Stephan Eicher und die automaten, machines qui rêvent et font rêver

Ah la Suisse, que de belles et bonnes choses entre son chocolat, ses alpages, ses montres bien réglées et huilées et, pour certains, ses comptes bancaires bien planqués. Mais ça c’est une autre histoire, car la Suisse nous a aussi donné un inestimable poète qui peuple depuis trente ans le monde de la pop avec ses mélodies et harmonies imbattables. Stephan Eicher, puisque c’est de lui qu’il s’agit, a entraîné son art et mûri sa fibre créative un peu partout, et souvent là où on ne l’attendait pas d’ailleurs.

Stephan Eicher und die automaten - Cirque Royal Bruxelles - Décembre 2015 (3)

À l’heure où certains font du sur-place, le natif de Münchenbuchsee n’en finit plus de jouer des métamorphoses et de réinventer un art, son art. Mardi, il présentait son nouveau spectacle, seul en scène, loin d’être nu mais dans le plus simple appareil. Celui des automates. Machines qui rêvent aurait dit Spirou. Pour un humain blagueur ayant pris en grippe les « hamsters ». 

« On a toujours certaines difficultés
Avec les rêves et la réalité. »

Il est venu le grand jour, celui tant attendu depuis tout pile un an, à quelques jours près, quand Stephan Eicher avait dévoilé un étrange teaser emballé dans une atmosphère mystérieuse et magique. Prestidigitateur, notre ami (pas d’autre ami que lui) Stephan? Lévitateur? Mentaliste des instruments de musique? Plutôt, héritier de Tesla et de Décap. Très vite, la nouvelle court les ruelles chantantes de Facebook et d’ailleurs, Stephan Eicher repousse les limites du possible, de l’imaginable pour se réinventer une nouvelle fois. C’est vrai qu’il aime ça, changer d’horizon. Systématique, l’helvétique, pour à chaque fois toucher autrement… plus fort. Et avec ses automates, on pressentait l’émotion nourrie qui allait découler de ce spectacle. Mais encore, fallait-il qu’il passe la Belgique.

One-man-machine-show

C’était une formalité tant Stephan semble aimer les Belges et qu’il avait un atout maître dans sa manche, c’est non seulement un documentaire belge qui est à la genèse du projet (Sound of Belgium) mais en plus et surtout, c’est en Belgique qu’ont été conçus ces véritables petits musiciens virtuoses et automatisés qui soutiennent Stephan Eicher sur scène. Toujours est-il que malgré ces éléments qui pèsent en faveur d’un concert belge, il a fallu prendre son mal en patience pour enfin voir émerger une date. Au Cirque Royal de Bruxelles, quelques jours après le concert du pote Raphaël, autre expérimentateur de luxe. Et comme un gamin décomptant les dodos avant le passage du Père Noël ou avant les vacances, je me suis mis à décompter les jours me rapprochant de ce rendez-vous avec un artiste au sommet.

Le train ou la voiture? Vaste dilemme quand il s’agit de se rendre à Bruxelles. Car l’un comme l’autre peuvent défaillir entre embouteillages et les retards du rail. Finalement, ce sera la voiture et un départ très tôt pour être sûrs de ne rien manquer: pas de première partie, dès 20h, le séduisant quinqua prendra prise sur la scène. Et, du coup, c’est assez rare que pour le souligner, on est arrivé suffisamment tôt pour commencer le voyage, gustativement, dans la chouette et conviviale ambiance du petit restaurant à la bonne franquette « De Bruxelles ou d’ailleurs« . Une assiette de pâtes avalées, l’estomac bien rempli, cette fois, nous étions parés pour que rien ne puisse déranger notre voyage au coeur de l’intimement mécanique. Émotionnel aussi.

Il est l’heure, il est temps (mais combien de temps?) et Stephan Eicher se présente sur scène avec sa guitare pour faire éloge de la simplicité. Il n’est pas encore question d’automate, juste d’un guitare-voix pour une chanson inédite et plutôt bien trouvée pour un début de concert: Si tu veux que je chante. Une belle et douce entrée en matière dans un style reconnaissable entre tous, la patte Eicher. La ballade fait place à l’humour légendaire du Suisse qui accueille chaleureusement le public dans son antre. Il est si petit à côté de l’immense orgue Décap et d’autres monstres musicaux qui donnent l’impression d’un cabinet de curiosités (glockenspiel et Tesla Coil crachant des éclairs de 250 000 volts). « Merci d’avoir eu le courage de venir. Je vais essayer d’être courageux aussi et tenter de vous jouer une chanson avec mes automates. Mais laissez-moi quelques minutes pour qu’on s’accorde. » Quelques notes de guitare et l’impulsion est donnée, le petit monde merveilleux et surprenant peut s’animer: piano sans pianiste, accordéon sans accordéoniste et tous les autres.

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Ils jouent seuls et si bien que Stephan Eicher se voit bien obligé de réclamer le silence! « Ohhhh. Stop! » Comme si Frankenstein perdait déjà le contrôle de ses machines. Les machines vaincront-elles d’ailleurs? Rien n’est moins sûr. Le match à lieu se soir, et sur cette scène comme sur un ring, deux personnes s’imposent, Two people in a room. En un éclair, tout s’est mis en place et l’on reconnaît les premières notes même si radicalement différentes de l’originale. L’as du réarrangement a encore frappé, cette nouvelle version est d’une prestance incroyable. Oserait-on déjà le mot? Mais oui, osons, cette entrée en matière est mémorable et d’anthologie comme bien d’autres sons à venir. Les frissons commencent et la chanson continue, reprend de plus belles, à rallonge, se perdant dans des solos improbables et impressionnants.

