Thomas Legrain, auteur au coeur du désert de la guerre dans The Regiment: « Si le lecteur se pose une seule question, c’est que j’ai mal fait mon boulot »

En ces temps de trêve, on connaît des militaires qui vont passer la nuit de la Saint-Sylvestre au creux du désert. Pendant ce temps-là, le premier cycle de The Regiment est bouclé et s’offre aux lectures au coin du feu. Question de contraste mais aussi d’histoire passionnante et passionnée. De tout temps, le désert a été un enjeu stratégique, mettant son grain de sable dans l’art de faire la guerre. C’est dans ce décor que Vincent Brugeas et Thomas Legrain racontent l’histoire vraie de la naissance du SAS, Special Air Service des forces armées britanniques. Interview avec le dessinateur gembloutois de cette épopée, Thomas Legrain qui délaisse l’univers urbain de Sisco pour laisser le désert dicter sa loi et ses grands espaces. Et la guerre ses ravages.

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© Brugeas/Legrain/De Cock chez Le Lombard

© Jean-Jacques Procureur

Bonjour Thomas, je lisais qu’avant de faire de la BD, vous aviez étudié l’histoire, non ? Pourquoi ?

Oui, à la base, je suis licencié en histoire et en criminologie. Mais je n’ai jamais exercé. En fait, je ne voulais pas faire les Beaux-Arts, on m’avait conseillé de ne pas faire d’études. Mais j’ai toujours eu envie de faire de la BD.

Être historien, ça aide à faire de la BD ?

Je ne crois pas. Quoique, quand j’ai dû faire une BD historique, comme c’est le cas avec The Regiment, je pense que j’ai eu à coeur de faire bien les choses. L’université enseigne la rigueur. Sans être tenu par la main mais avec des échéances à tenir.

© Brugeas/Legrain/De Cock chez Le Lombard

Vous dessiniez déjà en ce temps-là ?

Quand j’étais à l’université, je réalisais une bande dessinée par an. Bon, elles n’étaient pas vouées à être publiées. Mais j’apprenais, je me perfectionnais. J’ai dû en faire une petite douzaine. Je n’ai jamais dessiné en dehors des albums BD, il m’importait de faire des planches. J’ai toujours gardé le même matériel, de manière artisanal.

À partir de mes 17-18 ans, j’ai commencé à montrer mes albums. J’avais de bons retours, tout en sachant pertinemment que ce n’était pas publiable. Puis, j’ai rencontré deux fois Tibet, grâce à un ami de la famille. Il m’a proposé de rencontrer Yves Sente qui était directeur éditorial du Lombard. Ce fut mon premier contact avec Le Lombard. Je ne voulais pas être publié, juste avoir des conseils, rencontré des gens du métier.

Mon trait était déjà réaliste à l’époque. D’inspiration Van Hammienne comme ce que je pouvais voir dans Largo Winch, XIII ou Thorgal. Je faisais du policier, de la science-fiction, surtout. Ce qui m’amenait plutôt dans une veine contemporaine.

J’ai toujours été autodidacte. Sur mes premiers dessins, j’imaginais des petits bonshommes, je faisais des courses-poursuites. En fait, le cinéma m’a donné envie de faire de la BD… ou plutôt de raconter des histoires avec les facilités qui étaient les miennes : le dessin. Ainsi, je me souviens avoir redécoupé à ma manière un Robocop. Ce sont des codes narratifs complètement différents mais l’idée de faire des prises de vue reste.

Quand avez-vous commencé à être publié ?

Juste après mes études. Au moment où j’aurais dû chercher un travail, j’ai pu m’engager dans cette voie. Sur le site BD Paradisio, des jeunes auteurs pouvaient exposer tous les mois. C’est là que Jean-Claude Bartoll, qui était un scénariste confirmé, m’a repéré et que nous avons pu signer chez Casterman (L’agence) et Glénat (Mortelle riviera). Bon, avec mon niveau de l’époque, je ne pense pas que je pourrais être publié aujourd’hui. Je suis un enfant de la surproduction, comme d’autres, et ça m’a permis, assez tôt, de faire mes armes dans les meilleures conditions et chez des grands éditeurs.

