un Boeing érigé nous invite à son bord pour danser. Niveau supérieur de l’Eden, lève-toi, ordonne le maître de cérémonie. Et nous caracolons tous une dernière fois, car Feu ! Chatterton s’apprête à tirer sa révérence pour ce soir. Le public s’y oppose bien décidé à rajouter moult panoramas à cette épopée lyrique.
Alors, ils reviennent pour un tour de piste vers les étoiles. L’audience réclame une certaine Malinche, nous devrons encore patienter un peu. Une fenêtre s’ouvre sur ces souvenirs doux-amers et ce passé qui vient plus vite que l’on ne pense. L’effervescence retombe, chaque mot fait voile vers nos émotions les plus intimes, ces mémoires magiques que l’on chérit autant qu’on les redoute. Des souvenirs au Mexique, il n’y a qu’un pas ou plutôt un océan que nous franchissons sans paquebot ni avion, à la seule force de notre imagination. La Malinche nous ouvre les bras, aussi mythique que ce Feu ! Chatterton qui lui a redonné vie il y a quelques années. Oh oui ! hurle le public d’une voix, communiante. Il en redemande à coup de clameur, il veut encore s’envoler, planer, plonger, accoster, ascensionner tel un pantin à la merci de ces brillants marionnettistes.
Un dernier grand écart et nous voilà de retour en Méditerranée, du côté de Sari d’Orcino. Ultime balade main dans la main avec ces merveilleux baladins qui au gré de leurs mots et de leur guitare nous accompagnent doucement vers l’épilogue de ces ardentes retrouvailles. Adieu, adieu verger. Ces mots se répètent en boucle dans les esprits. Puis, les lumières se rallument, le sortilège se rompt. La marée humaine se retire vers la sortie, retrouve la fraîcheur et la réalité. Cette fois, c’est fini. L’heure de la séparation a bel et bien sonné, les cadavres retournent à leur boîte et nous leur chuchotons : à la revoyure !
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