Durant un mois, Clarke met de la magie et la sorcellerie à l’ouvrage pour fêter le premier anniversaire de la galerie ixelloise Comic Art Factory. Un bel écrin que le dessinateur liégeois a choisi pour sa première exposition-vente autour des originaux de ses Histoires à lunettes, des Danois et, entre autres, bien sûr, Mélusine. La sorcière qui entre en guerre dans son nouvel album à paraître fin de ce mois d’avril. Une guerre durant laquelle toute magie est suspendue et qui va encore générer quelques gros bouleversements dans cet univers de loup-garous, squelettes et autres morts-vivants qui ont gagné en supplément d’âme et de réalisme. Interview avec un auteur, entre noir et blanc, passé et présent, fort en encrage.
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Bonjour Clarke, si je ne m’abuse, c’est votre première exposition-vente. Comment cela se fait-il ?
En fait, je n’y avais jamais vraiment pensé. Puis, je ne garde pas tellement de mes travaux. Frédéric Lorge a eu bien du courage. Il est venu chez moi et a passé deux jours à trier tout ce que je lui donnais. Ce qui est exposé dans la galerie, c’est son choix à lui. Il y voit des choses que je n’y vois pas forcément mais a cette conscience de ce qui peut plaire à l’acheteur, à un marché auquel je ne comprends rien.

Vous, qu’y voyez-vous ?
Certaines planches que je suis parvenu à dessiner convenablement. Pour d’autres, je me rappelle le contexte, le moment auquel je les ai créées. Parfois, j’ai été plus loin qu’à l’habitude. D’autres fois, j’ai commencé la planche sans même y croire pour être finalement convaincu à la fin… enfin ça n’a duré qu’une semaine (il rit).
Quelle évolution, quand même.
Sur près de trente albums de Mélusine, heureusement. Reste que la seule différence est ma capacité à dessiner le même univers qui a évolué. Il en allait aussi de l’intérêt de la série, pour moi et le lecteur. J’ai mis un temps fou à affiner mon dessin. C’est comme le permis de conduire, si l’écolage dure trente ans, à la fin, on peut être certain de savoir conduire.


Autre changement, vous êtes passé du court au long. Finis les gags en une page ?
Et, en même temps, il n’y a quasiment plus de presse BD. Le but premier d’un gag, c’était une parution dans la presse. Je trouve épatants ces albums qui paraissent saucissonner. On a l’impression que c’est normal. Moi, je trouve que le gag empêche de raconter une histoire, tout simplement. Sauf si une série dure trente ans. Alors que quand on enlève la mécanique du gag…
Le gag, c’est à la fois une formidable contrainte et un format qui fait qu’il est impossible d’approfondir quoi que ce soit. Avec une curieuse convention qui veut, dans la plupart des cas, qu’on reparte toujours de 0. Si bien, qu’un personnage peut mourir et ressusciter à volonté, une plage plus loin. En tant que scénariste, j’ai du mal à me mettre au diapason de ça. Mais ça ne posait aucun problème à Gilson qui le faisait très bien.

Dans cette expo, on voit aussi, une fois qu’on a ôté les très belles couleurs de Cerise, tout votre travail du noir et blanc.
C’était peut-être pour ça que Mélusine me convenait à mort. De l’ambiance, de la tension, les codes du film d’horreur. Avec une chance: c’était ma première série et j’ai trouvé le langage qui me convenait.
N’allez quand même pas me dire que personne ne vous a jamais contacté ?
Si, un est passé et m’a engueulé parce que je jetais mes originaux. Je m’étais arrêté là. Ce n’était pas mon intention première. C’est Frédéric Lorge qui est venu me trouver. Je ne voyais pas non plus forcément l’intérêt de montrer des planches que des milliers de lecteurs ont déjà vues dans la mesure où elles sont parues dans Spirou ou dans des albums. Mais pas d’inconvénient, non plus.

Puis, votre blog propose déjà une exposition permanente et continuellement enrichie, non ?
C’est une habitude que j’ai prise, c’est vrai. Remarquez, il n’y a pas énormément de passage, non plus. Quelques passionnés…
… et les journalistes pour préparer leurs interviews!
Oui, c’est vrai. (il sourit) Le blog, c’est le maximum que je puisse faire sur Internet. On ne me verra jamais sur un réseau social. Mais, régulièrement, j’y programme plein de choses. Dès que je termine une planche, une illustration, je scanne. Ce sont des planches à nu.