Aujourd’hui en moins de quinze ans de carrière professionnelle, vous comptez 21 albums dans votre bibliographie. Pas mal !

Je travaille beaucoup mais vite. Je n’ai jamais forcé, je garde un rythme naturel. Cela dit, dans le monde de la BD, la surproduction est toujours là. Ce qui a changé ? Que les jeunes dessinateurs sont au point très tôt. J’ai commencé très tôt, je n’ai pas honte de le dire, mais j’ai eu le temps d’évoluer. Je n’ai jamais connu autre chose que cette concurrence franchement rude mais qui pousse la BD vers le haut. Il est difficile, aujourd’hui, de faire carrière sur son nom comme ça pouvait être le cas auparavant. Il n’y a plus de vases communicants. Ça s’est vu dans la collection Troisième Vague où officiaient des auteurs reconnus, comme Desberg. Bagdad Inc. qui est pourtant mon album préféré n’a pas trouvé son public.

© Desberg/Legrain/De Cock/Bekaert chez Le Lombard

Mais la surproduction n’est pas près de s’arrêter. Je crois que, par contre, Le Lombard réduit sa voilure pour mieux défendre ses projets.

Dans quelle ambiance travaillez-vous?

Je regarde des films. Ou plutôt j’en écoute. Comme je les connais par coeur, c’est pareil. Ou alors j’écoute des conférences, des émissions radio. Je ne suis jamais dans le silence. Et quand une partie de mon job demande plus de concentration, comme le story-board, la partie la plus créative de l’album, j’écoute des musiques de film.

Mes story-boards sont succincts mais l’essentiel y est.

Story-board d’une double planche du tome 11 de Sisco © Legrain

Comment êtes-vous arrivé à vous engager dans The Regiment, qui correspond plus à vos études, si je comprends bien ?

C’est vrai que je me suis plus illustré dans le thriller contemporain et urbain. Je voulais faire autre chose, profiter de décors naturels. Avec Sisco, je suis dépendant de la documentation, comme l’action se déroule principalement à Paris, je ne peux pas faire n’importe quoi. C’était enrichissant d’aller voir ailleurs.

Je l’avais déjà fait sur Bagdad Inc en compagnie de Stephen Desberg. Ce fut mon pire échec, mais on apprend de ce genre de chose. Puis je préfère me planter sur un one-shot que sur une série. C’était un découpage plus cinéma que BD, quasi-exclusivement en 16/9.

© Brugeas/Legrain/De Cock chez Le Lombard

J’ai repris cette manière de faire mais moins systématiquement. Cette technique permet de donner de la profondeur, de travailler les arrière-plans.

Tout en veillant au bon équilibre entre le texte et l’image.

Il ne faut pas que le texte soit invasif. Vincent Brugeas comme Stephen Desberg ont veillé à alléger ce qu’ils écrivaient. Dans Sisco, tout passe par les dialogues, les cartouches m’insupportent. Sauf si c’est pour situer l’action, bien sûr.

© Brugeas/Legrain/De Cock chez Le Lombard

La bande dessinée, c’est l’art de l’ellipse. Entre les cases, le lecteur doit imaginer ce qu’il se trame. Et si les auteurs font bien leur boulot, il ne doit pas pour autant sortir des cases. On peut faire passer plein de choses par le texte mais aussi sans. Par les dessins. Il m’importe dans les albums que je réalise que le lecteur ne s’éloigne jamais de l’histoire. Il faut que ça reste lisible et si le lecteur se pose une seule question, c’est que j’ai mal fait mon boulot. Je m’efforce toujours de me mettre à sa place.

