BD : Le diable au corps, le démon de l’aventure #10 – Dans Talion de Sylvain Ferret, face aux enjeux cyberfunk, pas loin des nôtres, la puissance conduit à l’impuissance

© Ferret chez Glénat

Si l’aventure se vit bien au long cours sans arguments magiques, force est de constater que pas mal de récits fondateurs de ce genre sans peur et sans reproche sont dotés d’une aura fantastique, de créatures, de monstres capables de faire vaciller les héros et de créer l’inattendu et un supplément de divertissement. C’est le cas dans Conan, Indiana Jones, Les Goonies et tant d’autres. La BD n’y fait pas exception, forgeant des légendes de fantasy, de mille et une nuits et d’autres ans ce bon mélange qui s’ouvre sur des histoires héroïques et palpitantes. La preuve avec ce théma regroupant quelques parutions marquantes de ces dernières semaines. Après Alamander, Arjuna, Capitaine Vaudou, Furieuse, (Avant) La quête de l’oiseau du temps, Le rite, Lord Gravestone (premier et second du nom), Ninn et Ouroboros, voilà sans doute l’oeuvre la plus ambitieuse, audacieuse et exigeante de ce parcours: Talion. Après ses envoûtantes Métamorphoses 1858, qui imposaient déjà sa marque de fabrique, qui ose, Sylvain Ferret ne perd pas de vue les technologies dans un monde qui s’effondre et pousse les humains à revenir à leur plus simple appareil. Anachronisme complètement sensé et habité.

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Résumé de Talion par son éditeur Glénat : Le monde vit son dernier effondrement écologique. La Vermine s’insinue partout, dans la chair et la terre, dans le sang et dans l’air. La cité de ForenHaye, dernier bastion humain du royaume de Talion, lutte péniblement contre la violence de cette maladie du vivant. Et tandis qu’au-dessus du nuage de pollution, à la cime de la citadelle, les nobles survivent grâce à l’eau dépolluée, dans les bas-fonds des quartiers Racines, les plus démunis peinent à s’approvisionner en eau potable, jusqu’à en perdre l’esprit. Fille privilégiée des régentes des Racines, Billie, intrépide, aide les laissés-pour-compte en détournant les ressources réservées à une noblesse décadente qui attend impatiemment la mort de son roi Sirius Talion, monarque éteint d’une dynastie frappée d’infamie. Dans le même temps, Tadeus, un vagabond mystérieux, arpente continuellement les ruines souterraines de l’ancienne cité, menant des expériences pour la création d’un remède au mal qui ronge l’environnement. La rencontre de ces deux âmes complexes, de l’espoir et de la culpabilité, va peut-être permettre de rouvrir le dialogue avec une nature à l’agonie.

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Talion, c’est le genre d’album auquel il faut s’accrocher. Touffu, bien plus que ses 64 pages peuvent le laisser présager, il ne faut pas avoir peur de le reposer, de faire des pauses. Graphiquement, l’univers présenté comme « cyberpunk gothique » (c’est vrai mais c’est finalement tellement réducteur), est assez fort que pour qu’on y soit immergé immédiatement, entre fascination et malaise. Car c’est une pelote de fils que Sylvain Ferret détricote sur ce qui ressemble à un vaste plateau de jeu, sur lequel il avance ses personnages petit à petit, parfois plus vite quand l’urgence se fait pressante. La rudesse est maîtresse et les protagonistes se méritent. Eux ne nous offrent pas tout sur un plateau, qu’ils soient rois, duchesses, lords, au-dessus des nuages ou dans la crasse délétère du sous-monde, où rampe la maladie. La Vermine. Celle qui laisse des stigmates, veineux, qui se répandent à vitesse grand V et vous transforment en monstre, à terme, assoiffé.

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La soif, le terme n’est pas choisi par hasard, car bien plus que du gaz ou du pétrole, c’est l’eau qui pose ici problème. Contaminée ou pure, pour ceux qui savent se la payer, se la réserver. Même si dans les hautes-sphères, certains ne peuvent pas se résoudre à laisser pourrir le petit peuple.

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C’est un véritable labyrinthe, sur deux niveaux, que propose Sylvain Ferret, avec une multitude de personnages qui ont chacun leurs raisons, leurs secrets et leurs démons. Car rien n’est jamais aussi simple que dans les bandes dessinées, et l’auteur complet entend bien se servir de ce même média pour le prouver. Alors, dans un premier temps, parachuté dans ce monde bouleversant de froideur (ah, ces couleurs tranchées, ces détails et gros plans méthodiques dont est capable Sylvain Ferret, cette manière de placer la caméra dans des endroits choc!) et mis en contact avec des personnages en temps réel mais sans forcément connaître leur passé, le lecteur doit accepter de ne pas tout comprendre.

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J’ai eu du mal mais je me suis finalement laissé faire et j’ai pris mon pied intégral dans ces deux albums qui sous prétexte d’anticipation et de science-fiction, raconte énormément de choses de notre monde, du mal que font certains hérauts qui entendent faire le bien à notre planète, de l’égoïsme ambiant, du confort qu’on ne veut pas perdre quitte à ce que d’autres en perdent… C’est déboussolant, sous prétexte de divertissement, on se prend toute une série de reproches implacables dans la figure. Mais ce n’est pas gratuit, ça sert l’histoire, son envergure et sa puissance métallique et symphonique. Qui y va à fond, en urgence, pour ne pas avoir de regret. Il y a chez Ferret quelque chose de Nolan. Il en va de la puissance qui conduit à l’impuissance. C’est passionnant dans toute son exigence.

Et le tome 3 pointe donc le bout de son nez:

Et quelques extraits :

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Tomes 1 (Racines) et 2 (Veines) à découvrir chez Glénat.

Tomes 1 (Racines) et 2 (Veines) à découvrir chez Glénat.

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