La (petite) pile à lire: Dargaud met dans la poche de vos vacances quelques-uns des romans graphiques phares de ces dernières années

Comment ça, il serait trop tard pour partir en vacances? Les aoutiens continuent leur périple, les septembristes se préparent et les juillettistes veulent encore faire farniente dès que le soleil pointe le bout de son nez – ce qui n’était pas gagné cette première semaine d’août). Et pour s’occuper? Rangez les smartphones et mettez dans votre poche une salve de bonnes littératures graphiques. Comme beaucoup d’éditeurs voulant concurrencer l’hégémonie des mangas dans les librairies et même les supermarchés, Dargaud s’est lancé il y a quelques mois dans une réédition de ses récents classiques en format pocket. Une refonte, une relecture, dans un format plus souple et à petits prix pour quelques centaines de pages d’évasion, sous une couverture inchangée. Plus petits mais costauds.

C’est le deuxième été que l’éditeur franco-belge mène cette opération. Au menu de cette sélection, neuf albums sortis au cours de ces dix dernières années et dont on aime se souvenir, dans lesquels on aime se replonger. Certains ont été primés. Il y en a pour tous les goûts, souvent pour apprendre des choses. Une enquête sociale, un essai sociétal, trois biographies s’attachant à des destins complètement fous, une comédie d’espionnage, un comic book fantastique, une odyssée de vulgarisation scientifique et un drame intime autant qu’universel.

Petit panorama de ces belles émotions remises dans les mains d’un autre public, sur les plages, dans l’avion ou dans son jardin. Sur place ou à emporter, léger et pratique.

Au rayon des histoires vraies, de la non-fiction pure et dure, et néanmoins créative, on trouve donc :

Lip, des héros ordinaires, de Laurent Galandon et Damien Vidal : Un scénario/document mâtiné de fiction qui raconte la prise en otage des montres Lip par les ouvriers de l’usine. 329 jours de lutte racontés à travers le prisme d’une ouvrière, Solange, d’abord réticente puis partie prenante… L’affaire Lip a tenu en haleine toute la France en 1973, les ouvriers ayant décidé d’occuper l’usine et de cacher le stock de 25 000 montres comme trésor de guerre. Un roman graphique de 176 pages – dont un cahier supplémentaire inédit – pour découvrir la lutte des ouvriers dont le leitmotiv était : « On fabrique, on vend, on se paie ! »

Cet album, il tient une place chère dans mon parcours. C’est l’un des premiers ouvrages que je me suis procuré pour nourrir mon mémoire en cinquième année de journalisme et qui portait sur la BD de reportage, sa définition, ses implications, ses armes. Lip, des héros ordinaires avait toute sa place en tant que reconstitution âpre et interpellante, chorale, d’un fait divers social et utile, qui fait date. Percutant et à visages humains.

Glenn Gould, une vie à contretemps, de Sandrine Revel : Glenn Gould, musicien « total », génie absolu et solitaire et star planétaire de la musique classique. Cette biographie dessinée cherche à comprendre la personnalité du personnage. Car il y a un mystère Glenn Gould : pourquoi a-t-il arrêté si brusquement sa carrière de concertiste ? Pourquoi est-il devenu l’une des toutes premières figures de l’ère médiatique à vouloir disparaître, à l’instar d’un J. D. Salinger ? Sandrine Revel met tout son talent au service de cette biographie époustouflante, celle d’un génie absolue, adulé et à la personnalité si complexe.

La BD peut être du papier à musique et ce sublime album de Sandrine Revel m’a complètement scotché, par sa magie, son esthétisme, sa bande-son graphique et sa manière de sentir, d’appuyer ou pas les ambiances. Dans cette partition, omniprésente et pourtant vouée parfois à s’évanouir sans demander son reste, l’autrice signe un portrait très touchant d’un pianiste habité et à la fois désoeuvré. Une icône complexe et mise à notre portée en coupant le son, par moments, et en invitant à l’infinie contemplation, des paysages, des mains sur des notes blanches et noires… Bluffant. Standing ovation.