On ne peut pas se raconter l’histoire pour soi-même. Je dois déjà répondre à ça quand je choisis un projet. Après, la narration est ce que j’appelle un « talent » naturel, parce que j’aime raconter des histoires. Pour que les gens les comprennent, par contre, il faut y mettre la volonté, la passion. Je pense que je n’ai jamais eu de souci de lisibilité mais qu’il m’a fallu atteindre une certaine maturité graphique. Plein de gens sont bien plus doués que moi. D’autres n’ont pas de talent graphique naturel mais sont de gros bosseurs pour arriver à leurs fins. Il y a plusieurs profils. De même que des illustrateurs sont parfois incapables de raconter des histoires.

Vous revenez régulièrement avec le fait que faire du scénario, ce n’est pas pour vous.

Non, je ne pense pas avoir le talent de l’écriture. Bon, je fourre pas mal mon nez dans les scénarios de mes auteurs. Et je ne commence jamais une BD avant qu’elle soit complètement écrite.

© Legrain

Comment est né The Regiment ?

C’est un travail de commande, une idée de l’éditeur. Nous ne nous connaissions pas, Vincent Brugeas et moi. Mais il m’a très vite convaincu. Après 5-6 pages de scénario, j’avais toutes les preuves que cette collaboration serait enrichissante. Mine de rien, c’était un projet au temps long, échelonné sur plusieurs années. Il faut bien réfléchir avant de se lancer, il n’est pas question de commencer à s’embêter à mi-chemin.

Pour l’anecdote, la première illustration que j’ai réalisée, pour présenter le projet est celle qui orne le fourreau qui regroupe les trois tomes. Comme quoi.

© Brugeas/Legrain/De Cock chez Le Lombard

Ce fut déjà le cas ?

Pas à proprement parler. Mais sur L’Agence, nous envisagions des diptyques mais l’éditeur a tenu à ce que nous ramassions l’histoire en un seul tome. J’y ai pris peu de plaisir, je n’étais pas bien payé. Mais il m’a fallu attendre Sisco pour vraiment vivre de mon art.

Sisco, avec Benec, un scénariste inconnu.

Non, il n’avait rien fait. Il m’avait remarqué comme Jean-Claude Bartholl l’avait fait, quelques années plus tôt, et il m’avait envoyé le début du premier diptyque de Sisco. C’est seulement après qu’il a reçu le Prix Raymond Leblanc. Son histoire me plaisait mais j’étais toujours sous contrat avec Casterman et Glénat. Je lui ai dit : « Attends-moi ». Ce qu’il a fait. Et j’ai signé chez Le Lombard.

© Benec/Legrain/Peng chez Le Lombard

Votre maison d’édition depuis un bout de temps déjà.

C’est une maison d’édition belge, le contact est plus facile. J’y ai l’impression d’avoir plus mon mot à dire. Chez eux, j’ai senti que je passais un cap, que j’avais désormais les deux pieds dans le métier.

Mais, je crois qu’avec mes deux projets chez Glénat et Casterman, je m’étais montré fiable. J’avais produit, sans retard, deux albums réalistes par an, j’avais gagné en qualité. J’avais fait mes preuves. Pour l’anecdote, L’Agence avait été d’abord refusé par Le Lombard.

© Bartoll/Legrain/Busca chez Casterman

Mais ils m’ont fait confiance pour Sisco. Ce ne fut pas un best-seller mais nous avons vendu 30 000 exemplaires du premier tome. Et nous avons un socle de base de 12 000 lecteurs. Avec des traductions en néerlandais, allemand. Et la parution, en Italie, dans des fumettis. Pour The Regiment, ce sera en anglais et en format cartonné, ce qui n’est pas si courant.

Comment créez-vous les univers de vos albums ?

Pour Sisco, je ne suis pas vraiment sorti de ce que je faisais avant. J’ai trouvé tout de suite. Pour Bagdad Inc., il m’a fallu plus de documentation militaire. Une ou deux fois dans ma carrière, j’ai dû créer des personnages que je ne maîtrisais pas.

