Ah l’Espagne ! Qu’est-ce qu’on l’aime ! Pour ses plages, les voyages qu’elle nous propose, sa beauté, son tempérament, les envies de lyrisme qu’elle nous donne, pour la siesta (aussi) et des artistes qui n’en finissent plus de nous charmer. Encore plus lorsqu’il est question de Neuvième Art ! Ces dernières années, les Hispaniques ont indéniablement amené leur touche à la BD, et ce n’est pas pour nous déplaire. Et s’il faut faire honneur à l’un d’eux, choisissons cette fois Rubén Del Rincon, un baroudeur de la BD franco-belge qui aime les défis et a marqué l’année 2018 de son sceau avec pas moins de quatre sorties (trois nouveautés et une réédition de luxe, en noir et blanc), dont l’uppercut El Boxeador dont on vous a déjà parlé et dit tout le bien qu’on pense de ce match à la vie à la mort qui transperce le papier. Toujours avec la même pugnacité, Rubén aime à changer d’univers, se frotter aux grands noms sans oublier ses racines. Et c’est ce que nous allons voir.
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Les trois mousquetaires en noir et blanc, ça déchire
Résumé de l’éditeur : L’histoire est connue, c’est celle d’un des plus beaux fleurons de la littérature populaire française : le jeune D’Artagnan quitte sa Gascogne natale pour rejoindre Paris où une recommandation de son père doit lui ouvrir les portes de la Compagnie des Mousquetaires du Roi. L’arrivée du provincial dans la capitale ne se fait pas sans péripéties ni promesses de duels avec ceux qui seront ses futurs compagnons d’armes : Athos, Porthos et Aramis…

La Gascogne, au fond, c’est à deux pas de l’Espagne et pourquoi le jeune D’Artagnan ne se laisserait pas porter par l’énergie dont est capable ce diable (non pas de Tasmanie) qu’est Rubén. Déjà connu dans le giron de ce passionné qu’est Jean-David Morvan, puisqu’ils avaient ensemble réalisé les deux tomes de Jolin La Teigne, Rubén avait ici trouvé un troisième larron en la personne de Michel Dufranne, scénariste et journaliste culturel. Un autre passionné. À trois, nombre symbolique dans l’oeuvre de Dumas, ils n’étaient pas de trop pour s’attaquer, comme tant d’autres, à cette histoire inscrite dans l’éternité littéraire et de l’imaginaire populaire. Dynamitée, ici, par un dessinateur fait pour l’action, que ce soit avec un flingue ou avec une épée.

Depuis la parution de ces quatre albums, dix ans se sont écoulés, et Rubén a gagné en maturité, en virilité (même quand il s’agit de faire la part belle aux femmes héroïques dans Insoumises). Son trait s’est affirmé et sans doute ne mettrait-il pas en image Les trois mousquetaires comme il l’a fait il y a dix ans. Certains avaient ainsi trouvé un manque de maturité dans les formes apportées à cette adaptation. Mais la jeunesse et l’impétuosité ne sont-elles pas les fers de lance d’un D’Artagnan ?

Dare-dare, jetons-nous donc sur ce pavé un peu particulier, puisqu’il a l’honneur de lancer la collection des intégrales en noir et blanc que proposent les Éditions du long bec (qui ont le nez fin). Un dos toilé, un aspect « beaux livres », un prix attractif, il n’en faut pas plus pour voltiger dans cette France encore royaliste, dans ses campagnes, ses rues, ses tours et ses salons, entre complot et amitiés que rien n’entachera. Sur une histoire voulue au plus près de l’ADN du récit de Dumas par les scénaristes mais réadaptée graphiquement (à mille lieues des gravures qui ont parfois accompagné ce récit épique) pour plaire aux plus grand nombre – et aux jeunes qui, jamais, sans doute, ne s’engouffreront dans le pavé de Dumas, à notre plus grand regret-, Rubén posait sont style, entre ce que peuvent faire traditionnellement les studios Disney et un Uderzo.

Le noir et blanc de cette nouvelle édition permet de mieux l’apprécier encore. Au creux de la vivacité, du don de soi, jusqu’à la pointe du fleuret. Un héros de la bande dessinée à couper le souffle naissait un peu plus en ces pages.