Guantanamo Kid, de Jérôme Tubiana et Alexandre Franc : Mohammed El-Gorani a 14 ans lorsqu’il quitte l’Arabie saoudite pour étudier l’anglais au Pakistan. Deux mois après son arrivée, c’est le 11 septembre 2001. Au mauvais endroit au mauvais moment, l’adolescent est accusé d’appartenir à al-Qaida. Arrêté et transféré à la prison de Guantánamo, il voit désormais son quotidien s’organiser entre tortures et interrogatoires incessants et vains. Il faudra huit ans pour que son innocence soit enfin reconnue. L’histoire vraie du plus jeune prisonnier de Guantánamo. Un récit tragique et poignant salué par la critique et récompensé par le prix Atomium décerné par Le Soir en 2018 et le Stan Lee Excelsior Award 2020.

=> Condamné par l’absurde et pour l’exemple, huit ans de vie volée : Mohammed El-Gorani n’avait rien fait, il est pourtant devenu Guantánamo Kid

Noire, la vie méconnue de Claudette Colvin, d’Emilie Plateau : Prenez une profonde inspiration. Vous voici à présent dans la peau de Claudette Colvin, une adolescente noire de 15 ans qui vit dans l’Alabama des années 1950. Depuis votre plus tendre enfance, vous savez que blancs et noirs doivent vivre séparés sous peine de prison ou de mort. Mais aujourd’hui, vous allez changer l’Histoire… Découvrez le destin d’une pionnière oubliée de la lutte pour les droits civiques aux États-Unis, qui, neuf mois avant Rosa Parks, refusa de céder sa place à une passagère blanche dans le bus.

Peu importent les symboles, les noms gravés à jamais dans l’inconscient collectif, dans des films ou des chansons même, parce qu’ils ont fait bouger les lignes et contribué… ou en tout cas donné l’opportunité à nos sociétés d’aller mieux, d’être plus ouvertes, plus humaines. Mais certains combattants pacifiques – parce que même respirer devient un combat quand on fait partie de minorités opprimées par les suprémacistes – ont tout de même sombré dans l’oubli. Normal, on l’a dit, leur geste pouvait être si simple, anodin, et pourtant tellement courageux, déterminant pour la suite, pour faire effet boule de neige. Utilisant son style miniature et noir sur blanc pour raconter une histoire qui va dépasser son héroïne, Émilie Plateau décompose les faits et gestes, lorgnant vers les paper toys, avec un supplément d’âme qui fait que tout s’anime, tout prend vie et force. D’autant plus que l’autrice, sur les mots de Tania Montaigne, vous met en situation dès le départ, dans la peau du personnage principal… et que la société voudrait pourtant mettre au ban.

Au rayon des essais :

Riche, pourquoi pas toi?, de Monique et Michel Pinçon-Charlot et Marion Montaigne : Allons, cher lecteur, n’avez-vous jamais rêvé de gagner au LOTO® et d’être enfin riche ?! Adieu les soucis, à vous la belle vie ! Mais justement, riche pour quelle vie ? Opterez-vous pour le style bling-bling, grande dynastie ou bourgeois ? Serez-vous plutôt Beckham ou Rothschild ? Ambiance mondaine ou tabloïds ? Pas si simple… On va vous aider à faire le tri et à savoir comment on devient, au moins en rêve, un VRAI riche. Avec les sociologues Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot (auteurs du Président des riches et de La Violence des riches), Marion Montaigne mène une enquête pleine d’ humour sur les riches, l’argent et le pourquoi du comment.

C’est le nerf de la guerre et, au-delà des caractéristiques physiques, ce qu’il y a dans notre portefeuille et sur nos comptes en banque et tous les signes extérieurs de richesse, sont souvent utilisés pour nous identifier, nous cataloguer. On en a écrit des livres là-dessus. Des BD’s aussi. Le couple de sociologues stars Monique et Michel (décédé l’année passée) Pinçon Charlot l’avaient bien compris, c’est pourquoi ils ont investi par deux fois le Neuvième Art de Picsou ou de Largo Winch. Tu mourras moins bête et peut-être plus riche, et c’est donc la dessinatrice Marion Montaigne qui a fait force commune avec le duo toujours en verve. De quoi dynamiter le propos et créer une enquête-mine d’informations dont le style caricatural et explosif fait mouche.