Avec The Regiment, il y a ce sticker qui garantit « L’histoire vraie du SAS ». Il ne faut pas se louper. Mais un ancien militaire s’est proposé pour m’aider dans mes recherches. Comme, sur Sisco, un ancien garde du corps de Mitterrand m’a raconté des anecdotes. Sans m’en servir telles quelles, ça m’a permis de crédibiliser plus facilement mon univers, d’ancrer un maximum les scénarios dans une forme de réalité. Puis, deux généraux à la retraite procèdent à la vérification des planches.

© Legrain

Dans The Regiment, vous avez eu cette folie de tuer… le narrateur.

C’était le but, rendre émouvant ce passage. Mais surtout, l’Histoire le voulait. Notre personnage est vraiment mort.

Nous connaissons Vincent Brugeas surtout pour le duo diabolique qu’il forme avec Ronan Toulhoat.

Oui, ils étaient déjà grands amis avant de collaborer. Je crois être l’un des premiers dessinateurs autres que Ronan avec qui Vincent travaille. Chaque dessinateur a son propre rythme et sa manière de l’insuffler. L’adaptation de l’un à l’autre va dans les deux sens. Il est important de savoir qu’on peut se fier à l’autre. Vincent est fiable et il m’a plutôt rassurée. Ce n’est pas pour rien que Le Lombard nous avait mariés, cela dit.

© Brugeas/Legrain/De Cock chez Le Lombard

Il faut naturellement éviter les clichés dans ce genre de récit.

Tout en sachant qu’il y a des codes auxquels on n’échappe pas. Dans Sisco, l’originalité était de les retourner, d’en jouer.

Avec The Regiment, il n’était pas question de sortir une BD historique plan-plan. Ce n’est pas si simple de répondre à des codes sans les aliéner. Mais la voix off nous a permis d’envisager l’histoire différemment. Nous ne voulions pas que ce soit une histoire trop datée tout en y étant obligés. Il fallait trouver le juste équilibre.

© Brugeas/Legrain/De Cock chez Le Lombard

Le tout, principalement dans le désert. Loin du Paris dont vous pouviez vous sentir parfois prisonnier.

C’est sûr le décor de Sisco est contraignant. De ce désert proposé dans The Regiment, ça aurait été stupide de ne pas en profiter. La question se posait tout de même : comment varier les décors ? J’ai été heureux de constater qu’en réalité il y a plein de types de déserts différents. De la rocaille, des vallées vertes, des lacs salés, en Lybie, en Égypte.

Avec un gros travail de couleurs.

Elvire De Cock, ma coloriste depuis Bagdad Inc., a réussi à insuffler quelque chose de différent. Son travail des couleurs, c’est une vraie création. Sur cet album, elle m’était encore plus indispensable. Mon dessin et ses couleurs étaient en osmose. C’est pointilleux, les couleurs. Elles permettent, sans mot, de donner l’indication du moment au lecteur, la variation de l’ambiance. Tant pour le dessin que les couleurs, le désert offrait une belle palette.

© Brugeas/Legrain/De Cock chez Le Lombard

Et vos planches encrées, alors ?

Je fais toujours en sorte que mon travail se tienne en noir et blanc. Dans mes planches de nuit, je ne pousse pas le noir. Le problème, c’est qu’il y a des choses qu’on n’arrive pas à distinguer dans le noir et blanc, comme le moment auquel se passe l’action. Il faut faire confiance à la coloriste. Mais Elvire est dessinatrice aussi, elle comprend les volumes, les codes. Nous sommes arrivés en même temps dans le métier. Dix ans plus tard, je l’ai vue rechercher du boulot en tant que coloriste. Elle n’avait jamais fait d’album réaliste. The Regiment, c’est vraiment sa maturité.

Dans ces trois albums, il y a beaucoup de personnages, tous des hommes quasiment. Il a fallu en créer une flopée. Qui ne se différencie quasiment que par le visage comme l’uniforme porté est souvent le même.

