« Si un western est un bon western, il vous donne une idée de ce monde et de certaines des qualités que ces hommes avaient : leur camaraderie, leur loyauté et leur courage physique », a dit James Stewart. C’est vrai mais ça n’empêche pas la pure déconnade comme sait si bien en jouer la bande dessinée. Le western a le vent sec et cinglant en poupe depuis pas mal d’années. Un temps béni qui a comme modèles tant l’esprit humoristique de Lucky Luke que le réalisme de Blueberry, avec parfois un mélange des deux. Voyage coast to coast, des gros nez au réalisme avec quelques pépites qui feraient rougir le Texan, Tuco et les autres.

Walter Appleduck, un adjoint dans la ville

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Résumé de l’éditeur : Walter Appleduck est un jeune homme cultivé, poli et bien éduqué qui, ayant fini son « master cowboy », a fait un stage dans la petite bourgade de Dirtyoldtown. Après avoir tenté — en vain — d’amener un peu d’humanité dans cet Ouest sauvage, il est retourné dans la grande ville. Avec dans ses bagages, Billy, l’adjoint du shérif complètement crétin. Le but de Walter est simple : ouvrir Billy aux valeurs humanistes et modernes ! Mais Billy, cet « archétype du type rustre, macho, grossier et alcoolique aux idées dangereusement fascisantes » (dixit Miss Rigby, la demoiselle qu’il drague avec subtilité…), a du mal à s’adapter.

Les frères Fabrice sont de retour pour notre plus grand plaisir, avec la férocité humoristique qu’on leur connait. Après une couverture aux couleurs détonantes pour le premier tome, c’est dans la retenue que Walter et Billy arrivent en ville, sur un fond rappelant le sable qui a souvent orné les affiches et les pochettes de DVD de nombreux films du genre. Souvent plus sérieux que ce qu’on trouve ici. Clint Eastwood avait fait Un shérif dans la ville, Caro et Erre font un Cowboy dans la ville. En adjoint dans la ville, Billy va en faire voir de toutes les couleurs à Walter Appleduck, lui volant la vedette (la série porte tout de même son titre) à mesure que les bourdes s’accumulent.
Hey, oui, bien sûr, dans l’Ouest Sauvage, les terres hostiles ne manquent pas, mais sans doute le plus violent des contrastes que Billy, qui a déjà du mal à survivre dans son milieu naturel, pouvait rencontrer est l’univers urbain. Des feux rouges, des salons de tatouages, les grands magasins, la multiculturalité et, entre nombreux autres, les expositions d’art conceptuel. En neuf leçons qui ne manquent pas de piquant (d’où le cactus signaleur). Sans trop de coup de feu, il y a même une séquence peace and love, le duel est ici symbolique, entre bouseux du Far Far West et la modernité. La verve est toujours aussi bien placée et le double-duo comique n’en rate pas une pour faire de cette aventure plus à l’est mais toujours à l’Ouest un défouloir surréaliste et irrésistible.

Six-Coups ou rien !

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Résumé de l’éditeur : Pauvre Eliot, déjà que son père le shérif l’oblige à porter un revolver du haut de ses 10 ans, le voici maintenant nommé adjoint et affublé d’une étoile. Dans une ville où la moindre embrouille de saloon finit en duel, l’arrivée de Monsieur Johnson met le feu aux poudres. Ce riche armurier sans scrupule alimente la peur pour vendre sa camelote jusqu’à armer les enfants à l’école.

Avec les Six-Coups, toujours chez Dupuis, c’est un format plus long que le lecteur trouvera chez les Jouvray, une histoire complète en 46 planches. Le premier tome de cette joyeuse bande d’enfants dans le monde adulte du western m’avait laissé quelque peu sur ma faim. Tout est oublié et pardonné avec ce deuxième album complètement dans l’air du temps, plaidoyer de la non-violence. Mais dans un univers comme l’Amérique (sic) et le western (re-sic), pas facile de remplacer les colts par des bananes dans le porte-flingue. Un mouvement de femmes et d’enfants d’abord (avec quelques hommes tout de même) entend enterrer la poudre et les duels, il est vrai puérils, qui font pourtant le sel du genre.