Le mystère du monde quantique de Thibault Damour et Mathieu Burniat : La physique quantique, fondement de notre compréhension actuelle des lois de la Nature, est partout autour de nous. Avec Bob et son chien Rick, partez à la rencontre des initiateurs de la physique moderne et confrontez-vous aux mystères du monde en suggérant qu’une particule puisse être à deux endroits en même temps ou qu’un chat puisse être à la fois mort et vivant. Embarquez avec Thibault Damour, physicien théoricien honoré de la prestigieuse médaille Einstein, et Mathieu Burniat, auteur de bande dessinée, pour une aventure au centre de l’Univers.

=> Thibault Damour et Mathieu Burniat: « La BD pour maintenir en vie les concepts de la physique »

Et au rayon de la fiction :

Seconds de Bryan Lee O’Malley : Alors que Katie, cheffe de cuisine renommée, est sur le point d’ouvrir un deuxième restaurant – le sien ! –, les problèmes débarquent : l’ouverture est compromise, ses amours battent de l’aile, son ex réapparaît et, pour couronner le tout, sa meilleure serveuse se blesse. Et sans que rien ne le laisse présager, la vie de Katie passe de super top à vraiment nulle. Ce dont elle a besoin, c’est d’une seconde chance. Tout le monde y a droit, après tout. Mais encore faut-il savoir en faire bon usage… Un roman graphique, par l’auteur de Scott Pilgrim, qui aborde avec sagesse et humour le coeur de nos angoisses existentielles comme la peur de l’échec, la volonté de se dépasser et les amours naissantes.

=> Seconds, conte moderne sur l’impossibilité des retours en arrière

Le retour de la bondrée d’Aimée de Jongh : L’histoire de Simon, jeune libraire au bord de la faillite, marqué par un événement dramatique, va devoir faire face à ses souvenirs. Entre rêve et réalité, entre passé et présent, un récit intimiste et touchant en noir et blanc, réalisé par une jeune et talentueuse auteure néerlandaise, Aimée de Jongh. Récompensée en 2015 par le Prix Saint-Michel (Bruxelles)

=> Aimée De Jongh: « Dans mes BDs, je mets peu de textes pour que les lecteurs ressentent les dessins »

Opération Copperhead de Jean Harambat : Copperhead, c’est le secret, c’est le théâtre, c’est l’aventure… Il y a même une pincée d’amour… Copperhead, c’est une histoire rocambolesque du contre-espionnage britannique pendant la Seconde Guerre mondiale, inspirée d’un authentique fait réel, où rien n’est entièrement vrai ni entièrement faux… Jean Harambat livre une comédie enlevée où se télescopent Winston Churchill, le général Montgomery, David Niven, Peter Ustinov, vrais sosies et faux-semblants dans le Londres du Blitz. Prix René Goscinny 2018 du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême.

=> Opération Copperhead : à un doigt du sosie parfait

Voilà pour la présentation de ces titres miniaturisés sans en amoindrir l’impact. Mais alors, ça vaut vraiment le coup en version poche? Pour tout dire, j’aime les originaux, le format pour lequel l’auteur a signé et dans lequel il a vu naître son oeuvre, sa puissance, sa singularité et sa patte. Alors, c’est vrai, parfois, le choix du format n’est pas le bon et il faut plisser les yeux pour capter des petits détails. Raison pour laquelle je suis dubitatif quand j’entends qu’on va mettre en poche des albums, déjà initialement moins grands que le format traditionnel franco-belge.

© Harambat/Merlet chez Dargaud

Quand est arrivée l’heure de vérité, je suis d’abord allé voir à quoi ressemblaient le Revel et la symphonie de Glenn Gould. Parce que niveau miniatures et effet stroboscopique, cet album magnifique est balèze. Et, sans plisser les yeux, j’ai trouvé le nouveau format très juste et clair. Comme pour les autres oeuvres adaptées. C’est souple, agréable à emporter et à lire dans des endroits peut-être moins « stériles » que l’édition originale. Le prix? Moitié moins cher si pas plus que la version initiale.

© Sandrine Revel chez Dargaud

Puis, il y a ce jeu de la collection. Ces albums choisis, jusqu’ici, n’étaient pas liés, n’avaient même pas les mêmes tailles. Par la maquette, le dos, la lettrine de Dargaud, c’est de manière simple et efficace, élégante, que ces histoires emblématiques du savoir-faire de Dargaud et ses auteurs trouvent une jolie famille. Qui invite à la redécouverte. En picorant ou en achetant le lot.

À lire chez Dargaud.

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