C’est vrai, il m’a fallu en créer énormément. Ça m’a obligé d’aller contre mon défaut, cette tendance à créer les mêmes personnages. Ici, je me suis appliqué à créer des gueules, à changer leurs structures. Je m’inspire aussi d’acteurs mais comme je ne suis pas bon caricaturistes, au fil de mes recherches, ils s’éloignent de leur modèle. Pour notre trio principal, il y a Liam Neeson qui a servi de modèle de manière assez évidente au lieutenant-colonel David Stirling, Rutger Hauer, dans ses jeunes années, pour le lieutenant-colonel Blair « Paddy » Mayne et Jonathan Rhys Meyers pour le lieutenant Jock Lewes.

© Legrain
© Legrain

Historiquement, nos personnages sont des antihéros, des têtes brûlées, pas des défenseurs de la veuve et l’orphelin. Le genre de personnages que j’aime en fait.

Vous prenez des poses ?

Comme mon père est un photographe, aujourd’hui à la retraite, j’aurais tort de me priver. Il a un vrai sens de l’image, du cadrage. Du coup, je prends des poses ou je fais poser les autres. Ça permet d’éloigner les tics, de varier les positions. Mais, pour les scènes d’action, je ne prends jamais de photos. C’est la dernière chose à faire. Le risque est grand que la scène devienne statique.

Puis, il y a le jeu de la confiance qui intervient pour se dire, à un moment, qu’on n’a plus besoin de photo. Mais, c’est sûr, la bande dessinée réaliste prend du temps, il faut gagner en expérience , en maturité. Ce n’est pas une question de facilité, je serais incapable de dessiner dans un style humoristique, c’est une question de contrainte.

© Brugeas/Legrain/De Cock chez Le Lombard

Et pour les engins ?

Ce fut surtout un travail de documentation. Les engins d’époque sont beaucoup plus faciles à dessiner, plus carrés que les machines modernes qui sont plus en courbes. Cela dit, ça reste du travail.

Il faut parfois lutter contre la facilité, contre Wikipedia, quand on se documente ?

Mais trouver les véhicules, ce n’est pas le plus compliqué. J’ai la chance de pouvoir compter sur des photos de passionnés. Le plus dur et la contrainte, c’était de trouver les bonnes escadrilles, sur place au bon moment, les bons types de camouflages. J’ai parfois passé trois heures à chercher le bon écusson. Résolument, je ne pouvais pas faire n’importe quoi.

J’ai pu compter sur des amis qui m’ont prêté des bouquins sur les insignes des corps armés. Ma base reste la documentation papier. Mine de rien, beaucoup de passionnés suivent des séries comme celle-là. Je préfère m’allier les services de gens passionnés plutôt que de dire des bêtises. Ma maxime, c’est : « Si tu ne peux pas vaincre l’ennemi, il faut se l’allier ». Je leur fais relire mes planches.

© Brugeas/Legrain/De Cock chez Le Lombard

Puisqu’ils ont eu la primeur, ils seront moins tentés de vous opposer des critiques à la sortie ?

C’est tout le but, qu’avant impression, ils corrigent les erreurs qui leur sautent aux yeux. Bon, ce n’est pas de l’obsession au boulon près. Je corrige ce que je veux. Mais, c’est fou le temps qu’on perd sur des détails. La rigueur est cependant indispensable. J’imagine que des petits défauts sont restés mais personne ne me l’a fait remarquer jusqu’ici.

Et l’action ?

J’adore l’action. C’est un grand plaisir de l’impliquer dans certaines scènes. Dans The Regiment, il en fallait, forcément.

© Brugeas/Legrain/De Cock chez Le Lombard

Avec pas mal de double-planches.

Oui, pour la première fois. Mais, dans notre trilogie, nous sommes constamment avec les hommes du SAS, jamais avec l’ennemi. On parle peu de la deuxième guerre mondiale en fait. C’est un cadrage à hauteur d’hommes. Ce que nous racontons se passe entre eux et le désert. Il y avait des taux de perte délirants !

Vous faites aussi intervenir un bestiaire, avec pas mal d’animaux.

