Pas de traversée du désert pour les westerns de BD #2 Ghost Kid et Stern, entre les vivants et les fantômes

« Si un western est un bon western, il vous donne une idée de ce monde et de certaines des qualités que ces hommes avaient : leur camaraderie, leur loyauté et leur courage physique », a dit James Stewart. C’est vrai mais ça n’empêche pas la pure déconnade comme sait si bien en jouer la bande dessinée. Le western a le vent sec et cinglant en poupe depuis pas mal d’années. Un temps béni qui a comme modèles tant l’esprit humoristique de Lucky Luke que le réalisme de Blueberry, avec parfois un mélange des deux. Voyage coast to coast, des gros nez au réalisme avec quelques pépites qui feraient rougir le Texan, Tuco et les autres. Après le premier acte, place au deuxième. Pour vous prouver que les vastes étendues qui servent de décors aux westerns du Neuvième Art sont illimitées, je vous présente deux nouveautés qu’il ne faudra pas rater dans les semaines à venir.

© Maffre/Maffre/Durandelle, chez Dargaud

Ghost Kid mais balles réelles

© Tiburce Oger chez Grand Angle

Résumé de l’éditeur : Hiver 1895, « Old Spur » Ambrosius Morgan est un vieux cowboy du Montana. Malgré les rhumatismes, il persiste à rouler sa bosse et ses éperons de ranch en ranch et ne s’est jamais fixé. Un jour, une lettre de la femme qu’il aima des années auparavant lui apprend qu’il est le père d’une jeune femme, Liza Jane Curtis, et que celle-ci a disparu depuis son départ pour l’Arizona. Le vieux cowboy décide de partir à la recherche de cette fille inconnue, accompagné du fantôme d’un jeune Apache qu’il croit être le seul à voir. Ne sachant s’il reviendra de cette expédition, il règle ses affaires courantes et quelques vieux comptes.

© Tiburce Oger chez Grand Angle

Tiburce, si ça, c’est pas un nom de cowboy ! D’ailleurs régulièrement, l’auteur aime revenir à ce genre qu’il affectionne et auquel il donne sa patte singulière. Le dernier cheval sur lequel il mise vient une nouvelle fois le prouver. Une fois encore, la poussière sera pour plus tard, c’est dans l’enfer blanc que notre fine gâchette fait débuter son histoire. C’est la fin des vachers, les ranchs sont rachetés par les plus offrants mais pas les moins perfides. Cela dit, Mc Dougall et Morgan sont deux vieux de la vieille, des irréductibles, des vieux fourneaux selon l’expression bédéphiles désormais consacrées. Oh, ce n’est pas qu’ils s’entendent comme larrons en foire. Non, ils ne font jamais que se croiser à l’heure de la relève dans cette grande cabane en bois, à l’abri du monde. Où l’aspect rougeâtre de l’âtre tranche avec la froideur immaculée du grand dehors. Le Dakota du Nord ne pardonne pas. Comme l’amour sans se protéger… Old Spur s’en rend compte dans le courrier que lui livre Mc Dougall: il a une fille, majeure et vaccinée, mais disparue à des lieues de là, non loin du Mexique. La route sera longue, semée d’embûches et de rencontres pas forcément plaisantes pour l’ermite qui avait renoncé à la vie en société.

© Tiburce Oger chez Grand Angle

De son dessin flexible et tournoyant comme un lasso, Tiburce Oger fait naître un récit crépusculaire. Un presque mort peut-il être un héros ? Résolument, ce vieil éperon d’Ambrosius ne fait pas le poids, n’est pas de taille, même si son flingue est toujours expéditifs. Son ombre vacillante ne peut mal de tirer plus vite que lui. Pourtant, c’est lui, et pas un autre, que l’auteur a choisir pour faire route entre le pays de l’eau à profusion et celui de la soif. Route interrompue par des rencontres impromptues. Dans lesquelles la frontière entre élans samaritains et vilains est bien ténue. Old Spur, inadapté à ce qui se tramait autour de la grotte dont il est sorti, va faire le grand nettoyage. Et récolter, petit à petit, les indices menant à sa fille. Mais aussi à un étrange indien, paumé là dans le désert, muet et semblant ne trouver grâce qu’aux yeux de notre cowboy ? Un fantôme, une hallucination de plus dans sa vue qui se voile ?

© Tiburce Oger chez Grand Angle

Jouant avec les couleurs du sol, du ciel et de la terre, embarquant le lecteur dans un défilé de cases de formes diverses avant de le prendre au vol dans des illustrations pleines page qui donne un peu plus d’âme à son récit, Tiburce Oger réussit un album intemporel. De son graphisme, dans la même veine que celui du trop rare Al Severin, Tiburce conte une histoire ultime et intime, montrant un homme qui est si peu de choses face à la grandiloquence du décor sauvage américain, mais pouvant tout de même déplacer des montagnes et repousser les frontières, et des cadavres (ne lui donnez pas de trop le bon dieu sans confession à Old Spur, il sait flinguer), même pour une inconnue. Puis quelle maestria dans les gestes, tant des hommes que des animaux, que des rocs, transperçant le ciel pour mieux drainer la violence dans laquelle se complaisent les hommes. Cet album est une grande sensation, tellement froide et chaude à la fois.