Max – Les années 20, la finesse du tango, la rudesse du danger

Résumé de l’éditeur : Dans les années 30, le beau Max travaille comme groom dans un palace barcelonais et arrondit ses fins de mois dans des dancings en se mettant à la « disposition » de riches clientes d’un certain âge. Mais il rêve d’une vie de luxe et de liberté, très loin d’une des villes les plus dangereuses d’Europe. Le chemin le plus court pour parvenir à ses fins est le crime… mais Max est-il prêt à en payer le prix ?

Autre ambiance, autre époque, à pas feutrés, équilibriste dans la nuit, c’est en compagnie de Salva Rubio, que Rubén s’attaque à un autre mythe de la littérature, plus hispanique : Arturo Pérez-Reverte et son Tango de la vieille garde. Avec l’aval de son créateur, l’épopée de Max Costa n’est pas adaptée mais réinventée à la faveur de sa folle jeunesse et des erreurs qui vont avec et vont l’obliger à fuir l’Espagne pour d’autres contrées plus accueillantes (ou pas). Ou comment on peut mal tourner et déchanter quand on danse pourtant le tango comme un as et qu’on a la séduction pour soi.

Max Costa, il est de la veine d’Arsène Lupin sans en avoir forcément la prétention, lui qui va très vite être dépassé par les événements et les truands aux méthodes bien huilées et sanglantes, eux. Dans un Barcelone gothique et chinois des locos años 20, redécouvert par les bas-fonds et l’encre de la nuit, l’aérien Max Costa (porté par le tango des salles de danse aux garde-fous des bâtiments vertigineux de la ville) rêve d’accrocher la Lune mais va écorcher ses rêves et l’envoyer direct à la légion étrangère. Une planche de salut un peu pourrie puisque notre intrépide voyou qui risque bien d’avoir mille vies.


Emmenant leur héros voir le vaste monde, les Rub’s (appelons-les comme ça, non?) livrent une première partie de diptyque (qui pourrait être le premier d’une série, laissent entendre Salva dans le dossier complétant l’histoire) entraînante pour passer de la deuxième à la troisième de couverture aux illustrations différentes (c’est assez rare que pour être souligné).


Clope au bec mais pas à bout de souffle pour aller de l’avant ou retomber à zéro. Dans cet album voyageur, en comparaison avec les Trois Mousquetaires, Rubén canalise un peu plus son trait, l’a fait mûrir pour lui donner du rythme et révéler toute son intensité aux moments propices.


Christian Lerolle et Amélie (de l’Atelier 510 TTC) donnent à ces cases, tour à tour, chaleur et froideur, insouciance puis éternelles violences et insécurité, des contrastes de la ville à l’aridité du désert. Une bien belle entrée en matière. On ne sait toujours pas danser le tango (mais s’il s’est illustré dans la boxe, Rubén manie plutôt bien cet art plus délicat) mais on a appris à se méfier un peu plus des loups, même s’ils déclenchent l’aventure qui ne se refuse pas, palpitante pour nous, éreintante pour le héros.



Cachemire : l’étoffe des héros… ordinaires
Résumé de l’éditeur : Dans les années 80, un groupe d’ouvriers se retrouve sans travail à cause de la fermeture de l’usine dans laquelle ils sont employés. Agustin est l’un d’eux, courageux et plein de ressources. Sans argent, en pleine crise et avec une famille à nourrir, il va pousser ses collègues à retrouver leur fierté et leur travail… en reprenant avec eux la direction de l’usine d’une manière tout à la fois incroyable et originale !
Pour clôturer cette mise en valeur qui sent bon le dépaysement et la chaleur espagnole (dans le sang aussi), c’est dans un format plus petit et au plus près du réel à forte empreinte autobiographique que Rubén nous ramène, en compagnie de Carlos, son frère, aux couleurs. Et de tout le reste de la famille au fur et à mesure que l’histoire se développe. Car oui, ces héros sont des personnages de chair et d’os, de convictions aussi, avant d’incarner le papier. De convictions mais pas forcément politique, plus forgée par l’école de la vie, de s’en tirer non pas avec les lauriers mais avec la dignité.