Mais, c’est sans compter un marchand de plombs qui va tout faire pour diviser Patelyn City pour mieux y régner. En mettant une pétoire dans les mains de tous les citoyens de cette petite bourgade vite ébouillantée. Même si l’implication du sieur Johnson (un aïeul de Donald Trump?) et de ses sbires reste à prouver.

Sans grands espaces mais en huis clos dans cette petite ville, Anne-Claire et Jérôme Jouvray réussissent une bien belle zizanie, rythmée et dynamitée (pour de faux hein) par les caractères bien troussés des héros pas plus hauts que trois pommes qui ont l’enquête à leur charge. Dans les oppositions entre les personnages, les situations portent les femmes et pètent des flammes pour mieux porter l’absurdité de ces gens qui veulent voir des armes partout. Au terme d’un grand final spectaculaire, Jérôme Jouvray finit de transformer le plomb en bonbon, avec un style simple et efficace, expressif et délicieux.
American Horror Story of Mondo Reverso
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Résumé de l’éditeur : Un western transgenre où les femmes ont le pouvoir. En deux mots : Cornelia et Lindbergh filaient le parfait amour jusqu’à ce que la routine du quotidien vienne s’en mêler, mais pas le temps de s’apitoyer ! Cornelia devenue shérife, se lance à la poursuite d’un cirque itinérant qu’elle soupçonne d’avoir kidnappé un jeune garçon. Lindbergh quant à lui refuse d’attendre sagement madame à la maison et se jette à sa poursuite. Dans Mondo Reverso, les codes sont bousculés : les femmes font la loi à coup de flingue et de peignées mémorables à en faire pâlir Clint Eastwood quand les hommes se contentent de les épouser ou de vendre leurs charmes parés de leurs ombrelles et de leurs décolletés plongeants.

Étape de transition comme on dit dans les grands tours. Sous les couleurs en noir, brun et blanc, c’est un style clairement plus réaliste que Dominique Bertail dégage de son attirail de dessinateur. Mais le ton donné par le Gouëfflec, lui, est complètement ébouriffant, rouleau compresseur salvateur des règles qui ont cours dans notre monde que d’aucuns cherchent encore à polariser en fonction des genres. Dans Mondo Reverso, les deux auteurs ont inversé les rôles et tout ce qui va avec.

Parce que les femmes ont l’uniforme de la loi ou des truands, ont un flingue à leur ceinture et un cigare à la bouche, qu’elles sellent les chevaux et soulèvent la poussière, qu’elles crachent par terre et pissent à l’air, se bourrent la gueule, elles ont tout gagné: respect, voire même soumission des hommes, en premier. Et les hommes ne sont bons qu’à rester à fouiller, et à trébucher dans leurs jupes. Ils sont les invisibles, ça change et ça fait du bien. Même si les femmes ont forcément pris quelques-uns de leurs défauts. On ne peut pas tout à voir… ou alors on a tout, y compris les inconvénients.

Dans ce deuxième tome, dont le titre marque déjà la parodie (La bonne, la brute et la truande, et non, ce n’est pas un film de boules mais une BD de balles), prenant à contre-pied un Kurt Russell éploré d’avoir vu son petit garçon sans défense disparaître, les auteurs emmènent la shérife Cornelia dans un drôle de cirque pour enquêter. Le Freak, c’est cirque, et le duo connaît ses déjà-classiques en retombant sur l’univers de la saison 4 de la série American Horror Story. Mais ce séjour de deux jours loin de la maison ne va pas plaire à son « bobon », Lincoln, l’un des seuls hommes par ici à avoir du tempérament, qui va tenter de la retrouver.