Et ils sont très difficiles à mettre en scène. J’ai dû storyboarder une scène dans laquelle Sisco se fait attaquer par un chien. Forcément agressif. Dans ce cas, il faut donner une personnalité à l’animal sans trop accentuer. Je me souviens, dans le tome 9 de Sisco, d’une séquence avec un chat. Infernal!

Dans The Regiment, c’était plus facile, les animaux africains faisaient de la figuration, ils prenaient la pose. Mais, encore une fois, ce genre de choses vient avec l’expérience. À un moment, on ne se pose plus de question.

En réalité, quand un problème d’acting, d’expression se pose, ça se joue principalement au storyboard. C’est à ce stade qu’on s’arrache le plus les cheveux. C’est moins de l’ordre graphique que de l’ordre intellectuel. Il y a des scènes sur lesquelles il faut se creuser la tête. Comme cette scène d’action dans Sisco, 6-7 planches muettes qu’il fallait rendre lisible. Cela dit, c’est gai. Dans The Regiment, nous nous approchons plus de l’illustration.

© Brugeas/Legrain/De Cock chez Le Lombard

Comment se nouent les relations avec le scénariste ? Il y a parfois des oppositions ?

Benec est très exigeant, mais nous trouvons toujours des compromis. Une ou deux fois, l’éditeur a dû trancher car nous n’arrivions pas à nous mettre d’accord. Mais, en général, je suis plutôt du genre à penser que s’il est question du dessin, c’est au dessinateur de trancher, et au scénariste, si le problème est de l’ordre scénaristique. Cela dit, nous bossons tous pour, ensemble, améliorer l’album.

Avec une évolution à chaque projet ?

Tout projet doit apporter quelque chose à l’auteur. Dont il se servira par la suite. Avec The Regiment, j’ai revu la taille de mes originaux. J’ai doublé la taille des formats sur lesquels je travaille. Je trouvais que mon trait n’était pas assez souple. Cela limitait mon usage du marqueur-pinceau. En passant d’un A3 à un A2, je peux laisser plus aller mon geste, mettre plus de détails qu’avant aussi. La seule chose que je craignais, c’était d’y passer plus de temps. Mais non, pas du tout. On perd parfois plus de temps en faisant petit et pointilleux. Ici, c’est donc plus lâché, élancé. J’aime les détails, donner à manger au lecteur. Il n’y a pas que le scénario qui doit amener de la matière. Il faut permettre l’immersion.

© Brugeas/Legrain/De Cock chez Le Lombard

Et le numérique ?

J’y suis allergique. Je suis un irréductible. Je crois que la contrainte de ne pas trop avoir droit à l’erreur fait qu’on gagne en assurance. Le fait de ne pas pouvoir recommencer rend le trait sûr de lui. Mais, cela dit, certains artistes font des choses magnifiques sur leurs tablettes graphiques. Comme Fred Vignaux, c’est magnifique.

Après, l’outil numérique est tellement efficace que je ne sais pas s’il y a lieu de le critiquer.

Y’aura-t-il un deuxième cycle de The Regiment ?

Je ne sais pas. Il faut que nous réfléchissions à ce que nous allons faire. Le premier tome a fait un carton, avec 23 – 24000 exemplaires vendus. Mais le deuxième était plus en dessous. S’il devait y avoir un deuxième cycle, je crois que nous aborderions moins la grande Histoire mais plus des petites histoires.

Malgré mon bagage historique, je ne pensais pas faire un jour des albums parlant de cette Histoire.

Parlons un peu des trois couvertures.

Le moment de me lancer dans la couverture, c’est celui que je déteste le plus. Parce que la couverture, c’est une illustration, et je ne suis pas bon illustrateur. J’en réalise des bonnes de manière horizontale. Mais une couverture, c’est vertical. Bref, je fais des milliards de projets. Pour le premier tome, c’est celle qui m’a fait le plus cauchemarder. D’autant plus que la charte graphique conditionnait ce que je devais faire.

Who dares wins, c’est la devise du SAS. Qu’est-ce qui fait un succès en BD ?

