Adieu Birkenau : Ginette Kolinka, entre ombres et lumière, héroïne de BD et passeuse de mémoire franche et sincère

Chaque 27 janvier, date anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz-Birkenau, a lieu la journée de la mémoire des génocides et de la prévention des crimes contre l’humanité. On est encore loin du compte, au regard de l’actualité quotidienne, que la rage de la guerre, de la quête du pouvoir, du racisme ou même de la non-assistance à personnes en danger sur la mer Méditerranée par exemple. Le travail de mémoire est donc essentiel, pour ne pas oublier les horreurs du nazisme lors de la seconde guerre mondiale, et de tous les faits de l’Histoire qui peuvent y faire écho. Avec Adieu Birkenau, entre avant-hier, hier et aujourd’hui, en trois temps, JD Morvan, Victor Matet, Ricard Efa, Cesc et Roger gravent dans le papier les douleurs et les espoirs de Ginette Kolinka, alias 78 544▲.

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© Morvan/Matet/Efa/Cesc/Roger chez Albin Michel

Résumé de Ginette Kolinka – Adieu Birkenau par Albin Michel : En avril 1944, à 19 ans Ginette Kolinka est déportée au camp d’extermination Auschwitz II-Birkenau. Elle n’en parle pas durant 50 ans, avant d’accepter d’être filmée pour la « Shoah Foundation », que Steven Spielberg vient de créer. À la grande surprise de la septuagénaire, les souvenirs enfouis rejaillissent. Elle se lance à corps perdu dans le témoignage. En octobre 2020, à 95 ans, elle permet à Victor Matet et Jean-David Morvan de l’accompagner lors d’un de ses voyages de groupe en Pologne, à l’issue duquel elle décide de ne plus jamais revenir.

78 544 ▲, c’est le nom de code, la porte d’entrée sur ce récit bouleversant, aussi intime que global. C’est par les mots d’enfants de Richard Kolinka, le batteur de Téléphone puis de Jean-Louis Aubert, qui rêvent toujours d’Un autre monde, que s’ouvre cet album. « Quand j’étais enfant, je pensais que toutes les mamans avaient un numéro sur le bras. » Une naïveté sans doute transmise par Ginette, sa maman, survivant d’Auschwitz et qui ne croyait pas que l’Homme pouvait être si laid, capable de tellement d’atrocités.

© Morvan/Matet/Efa/Cesc/Roger chez Albin Michel
© Morvan/Matet/Efa/Cesc/Roger chez Albin Michel

Tant que pendant 50 ans, Ginette Kolinka a refusé s’est tue, sans cacher le numéro sur son bras mais sans libérer sa parole et ses maux. Ce n’est qu’à l’appel d’un réalisateur de documentaires qu’elle conscientisera les vivants, les écoles, et entretiendra la mémoire des morts, de ses fantômes. Ginette Kolinka, un petit bout de femme brut de décoffrage, qui manie l’humour noir à la perfection, comme peuvent le faire ceux qui ont connu l’enfer, en sont revenus mais pas entiers, hantés.

© Morvan/Matet/Efa/Cesc/Roger chez Albin Michel

Après Irena, Simone ou encore Madeleine Riffaud, c’est à une autre figure féminine, inspirante et résiliente, que Jean-David Morvan dédie un album de BD. Avec le journaliste de France Info, spécialiste de la Shoah et interlocuteur familier de Ginette Kolinka, Victor Matet (lui-même devenu un personnage de cette BD), JD Morvan a fait plus qu’un scénario, il a vécu l’ultime visite d’Auschwitz guidée et commentée par Ginette, 95 ans.

© Morvan/Matet/Efa/Cesc/Roger chez Albin Michel

Entre ombres et lumière, les deux scénaristes se sont adjoint les services des Espagnols Ricard Efa et Cesc, aux dessins en parfaite osmose, et Roger, aux couleurs qui sont aussi très actrices des voyages dans le temps proposé par cet album. Tout a été reconstitué sur parole: Ginette Kolinka ne basant son témoignage, riche et puissant, uniquement sur ce dont elle se souvient précisément. Sa précision tient quelquez fois à ses imprécisions sincères. Les émotions viennent de là, elle ne veut pas inventer, ou prendre pour acquis ce que lui ont confié d’autres témoins. 

© Morvan/Matet/Efa/Cesc/Roger chez Albin Michel

À 19 ans, on a la vie devant soi, on croit aux sursauts d’humanité. On ne se doute pas que les camionnettes siglées du logo de la Croix-Rouge ne sont qu’un leurre pour pousser les plus faibles à croire que ceux qui les déportent ne leur veulent finalement pas du mal, pas leur mort par un procédé infernal. Ginette y a cru, elle s’en voudra toujours, son frère, son père ne sont jamais revenus. Et elle, son amour, sa foi en ce qui n’était que violence et bêtise humaines, l’a amenée au purgatoire. L’histoire est tragique, absurde, insoutenable. Pourtant, elle se doit d’être racontée, de donner l’alerte pour les générations futures, même si d’autres conflits font des ravages et que la répétition des malheurs du monde à la télé ou sur nos écrans aurait tendance à rendre certains insensibles.

© Morvan/Matet/Efa/Cesc/Roger chez Albin Michel

C’est par des mots simples que Ginette s’adresse au jeune public. Simple mais en ne le prenant pas pour des bécasses. Il n’y a pas de tabou, tout peut être dit, quitte à être désamorcé. Ginette KolinKa fait ça admirablement du haut de son noble âge, de sa patience, du nombre de fois (son agenda ne désemplit pas de rendez-vous dans des écoles un peu partout en France) où elle doit répéter son expérience du Mal en puissance. Mais aussi de la solidarité des victimes. 

© Morvan/Matet/Efa/Cesc/Roger chez Albin Michel

En moins de cent pages, avec une infinie délicatesse et une force symbolique qui nous laisse bouche bée, les auteurs réussissent à dire tout ce qui traverse Ginette, tout ce qu’elle représente et le monde meilleur dont elle rêve. En la ramenant à Auschwitz, faisant coïncider les archives, les visions de son passage il y a bientôt 80 ans, et les images actuelles, les dessinateurs et le coloriste ont réalisé un travail somptueux, très évocateur et saisissant. Intense mais pas monstrueux. La cerise sur le gâteau étant le texte qui ramène le Auschwitz de 2024 à ce qu’il est: un site qui a vieilli et s’est embelli. Même si la peur et l’horreur tiraillent les visiteurs, que rares sont ceux qui reviennent indemnes, il faut imaginer le camp dans un marécage, avec des corbeaux, plus de sang que de verdure. Le témoignage est honnête et passionnant et la manière dont les événements sont amenés originale. 

© Morvan/Matet/Efa/Cesc/Roger chez Albin Michel

Adieu Birkenau, c’est un nouvel album qui marque et qui fait date, très sensible et sensoriel. Qui, malgré les horreurs racontées et le poids sur les épaules de son personnage central, peut se lire par le tout public. Avec, pour aller plus loin, un dossier solidement écrit et enrichi de Tal Bruttmann. 

À lire chez Albin Michel.

Notons encore qu’une exposition de panneaux retraçant la vie de Ginette Kolinka, réalisée en partenariat avec le Mémorial de la Shoah, sera présentée en extérieur, sur les grilles de la mairie de Paris-Centre dès le 29 janvier.

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