Alors que le piège se referme. Sous un style qui pourrait faire gras, Le Gouëfflec et Bertail prouvent que leur premier tome n’était pas un coup de chance, qu’ils ont mûri leur univers, en formes et en bosses pour éviter de faire dans la parodie bas de gamme. En fait, leur réussite tient à cette façon de ne pas faire dans la demi-mesure, à jouer de manière franche la carte de la parodie et du pastiche, dans les mots, les traits, les avant-plans ou les détails. Et sans se départir d’un artisanat sérieux et consciencieux. Car Bertail se soumet à rude épreuve au fil de ces planches fouillées et spectaculaires. En fait, évitant le cul-cul plan-plan, les deux auteurs réalisent ici des BD comme ils n’en existaient plus dans la forme comme le fond.

La Venin dans le crachin

Résumé de l’éditeur : Emilie est recherchée et sa tête est mise à prix. Poursuivant sa fuite en tenue de nonne, elle est sœur Maria quand elle arrive à Galveston, au Texas. Elle n’est pas là par hasard, elle cherche le révérend Alister Coyle, celui-là même qui dirige l’orphelinat pour jeunes filles de la ville. Sous couvert de cette nouvelle identité, elle est hébergée quelques jours au sein de son institution. Le décès d’une pensionnaire et surtout la tentative de suicide de l’une d’elles ne laissent aucun doute sur le comportement malsain et les sévices commis par le révérend. Il est temps de rendre justice ! Emily s’en chargera et Dieu en sera témoin. Au dehors, la nature gronde, un ouragan se prépare, cette colère grandissante mêlée à celle d’Emily annonce qu’il faut fuir à nouveau, cette fois en bateau, direction la Pennsylvanie.

Il avait fait torride jusqu’ici dans cette sélection, Laurent Astier se charge de doucher l’ambiance et de nous rafraîchir. Cette fois, si une femme tente de renverser l’ordre établi de ceux qui l’ont mis en fâcheuse posture, plus question de rigoler. Même si le déguisement est toujours de mise: c’est en nonne qu’Emily « La Venin » fait son entrée dans la ville de Galveston. C’est Labor day et ça ne rend son arrivée incognito que plus facile. Derrière le bureau de l’Orphan’s Home, le père Coyle, et son sourire de vampire, a vite fait d' »engager » la jeune hors-la-loi. Mais la maison du Bon Dieu n’est pas celle du bonheur.

Utilisant ici quelques « refrains » de film d’horreur dans la composition des images, cette manière de mettre du noir autour des planches ou d’associer quelques visions sataniques tout en faisant tomber le ciel sur la tête des personnages, Laurent Astier continue de belle manière l’épopée de son héroïne en quête de vengeance et de vérité. L’histoire principale qu’il nous raconte ici pourrait être courte mais l’auteur prend son temps pour appesantir l’ambiance et faire monter l’adrénaline du lecteur.

Rien n’est superflu et la richesse des cadrages (avec parfois plus de dix cases par planches, des petites, des grandes, plus lisibles les unes que les autres) rend l’expérience passionnante. Puis Astier use et abuse des flash-backs, sur plusieurs époques, sans jamais perdre ni assommer le lecteur. Ce n’était pas gagné, tout passe crème et ne fait que renforcer la conscience qu’a le spectateur de l’état d’esprit de l’héroïne et de la vengeance qu’elle fomente. Stoppée dans son aventure itinérante du premier tome, Emily continue à avancer dans les séquences que l’auteur nous rapporte de son passé.

Pour le reste, dans ce carcan de quelques personnages, il n’y a pas d’échappatoire, il faudra faire avec les caractères en présence… et en puissance. La psychologie d’Emily n’en fait que plus de bonds. Laurent Astier ne temporise pas son histoire pour la cause, il complique les choses pour sa battante dans un déluge somptueux.

La suite, elle, est en bonne voie: aperçu donner via la page Facebook de la série.
Catamount, celui qui porte le nom d’une bête
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Résumé de l’éditeur : Catamount a disparu. Pad le trappeur et le capitaine Clark suivent sa piste. Celle-ci les mène au cœur de l’hiver en plein territoire Crow, devant la carcasse putréfiée du cheval de Catamount. On le croit mort… alors qu’il va devenir une légende. Bien vivante !