C’est difficile à dire et à prédire. Il n’y a pas de mode d’emploi. Je crois qu’il faut savoir prendre des risques, ne pas se reposer sur les lauriers. Puis, il y a la concurrence des autres médias. Le temps que les gens passent à regarder des séries, ils ne le passent pas à lire des BD. La BD reste un produit cher par rapport au temps de lecture. D’où l’importance de donner à manger au lecteur par le scénario et le dessin pour que le lecteur soit satisfait et se dise que cela valait la peine. La BD, c’est un produit matériel, un support, des coûts d’impression. Quand on voit le coût de l’abonnement Netflix, nous ne jouons pas dans la même catégorie.

© Brugeas/Legrain/De Cock chez Le Lombard

Le premier album qui sort, ça fait quelque chose ?

C’est stressant autant qu’excitant. Mais après, il faut en vivre. Du temps de Casterman et Glénat, malgré mes deux albums par an, je vivais chez mes parents. Je m’étais dit que si, à trente ans, je n’étais pas autonome, j’arrêtais. Heureusement, je le suis devenu. Cela dit, je ne sais pas si j’aurais réellement arrêté/

Il y a un côté marche ou crève dans ce métier, sans chômage, sans assurance, pas trop de syndicat. Il faut l’accepter tout en appelant les éditeurs à ne pas trop rabaisser leur prix par planche sous peine de passer à côté de talents. Ça a toujours été comme ça, dans la plupart des milieux artistiques. Le cinéma est un milieu ultra-violent.

La BD, c’est la régularité. Je tourne autour de 6-7 planches par mois. Quant aux droits d’auteur, ils sont de plus en plus durs d’accès, les ventes se tassent. L’auteur doit parvenir à vivre des avances que lui donne l’éditeur. Une production régulière garantit un revenu plus fiable que le talent. C’est sûr, la BD ne permet pas d’avancer en dilettante.

© Brugeas/Legrain/Decock chez Le Lombard

Sisco, ce sera bientôt fini ?

Je suis particulièrement attaché à Sisco, c’est mon petit bébé, la série qui m’a fait connaître. Il me fait rire, il est gai à mettre en scène. Nous en avions prévu douze tomes et nous aurons tenu notre pari. S’il y avait une suite, dans longtemps, elle ne pourra qu’être différente.

Notez qu’initialement, quand Sisco ne devait être qu’un diptyque, il était prévu de le faire mourir dans le deuxième tome. Quand nous avons proposé le projet, l’éditeur a très vite vu une série. Il fallait du coup savoir où nous allions, quelle serait la fin. Il fallait de la cohérence et un fil rouge. L’histoire d’amour de notre personnage.

Sisco, c’est une bande dessinée violente, politiquement incorrecte. Dès la cinquième planche, notre héros ne se prive pas de tuer quelqu’un. Il est amoral mais pas immoral. Ce personnage à la base imbuvable, nous devions amener le lecteur à l’aimer. Pour cela, il nous importait de développer ses failles, sa famille, son amour… tout en restant fidèle à son image de bad guy et de gros dur. Ça me permettait aussi d’imaginer quel pouvait être son état d’esprit dans telle ou telle histoire. Ce qu’il se passe avec son amoureuse amène les intrigues, alors que ce n’est pas du tout une série à l’eau de rose. Sans le dire, ce sont les affaires « mitterrandiennes » que nous passons en revue dans cette série. Il n’y a pas à dire, Mitterrand était le roi des casseroles.

Le onzième tome paraîtra en avril et le dernier en janvier 2021, on espère pour Angoulême.

© Benec/Legrain/De Cock chez Le Lombard
© Benec/Legrain/De Cock chez Le Lombard

Merci beaucoup Thomas, très belle fin d’année et excellente année 2020 !

Série : The Regiment – L’histoire vraie du SAS

Tome : 3

Scénario : Vincent Brugeas

Dessin : Thomas Legrain

Couleurs : Elvire De Cock

Genre : Guerre

Éditeur : Le Lombard

Nbre de pages : 64

Prix : 14,45€

Date de sortie : le 04/10/2019

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