Car, au regard des années difficiles qui ont fait souffrir le peuple espagnol en ce début de XXIe siècle, il ne faudrait pas oublier que d’autres crises étaient déjà passées par là. « Sept années de loyaux services et pour toute récompense, on nous fout à la rue. » Nous sommes au printemps 1982 et si les fleurs sortent leurs plus belles couleurs, ce sont les idées noires qui s’installent dans les têtes de la poignée d’ouvriers de Standcolor, usine d’étoffes et de tissus. Leurs patrons ont pris la fuite. En moins de deux, l’usine sera désaffectée. Et tous se retrouveront sans emploi et sans possibilité d’en retrouver, au chômage avec la difficulté d’en sortir et l’énergie du désespoir pour tenter de conserver l’espoir. Ainsi que la lucidité, l’entraide et une certaine part de folie pour reprendre avec bagout et au bluff le contrôle de leur usine. Tenter de continuer à fonctionner en injectant le peu d’argent qu’ils ont et qui s’amenuise.


Cette histoire, c’est la rédemption. Celle qui libère des chaînes insoupçonnables que les patrons, qui vous considèrent comme des chiffres, vous font porter et autorise enfin à prendre son destin en main. Et ça n’a rien d’un chemin tranquille et sans embûche. Dans un climat instable où le château de cartes peut s’écrouler à tout moment, pulvérisant tous les efforts et la sueur consentis, les heures sacrifiées au boulot plutôt qu’à la famille, ces héros du quotidien et anonymes vont passer des mauvaises nuits, avoir des coups de blues, se retrouver au bord du précipice, ne pas toujours voir clair et prendre quelques décisions délicates et pas toujours les plus éclairées.

Ces hommes, et encore plus Agustin, le papá, ce sont des vrais personnages de BD, turbulents et parfaitement adapté au dynamisme qui fait la force de l’art de Rubén. Dans cette oeuvre qui fait plus souvent la part belle aux dialogues et aux scènes de groupe, statiques et attentistes, Rubén prend de beaux partis de mise en scène et de découpage, traçant des ombres en blanc plutôt qu’en noir pour un effet simple mais terrible; se concentrant sur des variations de plans fixes sur une même planche; jouant de contrastes naturellement, sans trop les appuyer.


Avec une formidable scène où le spleen et l’insomnie sont chassés par l’insouciance des enfants qui entre comme un raz-de-marée dans la pièce embrumée de volutes. Rubén et Carlos donnaient déjà du sens au mauvais sang de leur père. Comme aujourd’hui, un peu plus, avec un livre qui rend immortel ce combat d’hommes ordinaires mais novateurs, coopératifs, alliés dans l’adversité. Évitant le côté « Le plus fort, c’est mon père » pour le malmener un peu tout en restant dans son camp, évidemment; Rubén ne fait pas d’hagiographie mais livre un bel hommage qui doit donner de la suite dans les idées de bien des hommes pouvant se retrouver dans le même cas qu’Agustin, à une époque peut-être encore plus cynique. Résister plutôt qu’abdiquer, au coeur d’un album qui aurait pu être le dernier de son auteur, si on en croit ce qu’il sous-entend.

Raison de plus, pour finir, pour remercier les Éditions du Long Bec pour leur travail, leurs éditeurs qui éditent les livres de cette pépite qu’est Rubén (qui, à notre avis, a encore du dossier et des beaux projets dans ses tiroirs) et ont pris le parti de diversifier leur production avec de l’audace et des choix osés dans un rythme de parution qui paraît s’intensifier. Que vivent longtemps ces éditions fondamentales pour la diversité du Neuvième Art.
Série : Les trois Mousquetaires
Intégrale (4 tomes)
D’après le roman éponyme d’Alexandre Dumas
Scénario : Jean-David Morvan & Michel Dufranne
Dessin : Rubén Del Rincon
Noir et blanc
Genre: Aventure, Cape et épée
Éditeur: Éditions du Long Bec
Nbre de pages: 208
Prix: 32€
Date de sortie: le 22/08/2018
Extraits :
Tome : 1 – Le silence après le tango
D’après le personnage créé par Arturo Perez-Reverte « Le tango de la vieille garde »
Scénario : Salva Rubio
Dessin : Rubén Del Rincon
Couleurs : Christian Lerolle et Amélie
Genre: Aventure, Polar
Éditeur: Éditions du Long Bec
Nbre de pages: 64
Prix: 16,20€
Date de sortie: le 06/06/2018
Extraits :
Récit complet
Scénario et dessin : Rubén Del Rincon
Couleurs : Carlos & Rubén Del Rincon
Genre: Biographie, Drame
Éditeur: Éditions du Long Bec
Nbre de pages: 108
Prix: 19,60€
Date de sortie: le 12/12/2018
Extraits :
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