Houba houba, yeehaw : face aux ombres et plus rapides qu’elles, bouffant du lion s’ils le veulent, le Marsupilami et Lucky Luke sont bien plus libres que l’air du temps

© Jul/Achdé/Mel chez Lukcy Comics

D’un côté l’homme qui tire plus vite que son ombre. De l’autre, celui qui saute plus vite que la sienne, avec sa puissante queue-ressort, couverte d’une fourrure jaune à taches noires. Deux héros mythiques du paysage franco-belge du Neuvième Art. Même s’ils sont en fait importés du continent américain. Au fil des décennies, ce cow-boy et cet animal se sont offert différents repreneurs dans une série au long cours et dans des aventures parallèles. Ont-ils réellement existé? Quand on a marqué l’imaginaire de centaines de milliers de lecteurs, sans aucun doute. Encore plus quand un fait avéré, comme les actions d’Henry Bergh (fondateur de la première SPA américaine) ou les recherches globe-trotteuses d’Alexander von Humboldt, inspire la fiction. C’est le cas dans ces deux nouveaux albums, le 10e de la série actuelle des Lucky Luke, L’arche de Rantanplan, et le one-shot de Flix mettant en scène un Marsupilami, L’animal de Humboldt. Deux récits qui prennent la défense de l’Animal mais aussi de l’humanité!

© Flix chez Dupuis

Houba houba, ça veut dire « ich bin ein Berliner »

© Flix chez Carlsen

Résumé de Dupuis pour L’Animal de Humboldt : Amérique du sud, décembre 1801. L’explorateur Alexander von Humboldt capture le Marsupilami, une créature totalement inconnue, tout en s’emparant de trois de ses œufs. Sa trouvaille exceptionnelle, apportée au musée d’Histoire naturelle de Berlin, y sera pourtant négligée puis totalement oubliée… C’est là, en 1931, que Mimi, une petite fille de 7 ans, va faire la rencontre du Marsupilami. Ensemble, ils vont mettre Berlin sens dessus dessous ! Mais surtout : ils vont tenter de retrouver les œufs du Marsu disparus dans la grande ville…

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© Flix chez Carlsen
© Flix chez Carlsen

Dans le souci de populariser Spirou au-delà des frontières franco-belges, Dupuis avait passé un accord il y a quelques années avec l’éditeur allemand Carlsen. En avait résulté le très bon Spirou à Berlin, avec la patte de Flix, un dessinateur de presse qui se débrouille admirablement dans les séquences avec son style un peu dinky toys. Le Berlinois récidive en tirant le diable de Palombie par la queue pour le ramener des tréfond des âges sauvages. Hé oui, dans cette histoire en deux temps, avec un long prologue, Flix nous raconte le Marsupilami bien avant sa rencontre avec Spirou et ses amis. En 1801 puis en 1931. Un peu à la manière de Frank Pé dans La Bête – il y a des similitudes mais, heureusement, les deux récits prennent des directions différentes -, Flix extrait donc l’animal hyperkinétique du « Spirou Universe », sans le dénaturer mais en le retrouvant dans son élément naturel.

© Flix chez Dupuis
© Flix chez Dupuis

C’est par le fantasque Alexander von Humboldt, un aventurier qui avait gardé son âme d’enfant, curieux de tout, ce qui lui valut dans différents domaines d’être parmi les (si pas le!) scientifiques les plus influents de son siècle, que Flix met la main sur le Marsupilami dans une inénarrable séquence entre ciel et terre, neige et chaleur tropicale, sueur froide et incendie. Choc des cultures et choc des survies (« tout est interaction » comme Humboldt prend plaisir à dire, un précepte qu’on garde en mémoire tout au long de l’aventure), effusion graphique et bons mots qui ont du répondant. On fait le plein d’aventure, la vraie, avant de se heurter à la ville, nettement plus engoncée dans des règles qui balisent une liberté toute relative. Berlin des années 30, le régime nazi est déjà bien en marche, et ça se sent dans la couleur, l’atmosphère, les messes basses et la folie des grandeurs de certains. C’est là que le Marsupilami va être réveillé après 150 ans d’un profond sommeil, en compagnie d’une momie façon Rascar Capac. Et c’est en compagnie d’une petite fille, Mimi, toute innocente et énergique dans un monde qui brimera bientôt les siens, que l’animal va prendre ses repères. Dans cette société pleine de faux-semblant.

© Flix chez Carlsen

Le Marsupilami et les enfants, c’est une histoire qui fonctionne. On se souvient de Petit Noël, notamment. Mimi est tout aussi charismatique, droit au but, totalement investie par la quête de cet ami tombé du ciel (ou plutôt d’un rang de valises dans le Musée où travaille Monsieur Otto, qui va prendre sous son aile notre héroïne) dont elle décrypte les houba houbi. Elle essaie bien de le cacher, dans un premier temps, mais vous savez comme le Marsupilami n’en fait qu’à sa tête et qu’à sa queue, et ne tient pas en place. C’est ainsi que très vite une double-histoire se met en place: la quête essentielle, vers l’avant, furieuse, et le coup d’oeil dans le rétroviseur pour voir toutes les gaffes que le Marsupilami réalise de son incroyable appendice. Il remet ainsi, l’air de rien, de l’ordre dans ce monde pourri, contrecarre les bandits ou vole les riches pour donner aux pauvres. Robin de la jungle.

