Les années passent mais la production de récits de guerre ne se s’est pas amoindrie pour autant. Dans tous les genres, tous les formats et tous les médias. Malgré la disparition des survivants, ces récits nous aident à ne pas oublier et c’est sans doute une bonne chose même si la redondance est parfois inévitable. Ce n’est pas le cas ici, avec cette sélection, en compagnie de héros malgré eux et oubliés injustement, qui nous font découvrir la guerre, tentaculaire, sous trois facettes bien différentes.
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The Regiment : le Sahara comme grand échiquier, que rêver de mieux ?
Résumé de l’éditeur : L’histoire vraie du SAS, les forces spéciales de l’armée britannique. Pour faire face à l’écrasante supériorité de l’Afrikakorps de Rommel, des officiers ont l’idée de créer un petit régiment d’hommes surentraînés, voué à combattre exclusivement derrière les lignes ennemies. Après une période d’entraînement et de missions de reconnaissance, le SAS lance ses premiers raids sur les aérodromes allemands.

Avec cette nouvelle série avec vue sur la grande histoire de la guerre, Vincent Brugeas, Thomas Legrain et Elvire De Cock nous dépaysent pour nous emmener au coeur du désert après Lawrence d’Arabie et bien avant les Démineurs de Kathryn Bigelow, sur les mêmes territoires qu’Un taxi pour Tobrouk, toutes proportions et tout ton gardés. Sur les traces du SAS, pas celui de Gérard De Villiers mais le sigle qui signifie Special Air Service, « l’unité d’élite, forgée dans le désert, au contact de l’ennemi… » Car dans la première moitié des années 40, l’ennemi est partout même si à force d’albums prenant comme cadre la France, la Belgique, la Pologne ou, bien sûr, l’Allemagne, on aurait peut-être eu tendance à oublier que cette guerre est bel et bien mondiale.

Faisant passer la guerre dans le camp de l’aventure humaine (et inhumaine) nos trois auteurs mercenaires retracent ainsi la création du SAS emmenée par de véritables fous de guerre (plus fous que de guerre, d’ailleurs) britanniques sur la pente glissante des sables mouvants à force de coups de semonce de ce renard de Rommel. Le Sahara comme grand échiquier que rêver de mieux ? D’autant plus avec en guise de pions des officiers ayant plus à gagner qu’à perdre et donc capables des déplacements et de stratégies les plus risquées. Et de risque, ce premier album n’en manque pas, dans les airs, au sol, dans les regards que peuvent se lancer les personnages mais aussi, dans ce désert insondable et recelant mille pièges. Dans la sueur, les larmes ou la jubilation après une victoire de courte durée.

Car au fil des mètres gagnés, on approche toujours un autre combat compliqué. Bien fagoté, ce premier tome utilise la force du désert tout en retournant contre lui sa monotonie apparente dans un scénario en béton armé sur lequel le dessin de Thomas Legrain (c’est du caviar, encore plus quand il s’assume dans des séquences qui chassent les mots sous des Takatakatak cinglants ou dans le calme le plus complet) et les couleurs d’Elvire De Cock (avec, forcément, des couchers de soleil sur la guerre comme dans beaucoup de films, mais aussi une capacité à mettre en couleur ce désert pour qu’il inspire à la fois la beauté mais aussi toute son âpreté) n’ont qu’à se glisser avec brio. « Le SAS vivrait et pour longtemps ».

Série : The Regiment – L’histoire vraie du SAS
Tome : 1
Scénario : Vincent Brugeas
Dessin : Thomas Legrain
Couleurs : Elvire De Cock
Genre : Guerre
Éditeur : Le Lombard
Nbre de pages : 64
Prix : 14,45€
Date de sortie : le 06/10/2017
Extraits :
Le photographe de Mauthausen : coûte que coûte, faire témoigner le plaisir sadique des nazis contre eux

Résumé de l’éditeur : Comme beaucoup de ses camarades déportés dans le camp de Mauthausen, Francisco Boix ne pensait qu’à survivre à ce cauchemar éveillé. Mais lorsqu’il croise le chemin du commandant Ricken, esthète nazi des plus pervers, qui prend plaisir à photographier l’horreur, le jeune homme comprend qu’il tient là un témoignage unique. À condition de parvenir à faire sortir les photos du camp…

Quand on parle de devoir de mémoire, on oublie bien souvent qu’il s’agit avant tout d’un combat… à travers les âges, face à ceux qui nient ou édulcorent ou à ceux qui prônent une seule et uniforme vérité. Le photographe de Mauthausen de Salva Rubio, Pedro J. Colombo et Aintzane Landa se range ainsi du côté des voix fortes et pourtant si chétives de ceux qui ont pourtant mis toute leur énergie dans un combat… perdu d’avance.

Malgré toute l’envie, tout le sang, toute la santé, toute la vie et toute la mort mis à l’ouvrage… oublié par l’Histoire, celle que les plus éloquents ont écrite. Pourtant, qu’y a-t-il de plus évocateur qu’une photo de ce réel innommable et pourtant pris sur le fait. Ainsi Francisco Boix est un héros effacé par les années. Il a fui l’Espagne, son pays, quand la résistance contre le franquisme était devenue vaine, avant d’être fait prisonnier politique dans un de ces camps du désespoir, témoin de la violence et la barbarie sans noms. Le camp de Mauthausen, cauchemardesque.