Sur votre blog, il y a du Mélusine mais aussi des planches de vos one-shots et de vos histoires courtes et obliques. Et là, votre envie de penser le monde et vos histoires en noir et blanc et en encrage s’exprime au mieux.
C’est ce qui me correspond le mieux, jusqu’à l’os de ce que je peux faire en tant que dessinateur. Ce que je veux faire depuis longtemps. Ça va paraître cynique mais il faut malheureusement être assez bankable que pour qu’un éditeur accepte un projet comme ça.
Cet univers, avec son troisième tome, vous y avez amené d’autres auteurs.
Je voulais retrouver d’autres personnes dans cet univers, voir ce qu’ils pouvaient y amener. Certains se sont moulés dans ce que j’avais fait, Dugomier, Zidrou. D’autres sont restés dans leur délire, comme Forster. Je me suis demandé : « mais comment, je vais réussir à faire ça?! » En fait, j’ai demandé la participation de gens que j’aime bien, dont j’admire et suis fan des univers. Comme Aimée De Jongh qui était ravie de pouvoir s’y essayer.

Ou Cauvin. Ce jour-là, il n’était pas très bien, pas sûr de pouvoir imaginer une histoire. « Je suis malade, je ne connais pas cette série ».Je lui ai fait parvenir un service presse. À 8h, il me téléphonait pour m’en confirmer la réception et me dire que ça avait l’air pas mal, qu’il allait commencer. » À 11h, j’avais son scénario.

La légende est donc vraie !
Exactement.
Dans vos récits obliques, les histoires sont courtes, tranchantes, quatre ou cinq planches de quatre cases. Dans votre dernière aventure de Mélusine, l’histoire est à suivre, se pose sur deux albums et 92 planches. En tant que scénariste, on doit se tenir en haleine, non ?
Oui, mais remarquez, cette histoire, elle dure depuis les sept derniers tomes. On peut presque les lire d’une traite. J’ai profité des micro-coïncidences pour mettre en forme un récit choral. Je voulais aussi rencontrer le petit personnage secondaire qui, lui aussi, a sa vie propre. C’est l’inverse d’une petite nouvelle ultra-percussive où l’on dessine l’idée et il n’y a rien d’autre.

Dans ce nouvel album, vous ôtez la magie. Dingue, dans Mélusine ?
Dans la plupart des albums, il y a toujours un truc qui amène plus de magie. Le personnage est une sorte de Deus ex machina, et peu importent les problèmes, le héros va trouver l’adjuvant pour s’en sortir. J’ai horreur de ces séries dans lesquelles les héros sont capables de tout faire. Comme le Marsupilami qui, un jour, parle, l’autre est fourmilier, et plus loin, respire sous l’eau. Au fil des albums, cet animal fantastique a toujours un don pour s’en sortir.
La magie me coince, comme s’il y avait plus de piège. Je voulais en prendre le contrepied, comme si Benoît Brisefer était enrhumé perpétuellement. Histoire aussi de mieux saisir ce qu’est le pouvoir magique… s’il revient.

Dans cet album, s’il était question que les personnages se mettent des tartines dans la figure, je voulais de vraies tartines.
Vous, des tartines, vous en avez prises, à votre planche à dessin ?
À un moment, j’en ai eu les mains déformées, les phalanges. De l’arthrite et les genoux en compote aussi.
Justement, comment dessinez-vous ?
Dans une position plutôt foetale, je n’ai pas d’autre mot ! Et j’écoute de la musique. De tout, je plonge dans mes disques. À l’atelier, avec les autres, on boit un café de temps en temps, une petite respiration.
En parlant de musique, vous avez aussi enregistré un cd. Clarke et les atomes !
Oui, juste pour nous. Je me souviens aussi d’un cd enregistré pour Mélusine. On avait passé une semaine en studio, 20h sur 24? Je dormais sur la table de mixage.
Mélusine a eu d’autres vies, aussi. Comme une pièce de théâtre qui s’appelait Mélusine ou la vie de château, je crois. Ça a pas mal tourné. Je l’ai sur une cassette. Puis, il y a eu une série de courts-métrages très esthétique.
Plus récemment, j’ai reçu une proposition de court-métrage adapté des Histoires Obliques. Ça m’amuserait mais ce n’est pas ce que je cherche par-dessus tout. Mais si ça vient à moi, pourquoi pas ?
Vous faites de la magie ?
Pas du tout ! Au contraire de Midam qui est assez bon en micro-magie, en tours de cartes. J’adore aussi ce que faire Lennart Green. Un Islandais qui ressemble à Garcimore et a un look de professeur de math. On se dit qu’il va tout rater, le contraire se produit. C’est le roi du hotshot, il tient le jeu de carte dans une main, l’autre est vide. L’instant d’après, le jeu est arrivé dans l’autre main sans que personne n’ait rien vu. Il faut aller voir ses vidéos sur Youtube, c’est long mais fou.