© Flix chez Carlsen
© Flix chez Carlsen

Dans le fond et la forme, Flix confirme tout le bien que je pensais de lui depuis son incarnation de Spirou. Ce Marsupilami, sans œillère, y compris quand il s’agit de traverser furtivement une soirée olé olé ou saboter un commerce de fausse-fourrure, est très réjouissant, libéré dans un monde de plus en plus enserré par un pouvoir autoritaire et manipulateur. Quitte à créer des surprises et un retournement de situation inattendu et grave. « Tout est interaction », disait Humboldt, Flix lui rend un bel hommage en prouvant que la richesse vient des associations plutôt que des oppositions.

À lire chez Dupuis.

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Lucky Luke, bientôt à la tête de troupeaux de tofus?

Résumé de Lucky Comics pour L’arche de Rantanplan : Pour Lucky Luke, l’heure n’est pas aux « Adieu veau, vache, mouton, couvée »… À Cattle Gulch, un type farfelu nommé Ovide Byrde a établi un havre de paix pour animaux, avec Rantanplan pour figure de proue. Tout cela n’est que douce dinguerie jusqu’au jour où Rantanplan découvre bien malgré lui un gisement d’or. Soumis à la mauvaise influence d’escrocs sans foi ni loi, Ovide Byrde se mue alors en tyran local et impose régime végétarien et protection animale à marche forcée aux autochtones. Du bien-être animal à la tyrannie, du jamais vu dans l’Ouest sauvage !

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De son lointain Far-West, Lucky Luke est loin d’être déconnecté de notre réalité, il nous l’a toujours prouvé. La preuve avec ce nouveau tome toujours servi par Jul (depuis 2016) et Achdé (depuis 2003), sous une couverture qui a tout d’une campagne de sensibilisation au bien-être animal. Si la devanture n’est pas heureuse et sans point de vue (toute la faune rassemblée là, dont Lucky Luke, Jolly Jumper et Rantanplan, regarde dans toutes les directions, foutraques, et perd complètement le lecteur), c’est bien de ça dont il est question : le respect de l’animal et de ce qu’il y a dans notre assiette. Au saloon, dans le pénitencier le plus proche (où les Dalton cassent des cailloux et font de la figuración et Tacos passent à l’action) ou au pied du grand totem, il y a des surprises dans les assiettes, moins de protéines, plus de légumes. Sur la piste d’Henry Bergh, les auteurs s’amusent à déconstruire ce qui a fait l’Ouest, la culture des troupeaux viandeux à conduire d’un bout à l’autre du pays.

© Jul/Achdé/Mel chez Lukcy Comics

No pasaran à Cattle Gulch (ou plutôt Veggie Town) où la peur a changé de camp. Ovide Byrde ne passe plus pour un original depuis que, à l’insu de son plein gré, ses hommes de main invitent quiconque a les crocs à faire festin d’autre chose que de la bidoche! Ici, c’est la capitale du véganisme, et qui va se frotter aux coutumes avant-gardistes locales? C’est bibi, enfin c’est Lucky et Jolly. Mais comme ce nouveau régime (pas qu’alimentaire) s’impose selon la loi du plus fort (et du mieux armé), cela n’est pas sans engendrer quelques petits problèmes qui ne se posaient pas avant. Dont l’inénarrable Rantanplan a peut-être les clés.

© Jul/Achdé/Mel chez Lukcy Comics

Plus on est de tofus, plus on rit? Entre un loser magnifique et un Lucky Luke déstabilisé (ben oui, si le mouvement s’installe durablement et gagne du terrain, c’est son gagne-pain qui risque d’en pâtir), le menu est assez alléchant. L’apéritif est emballant mais c’est la suite qui pêche un peu. Comme ces plats de viande ou de poisson, au resto, qui manque cruellement de légumes. Et en effet, au-delà de quelques bonnes idées (les pauses dans les course-poursuites pour soulager les destriers, les totems bestiaux bannis, le pemmican en voie de disparition, comme le goudron et les plumes, cinq mercenaires pas piqués des vers, Bardot en tête)  et le plaisir incarné qu’Achdé a à camper 50 millions d’amis (ou presque) de tous poils et plumes, cet album m’a très vite laissé sur ma faim. Outre quelques piques et jeux de mots bien placés, quelques références (Poireau agile, digne héritier, ou précurseur dans la chronologie, du Abdallah de Tintin, meilleur personnage de cet album), j’ai trouvé cet album pas assez gourmand croquant au regard de son potentiel, trop gentil, pas assez assaisonné.

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Soit, les auteurs en ont fait trop (de pages) ou pas assez, toujours est-il qu’ils se viandent un peu. Quarante-six planches, ça se mérite, de nombreuses aventures de Lucky Luke remplissent le contrat, mais depuis le précédent tome, Jul peine à tenir la durée malgré ses bonnes intentions et son fin esprit. Et des scènes d’action et de bataille vraiment bien fichues et originales. Ça ne suffit pas et, sur la fin attendue, je m’en battais les steaks. Un bon moment, sans plus, du fast-food si vite (légume) oublié, qui peine à concurrencer ses aïeux et, même, désormais, les albums « vu par » de ces dernières années. Quel comble, hombre!

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À lire chez Lucky Comics.

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