Après quelques années passées comme Cendrillon après minuit, avec pas mal de chaussures à sa pointure mais pas celle qui lui permettrait de fouler à nouveau la scène avec de nouvelles chansons, ce qui avait exacerbé sa créativité à revisiter son répertoire, Stephan Eicher a fait son grand retour en Belgique, après un rendez-vous manqué avec le Traktorkestar. Dans un Cirque Royal, comme à la belle étoile retrouvée, le chanteur suisse a livré un concert fidèle à son élégance, sa classe et sa modestie, de haute volée et toujours aussi inventif. C’était le lundi 9 décembre.
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C’est un signe qui ne trompe pas, quand on arrive réglé comme une montre suisse aux abords du Cirque Royal et qu’il faut faire plusieurs tours du quartier pour trouver une place de parking, la salle va être pleine à craquer. Et, ça ne manque pas, c’est un cirque, vraiment, royal qui attend le chanteur helvète et ses musiciens.
Mais avant ça, c’est un « jeune premier », comme le présentera Eicher, qui débarque au volant de son piano. Reyn (Ouwehand) pour quelques mélodies d’une pureté aérienne. Pas de voix, juste des partitions qui créent la bulle de confort dans laquelle le public entre pour les deux prochaines heures. Reyn est loin d’être un inconnu dans l’univers de Stephan, on se souviendra notamment qu’il faisait partie de l’incroyable trio constitué autour de cette tuerie qu’était l’album Eldorado. Mais, jouant le jeu de la facétie à fond, après quelques morceaux, Stephan Eicher apparaît en parrain, applaudissant le musicien chapeauté et lui proposant d’intégrer le groupe du homeless singer.
Sans plus de transition, on voit rarement telle osmose entre une première partie et le concert qui le suit. Ça commence bien. Et après l’emblématique Si tu veux que je chante, signe d’un chemin retrouvé vers les ondes, les rayons des disquaires et le public, le Suisse avoue s’être mis au patinage artistique pendant cette période de gel voulu par sa maison de disques et nous en fait une petite démonstration à travers quelques « figures libres ». Des chansons d’hier (une version époustouflante de Rivière que nous mettra les poils, la plus belle variation qui soit… avant la prochaine) et d’aujourd’hui. De demain aussi. Variant sur le non, avant Pas d’ami comme toi qui mettra à contribution les spectateurs à gorges déployées (« Je suis persuadé que le monde a besoin qu’on forme des chorales, ça peut aider, et la démocratie directe, aussi, by the way »), l’homme de Berne et d’ailleurs s’engage dans Ne dis pas non: le public lui dit plutôt oui, un grand oui. Le début de concert est dynamique, springsteenien aurais-je tendance à dire, comme au coin du feu avec un band de tonnerre de dieu (Baptiste Germser à la basse, au cor, au synthé; Reyn Ouwehand au piano; Heidi Happy au vibraphone, au xylophone, à la mandoline, au cello et aux choeurs; Ludovic Bruni aux guitares et Simon Baumann à la batterie). Endiablé même. Nous allons voir de quel bois se chauffent les Suisses.
Nouveauté, également, dans ce concert trilingue (et on ne compte pas la langue du coeur, qui va de soi) les chansons en bernois sont sous-titrées. Je le disais dans ma précédente chronique de l’album, c’est pourtant fou comme ses chansons en langue étrangère sont universelles, aussi fascinantes qu’en français, riches de leur musicalité. Sauf que, ce soir, si Google ne nous les avait pas traduites auparavant, on va comprendre le sens des mots utilisés par Stephan. Et ça vaut le coup. Peut-être pas assez que pour apprendre une nouvelle langue : quelqu’un a signifié à Eicher qu’il parlait un Bernois « très ancien ». Le patineur aux allures de D’Artagnan aurait-il des airs d’Hibernatus ? Non, ces dernières années, il a plus été dans l’autre camp, celui du petit village gaulois qui résiste encore et toujours à l’envahisseur. Petitswix, tiens, ça lui va bien. Majestix, aussi.
Passant de l’ambiance veillé à l’intimité d’un petit club (qui accueille quelques milliers de visiteurs quand même), le musicien est dans une forme resplendissante. Fini, la canne, bonjour les surprises. Et il y en a, y compris dans les figures imposées. On n’impose pas si facilement sa loi à notre vaillant guerrier guitariste. C’est lui qui l’impose… sans règles sinon l’originalité et la créativité. À commencer par ce monstrueux (tant on en a vu qui dévorait parfois les artistes) tube qu’est Déjeuner en paix… qu’il n’a pas voulu chanter ! Comme cette carte blanche qu’il a laissé à sa multi-instrumentiste Heidi Happy, se faisant musicien de luxe pour elle. Plus tard, on ne l’attendait plus, au fil des chansons fortes (Étrange, Donne-moi une seconde…), Eldorado a aussi eu sa place, à part, beau à en pleurer, transcendant.
Ce concert, de ceux qu’il faut voir pour y croire, même si on se frotte les yeux par après de peur de n’avoir vécu qu’un rêve éveillé, l’Helvète de Camargue le conclut d’une manière inouïe, d’une simplicité déboussolante, en dépouillant l’arrière-scène. Le rideau s’ouvre et, pour faire corps avec La fête est finie qu’il chante avec Miossec et Axelle Red sur son album, ce sont les backstage qui apparaissent, foutraques, avec une échelle mais plongée dans l’obscurité. Cette image est forte, dingue, inhabituelle. Les papillons peuvent s’envoler et nous nous dire, au-delà de la plaisanterie qu’un collègue m’a faite quand je lui ai dit que j’allais voir Stephan, à quel point cet homme est cher, nous est cher, dans le bon sens du terme, dans l’inépuisabilité de ce sens qu’on attache aux gens à qui l’on tient beaucoup, de manière vitale.
Il faut toujours attendre la fin d’année pour dire quel fut le plus beau concert de celle-ci. Verdict ? Vous venez de le lire.