
C’est marrant, au fil de l’actualité culturelle, un refrain revient souvent, annuellement. « T’as entendu le dernier Springsteen » ou « T’as lu le dernier Éric-Emmanuel Schmitt »… Dans la moitié des années 1800, il n’y a pas de raison que la donne ait changé. Sans doute les cultivés se disaient-ils: « t’as lu le dernier Dumas? ». Alexandre Dumas. Pourtant, s’il faut être à la pointe de l’actualité, on s’intéresse rarement aux prémisses, à la première oeuvre d’un auteur, ce qui le fait naître. Le premier Dumas, par exemple. Mais, pas le fils, cette fois, le père du père. Avec un destin hors-norme, une vie de roman racontée graphiquement par Salva Rubio et Rubén Del Rincon.

Résumé des Éditions Glénat pour Le premier Dumas, tome 1/2 : Esclave noir originaire de Port-au-Prince, ce n’est pas une vie de soldat qui attendait Alexandre. Elevé par sa mère dans la douceur des Caraïbes, il est arraché à celle-ci par son propre père, M. de la Pailleterie, un noble blanc. En ramenant son fils affranchi à Paris, il lui offre l’éducation qui sied à son rang. Alexandre grandit dans la bonne société jusqu’au jour où sa route croise celle du chevalier de Saint-George ! Métis comme lui, ce professeur d’escrime deviendra alors son mentor. En s’enrôlant dans l’armée, Alexandre décide d’abord de renoncer à son nom de famille et commence au plus bas de l’échelle. Il n’aura jamais la tâche facile. Mais à force de prouesses militaires et de génie stratégique, il montera les échelons un à un, et se fera progressivement un nom. Un nom qui marquera l’Histoire et que Bonaparte effacera de la mémoire collective…
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Sur la couverture, qui est sur le cheval blanc de Napoléon? Pas Napoléon ! Parodiant l’oeuvre de Jacques-Louis David, c’est Dumas traversant les âges et les frontières de classe qui affiche son air téméraire et confiant. Fruit d’un parcours de vie du combattant. Dont les repères ont été bouleversés à maintes reprises. Une enfance à Port-au-Prince dans une famille simple mais semble-t-il protégée par un père qui revient toutes les quatre lunes. Un temps de l’insouciance qui n’a pas le temps de s’habituer puisqu’un beau jour, le père disparaît et les esclavagistes apparaissent. Thomas Alexandre Dumas, pour la première et pas la dernière fois, séparé de sa mère et sa famille, se retrouver seul face à lui-même, ou plutôt avec lui. Avant d’être propulsé dans une vie de luxe une fois qu’il a retrouvé son père qui s’avère être un marquis, toujours en quête de deal, de ventes et d’achats pour s’assurer confort et richesse. Quitte donc à vendre sa famille d’Haïti.

Il y a de quoi devenir schizo mais Thomas Alexandre grandit là, prenant ce qu’il faut, ce qui peut lui servir mais n’hésitant pas à refuser les caresses dans le sens du poil et de ce qu’on dit être son intérêt. Il n’est pas de ce bois-là, il est un homme de fer, de combat, il ose dire non, par le verbe ou par la lame. C’est burné de la part d’un Noir dans cette société française qui veut laver plus blanc que blanc. Maintenant bâti comme une armoire de glace, Dumas s’affirme et se fait des alliés, dans le domaine de la guerre ou des arts. Il a le sens du spectacle, qui dérange mais fait avancer les causes, l’humanisme qui n’est pas du côté de ceux qui entendent faire et régir le pays des lumières.



C’est assez marrant de retrouver Rubén qui, on s’en souvient, avait, au début de sa carrière, adapté Les trois mousquetaires avec audace. Puis, L’ombre de l’aigle plus tard.. La fine lame espagnole est de retour aujourd’hui pour mettre en lumière un destin moins populaire, tant il a déplu à Napoléon Bonaparte. D’où la foudroyante couverture du premier tome de ce diptyque, en guise de pied de nez et de coup de sabot de Dumas à un autre insulaire, corse.
Le dessinateur espagnol est assez étonnant dans son évolution au fil de l’album, trouvant un dessin et des couleurs assez naïfs et enfantins pour illustrer la jeunesse vite volée de son héros, pour ensuite gagner en maturité, en fougue et en violence, à mesure que cet Alexandre Dumas s’ébranle et s’élance. Avec, ce n’est qu’un début, des scènes de combats explosives. Rubio Salva, comme toujours (Monet, Django, etc.), est au diapason de son histoire, la sentant pour trouver le juste équilibre, ne pas dramatiser à outrance et trouver des moments de respiration, romantique ou comique, dans la tyrannie qui s’abat sur le héros. Ça donne fameusement envie de vivre la suite.


À lire chez Glénat.
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