Notre périple se termine tout doucement et, après la pluie, c’est la neige de Niobrara qui nous accueille, dans ce troisième tome de Catamount. Là encore, l’horreur n’est pas loin. Un trappeur et un colonel manchot se sont avancés bien trop loin dans cette vaste forêt à la recherche de Catamount. Bien trop loin, mais assez que pour se retrouver confronter à la fureur des Crows.

Ils ont une bonne raison d’être en colère, le massacre des leurs par des hommes blancs, comme le colonel Clark, n’étant que trop frais dans leur mémoire. L’oeuvre de soudards aux ordres d’un homme déviant mais puissant. Mais Catamount Osborne apparaît au bon moment pour calmer, un temps, les projets mortifères que les amers Indiens nourrissaient à l’encontre des deux hommes. Il s’agit de retrouver le P’Tit Paul disparu dans la pagaille infernale.

D’un cirque à la ville sans oublier de finir en territoire indien, d’une rousse incendiaire à un gros monsieur sûr de son fait et de la défaite de ses ennemis, dans ce troisième tome (rassemblant librement les oeuvres Le défi de Catamount et L’arrestation de Catamount écrits par Albert Bonneau), Gaet’s et Benjamin Blasco Martinez envoient la pâtée.

Les deux scénaristes dirigent plus que jamais l’écriture vers l’action, tonitruante, sans retenue. La furie est partout dans cet album désespéré et sanglant, au scénario un peu moins abouti que les deux tomes précédents mais qui aura de graves conséquences sur la suite du cheminement de Catamount, celui qui porte le nom d’une bête. Crescendo.

Et la suite arrive aussi, pour janvier 2021.
Et, pour vous prouver que les vastes étendues qui servent de décors aux westerns du Neuvième Art sont illimitées, je vous présente deux nouveautés qu’il ne faudra pas rater dans les semaines à venir, dans le prochain article.
Série : Walter Appelduck
Tome : 2 – Un cow-boy dans la ville
Scénario : Fabacaro
Dessin : Fabrice Erre
Couleurs : Sandrine Greff
Genre: Humour, Parodie, Western
Éditeur: Dupuis
Nbre de pages: 56
Prix: 12,50€
Date de sortie: le 15/05/2020
Extraits :
Série : Six-Coups
Tome : 2 – Les marchands de plombs
Scénario : Anne-Claire Thibaut Jouvray et Jérôme Jouvray
Dessin : Jérôme Jouvray
Couleurs : Anne-Claire Thibaut Jouvray
Genre: Jeunesse, Western
Éditeur: Dupuis
Nbre de pages: 48
Prix: 10,95€
Date de sortie: le 06/03/2020
Extraits :
Série : Mondo Reverso
Tome : 2 – La bonne, la brute et la truande
Scénario : Arnaud Le Gouëfflec
Dessin et couleurs : Dominique Bertail
Genre : Western, Aventure, Humour, Fantastique
Éditeur : Fluide Glacial
Nbre de pages : 75
Prix : 17,55€
Date de sortie : le 04/09/2019
Extraits :
Titre : La Venin
Tome : 2 – Lame de fond
Scénario, dessin et couleurs : Laurent Astier
Genre : Aventure, Western
Éditeur : Rue de Sèvres
Nbre de pages : 56
Prix : 15€
Date de sortie : le 08/01/2020
Extraits :
Série : Catamount
Tome : 3 – La justice des corbeaux
D’après les romans d’Albert Bonneau
Scénario: Gaet’s et Benjamin Blasco-Martinez
Dessin et couleurs : Benjamin Blasco-Martinez
Genre : Western
Éditeur : Petit à Petit
Nbre de pages : 64
Prix : 14,12€
Date de sortie : le 29/03/2019
Extraits :
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