Depuis quelques temps, amateurs de western, que nous sommes, La Venin coule dans nos veines, sans faute de français ni de style ni de goût. Il faut dire que Laurent Astier a gagné ses galons depuis un bon moment, les offre à une jeune héroïne sans peur et sans reproche mais avec la vengeance en tête, et pose les jalons d’un western girly, badass et méticuleusement situé dans le late far west. Pour fréquenter quelques vieilles gloires et apporter du sang neuf, intrépide et impétueux au pays du cheval de fer. Palpitant ! Nous avons rencontré Laurent Astier, lors de la dernière foire du livre bruxelloise.

Bonjour Laurent, vous nous revenez avec une héroïne et un western. Ça vous démangeait depuis longtemps ?
Les westerns, ce sont les premières bandes dessinées que j’ai réalisées. Je devais avoir huit ou neuf ans. Mais, durant mon adolescence, j’ai tout brûlé, détruit. J’ai fait table rase. C’est dommage, ça m’aurait bien plus de retomber dessus. Mon frère a tout de même conservé un dessin, maigre consolation.

Mais oui, faire un western, j’en avais envie depuis un moment. J’ai fait le premier dessin d’Emily, mon héroïne, en 2012, dans une tenue Silvercreek, un peu déshabillée. C’était un hommage à Claudia Cardinale. J’ai laissé mûrir, ai fait Face au mur, et trois ans sont passés. J’en ai profité pour faire des recherches historiques, faire des allers-retours entre ce que j’écrivais et les événements qui se sont réellement produits.

Oui parce que vous prenez le parti qu’Emily a réellement existé. En fin d’album, il y a ses carnets, retraçant le périple de cette voyageuse et authentifiant les faits auxquels elle pourrait avoir participé.
Je veux garder le mystère. À Angoulême, une lectrice m’a d’ailleurs abordé en étant certaine qu’Emily avait réellement existé. Ça me plaît bien, je n’ai pas envie d’ôter le doute.

Des héroïnes en western, il y en a peu quand même, non ?
Dans un registre plus badass et série B, il y a eu Angela de Daniel Pecqueur et Olivier Vatine. Je voulais pouvoir faire la biographique d’une femme tout en pouvant suivre une partie de l’Histoire des États-Unis. Il y avait eu Calamity Jane qui, comme mon personnage, s’était habillée et transformée en homme. Je ne voulais pas d’une tenancière de bordel. Il fallait qu’Emily s’échappe rapidement.

Derrière mon histoire, il n’y a pas de volonté de faire quelque chose de purement féminin et féministe. Emily va devoir se déguiser dans une période où l’habit fait le moine. Ainsi, on peut passer d’une allure de cowboy à celle d’une nonne, pour reprendre un cliché de série B. Tout en jouant le contre-pied.

Emily a pris corps petit à petit ?
De ce petit dessin hommage dont je vous parlais, une petite bulle pour faire autre chose, pour me divertir en plein travail de création, est né quelque chose de plus important. Un personnage semble apparaître et s’imposer. Mais il me fallait une histoire pour fouiller sa psychologie et ses ressorts. Je voulais faire grandir le personnage comme en peaux d’oignon, pas uniquement dans l’action.

Comment, du coup ?
J’ai revu beaucoup de films pour me glisser dans l’ambiance. J’explore une période tardive du western, en 1885 lorsque Emily a huit ans puis entre 1900 et 1902. Le symbole d’une période-charnière, entre l’ancien monde et celui industriel. Et balancer entre les deux.

Sur un territoire immense.
Tellement immense que je ne pouvais pas m’arrêter. Aller plus loin que ce que les Européens de la Côte Est ont pu voir en s’aventurant dans les terres. Il me fallait pousser le chariot plus loin, avec l’idée du voyage, de travailler l’imaginaire sur base de décors intéressants. C’est le but que je me suis fixé. Restait à voir où passer et comment y passer. Mon texte était à trou, les grandes dates et hauts lieux étaient fixés, encore fallait-il y arriver… et dans les temps.

Puis, le site de The Library of Congress a été un précieux allié. Notamment pour les cartes de tous les chemins de fer existants que j’y ai trouvées. Dans ce récit sous forme de course-poursuite, je pouvais précisément utiliser le cheval, le train, le chariot pour suivre le calendrier que je m’étais fixé et atteindre telles période et région pile à temps. J’ai dû faire des calculs, de Silver Creek au kidnapping par les indiens : combien de jours, combien de kilomètres. Rien ne devait être laissé au hasard. J’ai lu en boulimique, certains détails accrochaient directement, d’autres devaient être vérifiés. Avec des allers-retours.

