Quand y’en a plus, y’en a encore. En festival cultivant, notamment, l’amour des zombies, le BIFFF s’amuse à revenir dans les conversations, dans les coups de coeur, bien après son grand final. La preuve avec ce coup de coeur, L’employée du Mois de Véronique Jadin qui fait feu de tout bois avec audace et beaucoup d’amour pour ses personnages.
Année : 2022
Réalisatrice : Véronique Jadin
Scénario : Véronique Jadin et Nina Vanspranghe
Genre : comédie/thriller
Pays : Belgique
Inès a 45 ans et est une employée modèle. Depuis 17 ans, elle n’a pris que deux demi-jours d’arrêt maladie. Elle est polyvalente, et si elle est experte légale, ses compétences dans cette société de nettoyage exclusivement masculine présentent une palette des plus larges, de secrétaire à rechargeuse de papier toilette. Un petit café ? Inès s’en occupe. Une commande de fourniture ? Inès s’en occupe. Ne pas être invitée au resto par le patron, Inès est toujours là aussi. Mais Inès est également d’un professionnalisme hors pair, ainsi lorsqu’elle demande d’une toute petite voix une augmentation (la première depuis 17 ans) amplement méritée, et que son patron l’envoie chier pour des prétextes fallacieux, Inès mord sur sa chique, et se dit que ça va aller. Seulement voilà, la goutte d’eau de trop fait déborder le vase et pour une fois, Inès retourne dans le bureau pour insister et l’obtenir, cette augmentation. Las ! Alors que le sésame tant désiré allait une fois encore lui passer littéralement sous le nez, la situation – et son patron – dérapent. Ce dernier se retrouve le crâne fracassé, et Inès, en professionnelle du nettoyage, va s’employer à tout nettoyer, avec la complicité de Mélody, une stagiaire fraichement débarquée, aux antipodes de la douce Inès, et qui n’a pas sa langue dans sa poche. Est-ce que la situation va rentrer dans l’ordre ? Bien sûr que non ! Est-ce que c’est une bonne chose ? On vous laisse juger sur pièce !
Entre drame et comédie, ce film joue sur des situations bien trop normalisées dans le milieu du travail, qui nous font rire et grimacer. Il y a de tout dans ce film, et durant plus d’une heure, on oscille au fur et à mesure des situations entre gravité et légèreté, plongé dans un concentré d’émotions, embarqué sur une montagne russe qui nous fait rire, qui nous fait grimacer aussi, parce que, comme le précise Véronique Jadin, » les situations sont tirées de faits réels « .
L’interview de Malko Douglas Tolley pour Cinergie.be – Interview complète ici
Les deux protagonistes féminines principales sont différentes et très complémentaires, elles couvrent la moitié de l’humanité à elles-deux. Un casting de choc mais aucun nom n’en éclipse un autre, et encore moins le scénario. Chaque ligne de dialogue est ciselée, réfléchie, intelligente, chacun a une place qui lui est propre et apporte ce petit quelque chose au film.
Un personnage austère (Inès, interprété par Jasmina Douieb), qui est d’autant plus drôle quand elle « se lâche », et un personnage à l’extrême inverse, blasé (Mélody, interprété par Laetitia Mampaka). Une belle complémentarité entre les personnages mais aussi entre les deux actrices.
Egalité salariale homme-femme, mais aussi écologie et climato-scepticisme, culture du viol, préjugés racistes et bien d’autres thèmes encore, voilà tout ce qui est abordé dans ce film jouissif, qui fait du bien, qui dénonce en faisant rire, qui nous rappelle (ou nous fait prendre conscience) que oui, ça existe partout et pour tout le monde, peut-être pas tout le temps, fort heureusement, mais la réaction des spectateurs et surtout des spectatrices lors de sa projection au BIFFF est unanime, l’identification aux deux personnages féminins principaux est totale. Oui, ces comportements sont connus, sont encore trop souvent normalisés sous couvert d’humour.
Mais où s’arrête l’humour et où commence un comportement inadapté, voire dangereux ?
Plusieurs femmes à la fin de la projection expriment leurs remerciements à la réalisatrice, certaines même avec la voix enrouée par l’émotion de celle qui se reconnait un peu trop dans ces situations.
Si on peut de prime abord penser qu’on tombe dans l’extrême, ce n’est pas le cas. Les personnages ne sont pas du tout caricaturaux. Bien entendu, il y a une surenchère, bien entendu, la situation dérape, mais les petites piques de départ, elles, sont criantes de réalisme.
« Il y a de la gravité et de la légèreté. On a besoin des deux pour apprécier l’univers, c’est à l’image de la vie, réaliste. »
Laetitia Mampaka (Mélody)
Mais et les hommes dans tout ça ?
N’allez certainement pas croire que ce film est un manifeste anti collègues hommes, qui met dans le même panier l’ensemble des hommes blancs cis quarantenaires, loin de là. Les idées reçues et les comportements négatifs des femmes (et des personnes sans distinction de genre) sont eux aussi dénoncés, notamment l’idée reçue que les noir(e)s viennent tous d’Afrique, que les personnes qui sont victimes d’agression sexuelle doivent se justifier et donner des détails pour être cru(e)s.
Un film à voir en famille, entre amis, ou avec ses collègues, mais un film à voir, quoi qu’il en soit !
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Une programmation plus féministe?
Force est de constater que, cette année, la programmation du BIFFF avait un petit quelque chose en plus que nous n’avions pas remarqué lors des éditions précédentes, du moins pas avec la même intensité. Ce petit plus, c’est une programmation très féministe. De nombreux films ont été le fruit de réalisatrices, présentaient des personnages féminins forts et qui existaient pour eux-mêmes, ou traitaient de thèmes en lien avec le féminisme (patriarcat, égalité salariale, désir et rejet de la maternité, culture du viol, harcèlement, inclusivité…).
Volonté consciente de se placer dans l’air du temps, pur hasard ou désir des scénaristes, réalisateurs et réalisatrices de traiter de sujets de société qui ont un rapport avec le féminisme ? Peut-être un peu des trois, quoi qu’il en soit, cette programmation 2022 nous a donné de nombreuses autres occasions de réflexion, notamment par des films tels que :
Megalomaniac, de Karim Ouelhaj
Une sélection BIFFF au féminin !, de Michelle Garza
You lie you die, de Héctor Claramunt
Doit-on pour autant penser que tout est désormais lisse et convenu ? Bien sûr que non. Il reste des films trashs, des films glauques, des films aux personnages masculins particulièrement rudes et clichés, ou même des films qui ne présentent aucun personnage féminin fort ni même utile (mention spéciale pour Ajagajantharam, les deux seuls personnages féminins sont presque muet et n’ont aucune incidence sur l’histoire). Mais désormais de nombreux films donnent la part belle à des personnages féminins forts et engagés. C’est souvent piquant, parfois drôle, parfois triste, et toujours très bien amené.
Doit-on pour autant penser que l’ambiance dans la salle va se dégrader et perdre de sa saveur si caractéristique par crainte de choquer ou de vexer ? Bien sûr que non. Crier « C’est un bon film ! » quand un sein ou tout autre partie de l’anatomie féminine se dévoile à l’écran vise avant tout à dénoncer et tourner en ridicule l’idée reçue qu’une femme nue suffit à rendre un film meilleur.
S’il faut déplorer qu’en 2022 il faille encore réaliser des films pour dénoncer tous les thèmes énoncés plus haut, réjouissons-nous malgré tout que cela nous offre de nombreuses pistes de réflexion, des occasions de débattre, de réfléchir et de confronter les diverses visions du monde.
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