Il y a aussi des fantômes dans cet album. Y croyez-vous ?
Absolument pas. Mais ça me fait plaisir de les introduire dans cette histoire, d’en faire quelque chose à part entière.
Finalement, avec tous ces changements apportés à Mélusine, n’avez-vous pas peur de perdre le lecteur ? Certains détestent le changement.
J’aurais plus peur de me perdre moi-même que de perdre le lecteur. Certains sont toujours mécontents et ce sont souvent ceux-là qu’on entend. En effet, des lecteurs sont bien contents d’acheter une BD par inertie pour la ranger à côté des autres et l’oublier.
Avec ce que j’ai voulu amener à Mélusine, je veux permettre qu’on se souvienne d’un album par son identité. Bon, je ne prétends pas bien le faire.

En y mettant de notre monde, dans cet univers fantaisiste.
Je ne peux pas faire sans ce rapport à ce qui m’entoure. Gilson, lui, s’en sortait très bien dans sa bulle. Jusqu’au jour où il a décidé d’arrêter, de se convertir. Il avait démarré l’histoire mais cela faisait six mois qu’il n’avait plus rien envoyé. Il manquait quinze pages pour compléter l’album. Je me souviendrai toujours de son mail dans lequel il nous annonçait, dans les premières lignes, qu’il allait s’y remettre; puis qu’il allait faire une pause-carrière et, enfin, dans les dernières lignes, qu’il arrêtait complètement. Brutalement. J’ai donc dû boucher l’album avec des gags de mon cru. Je n’ai pas de nouvelles de sa part mais on m’a dit qu’il était heureux, qu’il était bien dans sa nouvelle activité.
Vous avez été directement dans le bain. La question ne s’est pas posée de si vous continuiez ou pas.
Quand j’ai eu les commandes de la série en main, j’ai très vite eu besoin d’intégrer ce qui faisait mon moteur. Ce n’est pas super-facile à faire. Mais mettre du sexe, de la drogue, du suicide et de la guerre, ça ouvre le dialogue.
Et vous prouvez que le château de Mélusine et les quelques hectares qui l’entourent ne forment pas un vase clos. Ce monde-là est étendu, on y croise des Chinois, des Africains.
C’est venu naturellement. On vit dans une époque de mondialisation, les gens le vivent au jour le jour. Il faut deux heures pour faire le tour du monde. Je ne suis pas pour reproduire continuellement le même univers sans y amener des modifications. Le quartier où résident Boule et Bill n’existe plus depuis trente ans. On a l’impression que depuis le début, Boule n’a changé qu’une chose : ses baskets.

Ce vingt-septième album ne serait-il pas la fin de quelque chose ? Ça pourrait presque être la fin de la série, non ?
On a parcouru du chemin. Et, dans la vie, contrairement à ce qu’on dit, on n’avance pas petit pas par petit pas. Non, on avance par choc, par mandale. Et, forcément, ça laisse des traces, ça construit le caractère, on garde en mémoire cette expérience concrète. Les gens sont complètement désarçonnés quand on les met face à la fin d’un monde.
En parlant de fin. Sur votre blog, il y a une planche de ce dernier album que vous n’avez pas mise, la dernière. Formidable. Ça faisait longtemps que vous pensiez à cette scène ?
Non, je ne savais pas. Autant, j’avais l’idée de diplômer Mélusine, un jour, d’avancer dans l’histoire. Autant la fin de La guerre sans magie a mis du temps à s’imposer.
N’en disons pas plus, laissons la surprise au lecteur. Savez-vous quand vous mettrez un point final à la série ?
Non, pas le moins du monde.
La suite, pour vous, quelle est-elle ?
Un one-shot chez Le Lombard. Un récit de science-fiction, ce n’est pas un terrain sur lequel je suis très à l’aise. Puis, un autre, avec un scénariste.
Merci beaucoup Clarke, rappelons que le lecteur et visiteur de votre monde peut contempler l’étendue de votre art sur des planches de Mélusine, des Danois, d’Histoires à Lunettes, de Fluide Glacial ou encore Mister President, dans le bel écrin de la Comic Art Factory, Chaussée de Wavre 237 à Bruxelles. D’autres originaux sont aussi consultables sur le site.
Tome : 27 – La guerre sans magie
Scénario et dessin : Clarke
Couleurs : Cerise
Genre: Fantastique, Guerre
Éditeur: Dupuis
Nbre de pages: 48
Prix: 10,95€
Date de sortie: le 26/04/2019
Extraits :
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