Et mine, de rien pas mal de personnages féminins.
Comme Annette Ross Hume qui photographiait des autochtones, notamment dans les réserves comanches d’Oklahoma. Cette bourgeoise qui s’est un peu perdue dans les terres m’intéressait. Puis il y a Pinkerton, des personnages troubles. Ça m’intéressait de reprendre la mythologie, de voir comment on a pu inventer le métier de chasseur de primes. J’ai lu sur lui, décroché parfois pour mieux y revenir. Puis, il y a le Wild Bunch, je pouvais placer Emily à proximité du plus grand gang de braqueurs qui ait existé. Je ne voulais pas être dans la mythologie, cela dit, mais au plus proche de la réalité. Dans l’histoire mais aussi les armes, les costumes. Après, j’ai dû m’arranger, parce qu’il aurait été difficile de mettre en scène des personnages dont on voyait quelques centimètres du visage caché par les cols et les grands chapeaux.

Ce titre, La Venin, il s’est imposé ?
Il est venu rapidement, en repensant à un livre que j’avais lu lorsque j’étais ado. De Frédéric Dard, C’est toi le venin. Ça avait été adapté en film. Et ça m’avait impressionné. Une sorte de Lady Vengeance. Ça m’intéressait de creuser le sillon avec un personnage de la même trempe, au fort caractère. Et différente de ce qu’on a l’habitude de voir. Sa démarche est froide, brute, elle s’en tient à sa mission, selon un plan préétabli. Il fallait permettre au lecteur d’appréhender sa démarche, qu’il puisse pressentir et comprendre son vécu.

Il y a le titre, et la couverture.
Mon premier visuel est devenu une affiche. C’était très illustratif. Il y a eu de longue discussion avec mon éditrice. Il était question d’utiliser le même genre de maquette que pour le Château des étoiles d’Alex Alice. Et d’un autre côté, on voulait aussi noter le fait d’être dans une série classique. Je voulais défendre cet aspect classique. J’avais mal vécu la parution de Comment faire fortune en juin 40. Avec son format ramassé, sa couverture mate, le lectorat classique ne l’avait pas pris pour lui et n’avait pas suivi. Je pense que la couverture y était pour quelque chose. Je voulais retrouver une couverture dans la veine de Cellule Poison même si je m’interdis la ressemblance. Ces couvertures étaient puissantes, la peinture y faisait magie. Pour La Venin, il fallait toutefois que la couverture soit moins dure. Parce que Cellule Poison, c’était quand même un fond très franc.
Je voulais travailler comme sur une affiche de cinéma, que ça fasse sens sans pour autant être uniquement illustratif. Trop souvent, le titre est allié à une bête image. Mais où envoyer le regard dans ce cas-là ?

C’est aussi la première fois que vous signez chez Rue de Sèvres.
Et ce fut à la hauteur de mes espérances. Nadia Gilbert, mon éditrice, a d’emblée adoré le projet. Elle était présente à chaque étape. Sans rien imposer mais en proposant matière à réflexion. C’était une relation saine et nourrissante. Parfois, en tant qu’auteur, nous avons tellement la tête dans le guidon que nous allons moins loin que ce que nous devrions.

Dans Face au mur, par exemple, j’avais dû évacuer certaines séquences. Il faut que ce soit fluide. Ce projet pourtant personnel, j’ai d’abord voulu le refiler, le confier à quelqu’un d’autre, jouer l’esquive. J’avais peur d’être confronté aux grands maîtres. Je l’ai notamment proposé à Ronan Toulhoat, il était pris jusqu’en 2042 ! Un ami m’a encouragé à me lancer. J’étais assez mature que pour ne pas plagier, copier ou juste tomber dans le simple hommage aux films que j’aime. Il fallait donner du sens.

Justement, vos films préférés ?
Plutôt spaghetti. Il était une fois dans l’Ouest. J’ai aussi un souvenir hallucinant de Josey Wales que je n’ai jamais revu.
Et dernièrement ? Le cinéma n’a pas été pauvre en films de ce genre.
Récemment, il y a eu les Frères Sister dont je trouve que je suis proche. J’ai eu la même envie qu’Audiard de fouiller la psychologie des personnages. Ce n’est pas un western classique. Puis, La ballade de Buster Scruggs des frères Coen n’était pas mal non plus.
Par contre, j’ai été plus mitigé sur Godless dont le pitch trichait en survendant une intrigue s’implantant dans un village de femme. J’attendais mieux même si, à la fin, la boucherie est bel et bien au rendez-vous.
Et en BD ?
Stern qui est bizarre et étrange, on ne sait pas où on va.
Et vous, avec Emily, vous savez ?
Je l’imagine, je ne saurais pas ne pas savoir où je vais, la construction est très précise et j’ai une idée précise des scènes-clé. Il devrait y avoir cinq albums, un tous les ans. C’est assez engageant physiquement, je travaille sur grand format, format raisin coupé en deux.

Tome : 1 – Déluge de feu
Scénario, dessin et couleurs : Laurent Astier
Genre : Aventure, Western
Éditeur : Rue de Sèvres
Nbre de pages : 56
Prix : 15€
Date de sortie : le 09/01/2019
Extraits :