C’est alors que Francisco va se retrouver au service de l’Erkennungsdienst (le service d’identification) de Paul Ricken, véritable laboratoire photo de la Gestapo. Officiellement pour identifier les détenus à leur entrée. Officieusement pour garder une dernière image de leur révérence, de leur décès « accidentel ». Avec force de mise en scène. Mais si cette arme à double-tranchant se retournait contre les Nazis et servait à documenter l’horreur des camps à l’issue de la guerre ? En faisant sortir les négatifs du camp. L’idée est folle, le périmètre totalement sécurisé et surveillé mais Francisco veut croire en cette chance de lancer un peu plus l’alerte.

L’histoire est glaçante, encore plus celle qui répond à la sortie du camp de Francisco où il a l’effroi de constater qu’à Nuremberg il est resté un numéro. Les trois auteurs refusent de céder à la panique et à entrer dans le jeu des occupants, plaçant la monstruosité entre un début et une fin de récit optimistes, où brille l’espoir. L‘histoire n’est pas pour autant belle, mais oeuvrant avec suspense plutôt que tire-larmes, les trois auteurs réussissent une belle oeuvre qui remet en question le statut de héros tel qu’on le conçoit et tel qu’il catégorise certains hommes et femmes restés dans les annales plutôt que d’autres. Et puis, il y a le trait de Pedro J. Colombo (une découverte pour ma part) qui supplante tout dans un traitement graphique moderne et luxueux (des double-planches aussi édifiantes que les ombres et les monstres qui s’y cachent). Tout pour marquer les esprits et les mémoires.

Série : Le photographe de Mauthausen
Récit complet
Scénario : Salva Rubio
Dessin : Pedro J. Colombo
Couleurs : Aintzane Landa
Genre : Guerre, Histoire, Biographie
Éditeur : Le Lombard
Nbre de pages : 168
Prix : 19,99€
Date de sortie : le 29/09/2017
Extraits :
Opération Copperhead : à un doigt du sosie parfait

Résumé de l’éditeur : Opération Copperhead, c’est une histoire aussi vraie que rocambolesque du contrespionnage britannique pendant la Seconde Guerre mondiale. À partir d’un fait réel, Jean Harambat crée de toutes pièces une histoire d’une inventivité folle et réalise un pastiche désopilant et fantaisiste de trois protagonistes : les comédiens David Niven, Peter Ustinov et Clifton James. Il s’agit, selon une idée de Winston Churchill, de recruter et de former un sosie (Meyrick Edward Clifton James) pour jouer le rôle du général Montgomery – le général des forces alliées, alors surveillé par les nazis – et ainsi induire en erreur l’ennemi quant au lieu réel du Débarquement. Dans le même temps, alors que la capitale anglaise subit le Blitz, la vie se déploie dans les cabarets où officie une vénéneuse – et néanmoins charmante – jeune femme, Vera.

Avec Opération Copperhead, on reste bien au chaud pour se glisser dans l’arrière-cuisine de la guerre avec une folle histoire : celle de Meyrick Edward Clifton James. Vous ne le connaissez pas, on ne vous en voudra pas, pourtant sachez qu’il a failli avoir un rôle en or et déterminant dans – toujours – cette deuxième guerre mondiale. Bon, il ne fut et ne sera jamais l’égal de Peter Ustinov et David Niven, ses deux comparses de légende dans cette folle aventure, mais Clifton James avait un atout : il était le sosie (comme d’autres grands de ce monde en ont un, fantasmé ou bien réel) de Montgomery en personne… ou en double.

Et double, Clifton James voyait plus souvent qu’à son tour, tombé dans l’alcool quand il était petit ou presque. Et ça, ça n’allait pas aider malgré toute la bonne volonté de ceux qui le soutenaient. Monty en pire, donc.

Dès le pitch de départ, on se marre. Il faut dire que Jean Harambat a déniché une pépite du contre-espionnage, assez réelle que pour être crédible (notamment par l’apport de morceaux choisis des autobiographies de David Niven, Peter Ustinov et Clifton James) , assez trouble que pour ne pas brider l’imagination fertile de notre auteur, entre esthétique du cinéma de cette époque et un feeling tout britannique. Car, mettre Clifton James dans la peau de Monty, un tant soit peu au moins, en vue de risquer sa peau mais de tromper les nazis en un lieu bien loin du débarquement, ça n’avait rien d’une partie de plaisir. Tout comme il y a un monde entre le cinéma de propagande et la réalité pure et dure, sans artifice.

Dans Opération Copperhead, la guerre se joue ainsi dans Londres, à l’abri du fracas… plus souvent dans les bars jusqu’à plus soif que sur les plateaux et les camps d’entraînement. Dans les couleurs de ce temps révolu, Jean Harambat livre un récit haut en couleur dont, à aucun moment, on ne cherche à défaire le vrai du faux. C’est assumé et c’est tant mieux, pétillant et succulent, avec une âme british jusque dans les couleurs d’Isabelle Merlet. Comme quoi, on peut en apprendre sur la guerre sans avoir les larmes aux yeux… ou du moins pas de tristesse mais de joie.

Titre : Opération Copperhead
Récit complet
Scénario et dessin : Jean Harambat
Couleurs : Isabelle Merlet
Genre : Espionnage, Histoire, Humour, Fiction réalité, Réalité fictionnalisée
Éditeur : Dargaud
Nbre de pages : 176
Prix : 22,50€
Date de sortie : le 29/09/2017
Extraits :
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