© Tiburce Oger chez Grand Angle

(Où est) Stern, nouveau western à New Orleans

© Maffre/Maffre/Durandelle, chez Dargaud

Résumé de l’éditeur : Changement de décor pour Elijah Stern : après le climat âpre de la petite ville de Morrison, le voici qui débarque en plein bayou, à La Nouvelle-Orléans, où il se fait embaucher comme croque-mort : on n’échappe pas à son destin ! Même dans le haut-lieu du vaudou, les morts ont besoin d’être enterrés. Au cours d’un enterrement, il fait la connaissance de Valentine Robitaille, héritière d’une riche famille locale, fascinée par les arts occultes. Le père de cette dernière, inquiet des relations qu’entretient sa fille avec Victor Salem, un étrange prestidigitateur, demande à Stern d’enquêter.

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© Maffre/Maffre/Durandelle, chez Dargaud

C’est le 18 septembre que les Maffre Brothers dégaîneront ce quatrième tome de leur croque-mort de héros. Si le train siffle trois fois, Elijah Stern, on ne sait jamais trop s’il va revenir, et quand. Magnifique outsider, on ne lui fait pas de pub des semaines et des mois à l’avance et, à l’arrière de l’album, aucune suite n’est jamais annoncée. Alors, du coup, alors que le duo (dont, il est vrai, Julien assure le dessin d’une autre série, tout aussi rédemptrice, La Cour des Miracles) repousse toujours ses limites, on s’est dit plus d’une fois qu’il n’y aurait peut-être pas de suite. Mais Stern ressort toujours de terre. Dans ce quatrième tome, donc, Stern a encore changé de crèmerie. C’est à La Nouvelle-Orléans qu’il promène désormais son spleen, entre la crue rationalité et les rites fantasmés. Stern est venu ici tout oublier mais encore doit-il gagner sa vie… ou sa mort. Ici, dans cette Louisiane magique, il y a du boulot. On ne compte plus les personnes voulant s’octroyer les services de notre héros pourtant malingre: Monsieur Fidler pour renforcer son cimetière plein à crier, Valentine Robitaille qui lui propose un poste de consultant, Monsieur Robitaille qui veut qu’il espionne sa fille ou encore le grand Victor Salem qui entend bien l’engager dans sa troupe. Le choix ne manque pas, mais Stern va être obligé à en préférer certains.

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Si le héros de Frédéric et Julien Maffre aime à se laisser porter, et quel lieu se prête mieux que l’imparable Nouvelle Orléans (qui a inspiré aux auteurs un grand lot de planches muettes, contemplatives), cette fois, ce n’est plus Stern qui décide. Dans cette grande ville, celle de Marie Laveau mais aussi de pas mal d’Italo qui aiment foutre le brin, notre fossoyeur est renvoyé à ses faiblesses. Lui qui, involontairement, transportait une aura érudite de par les romans qu’ils lisaient, le voilà confronter à des gens de bien plus de culture que lui. Puis, il y a les fantômes qu’il a laissés derrière lui mais son toujours bien présents, pesants, sous ses semelles. Stern ne peut qu’être lui-même dans un monde où tous jouent un rôle, dans l’éventail qui va de la gentillesse gratuite à la méchanceté intéressée.

© Maffre/Maffre/Durandelle, chez Dargaud

Avec Tout n’est qu’illusion, les Maffre revisitent tellement le western qu’ils n’en font plus un. Une fois le cimetière laissé derrière, c’est presque une intrigue de château fort, spacieux mais tout de même en huis-clos,que les auteurs déroulent. Avec ses monstres, ses troubadours, ses duels à l’arme blanche, ses sortilèges et ses brigands de grand chemin ou bandits d’honneur. Reste à savoir d’où viendra le premier coup, encore plus lors d’une réunion de spiritisme. Après avoir frôlé la mort tant de fois, Stern, asexué jusqu’ici, froisse l’amour, dans cet album tout en retenue et en maîtrise, après des précédents tomes ébouriffants. Mais ce ton, en italien aussi dans le texte (préparez les Assimil), aussi étonnant soit-il, réussit admirablement à cette série qui compile les pépites, à des galaxies pourtant des mines des vieux westerns.

© Maffre/Maffre/Durandelle, chez Dargaud

Titre : Ghost Kid

Récit complet

Scénario, dessin et couleurs : Tiburce Ogier

Genre : Western

Éditeur : Grand Angle

Nbre de pages : 80

Prix : 18,90€

Date de sortie : le 19/08/2020 (en noir et blanc le 17/06)

Extraits :

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Série : Stern

Tome : 4 – Tout n’est qu’illusion

Scénario : Frédéric Maffre

Dessin : Julien Maffre

Couleurs : Julien Maffre, Laure Durandelle

Genre : Drame, Humour, Western

Éditeur : Dargaud

Nbre de pages : 64

Prix : 15€

Date de sortie : le 18/09/2020

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