Des larmes de beauté, des rires facétieux

Car oui, Stephan n’a pas fait les choses à moitié; son exercice de style, il l’a préparé en perfectionniste en veillant à une harmonie inégalée et en prolongeant le plaisir. Des chansons qui duraient trois minutes à tout casser deviennent de longues plages de plus de six minutes. Au-dessus des automates, le travail de réinterprétation, l’émotion à fleur de peau et mots touche. Chaque parole n’a jamais aussi bien résonné. Sans emphase, sans chœur en de trop, dans le juste le plus parfait. Son Voyage (issu de l’album Eldorado) est beau à pleurer. D’ailleurs, on en pleure…

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… mais après, on sourit aussi. Loin des chemins balisés par certains chanteurs qui trouvent opportun de répéter de concert en concert les mêmes phrases-bateau (« Bonjour« , « Vous êtes chauds ce soir?« , « Ça va toujours« ) – et il y en a malheureusement plus qu’on ne pense -, Stephan Eicher crée des vraies relations avec le public. Notamment avec un sourire et un humour communicatifs et cet accent suisse si perceptible et enjoué. Quelques lubies (celle de prendre un verre d’eau de ville dans chaque lieu qu’il visite pour les comparer) aussi et une façon d’expliquer les choses toujours imagées et n’appartenant que lui. Notamment pour raconter comment il en est devenu pianiste novice, il y a quelques mois: « Ça ne fait pas longtemps que je tente. C’est arrivé un matin. Je me suis levé et comme tous les matins, j’ai regardé le monde. Et là, je n’ai plus rien compris. La veille, tout allait pourtant bien, la gauche était gauche, la droite était droite, les banquiers étaient sérieux… Bon, nous les Suisses, dans ces cas-là, on essaie de parler le langage du monde. Je me suis demandé quel langage était beaucoup parlé, et j’ai commencé à apprendre le Mandarin… C’est pas simple, le Mandarin. Je me suis arrêté au passé simple. Puis, j’ai voulu lire les journaux grecs qui parlaient de la crise. Langue morte. Autre problématique: ils ont les mêmes lettres que nous mais ça ne veut pas dire la même chose. Finalement, j’ai appris Excel. Vous parlez Excel? Ce n’était pas concluant. Alors je me suis dit que j’allais apprendre un nouvel instrument: le piano. Je suis au début, donc pour m’aider, je vais vous jouer une chanson que vous ne connaissez pas. Comme ça vous n’entendrez pas si je me trompe! » Et cette chanson, c’est La Prisonnière, très touchante.

« L’inspiration m’a pris… et j’ai copié »

Les chansons se suivent et ne se ressemblent pas, touchant toujours au sublime. Une Rivière qui charrie la beauté, un Combien de temps pas pressé et séquencé. Puis Oh Ironie et de nouveau, une nouvelle chanson, Gang nid äso, dont l’intro à l’accordéon peut faire penser aux… Filles du bord de mer. La comparaison n’est pas tombée dans l’oreille de sourds, et quelques spectateurs l’entonnent. Eicher rit. « L’inspiration m’a pris… et j’ai copié » plaisante celui qui chantait Ils ont volé ma chanson avec un autre géant des bords de mer: Arno. Gang nid äso est l’occasion pour Stephan Eicher de chanter à nouveau en Suisse-Allemand pour une chanson à la fois traditionnelle mais aussi moderne dans « un arrangement qui risque de vous plaire« . Tellement que sur des rythmes électroniques, le Cirque Royal se transforme en boîte de nuit. Imprévisible Eicher.

Variation sur le même « journal »

Mais, tandis que l’on a perdu toute notion du temps, il est déjà l’heure de Déjeuner en paix. Mais l’artiste retarde l’échéance dans une introduction encore une fois « eicherienne », surréaliste mais toujours redoutable là pour dénoncer certaines réalités. « Dépassé une certaine longueur, il est possible que les jeunes ne comprennent pas tous les mots. Et pour la prochaine chanson, s’il y a des jeunes dans la salle, ils ne suivront pas du tout. Mais de quoi il chante le Monsieur (ndlr. en Suisse dans le texte)? Quand je chante le mot… Journal. Ça vous dit quelque chose? Comment je vais expliquer ça? C’est beaucoup beaucoup beaucoup d’arbres morts. Pour faire du papier. Ah, ça non plus, vous ne connaissez pas. (…) Bref, si un jour vous traversez la rue avec un panda et que vous croisez un journaliste, il faut être gentil avec! (….) Car pendant que nous on allait se coucher, le journaliste a regardé le monde et l’a remis dans un contexte pour expliquer au petit déjeuner ce qu’il se passait. » Mais un journal, c’est aussi connoté de manière érotique. « Vous vous souvenez comment on lisait le journal les garçons? » Il prend son doigt, en lèche le bout et fait semblant de tourner les pages de son journal (toujours aussi adorable dans sa prononciation, avec un « r » quasi-muet). Hilarité générale. « Aujourd’hui, c’est différent, c’est sexuel mais différemment. Imaginez quelqu’un qui sort son hamster (comprenez: son… téléphone portable) de sa poche et commence à le stimuler. » Rires retentissants.

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Puis la musique commence insufflant douceur au titre si énergique, autrefois. Dans cette version acoustique, guitare-voix, Stephan Eicher prend un malin plaisir à retarder l’explosion tant attendue. On attend, on attend, elle ne vient pas et puis, si, sur le dernier refrain et du coup, c’est feria accordéo-électro. Tous les automates émergent, loin de la cacophonie pour livrer ce qui, à ce jour et encore une fois, restera comme la meilleure version du titre phare du Suisse, longue de près de sept minutes. Avant d’improviser, à la demande du public, un Eldorado dont il a oublié les paroles, mais de ça tout le monde s’en fout tant le bonheur est ailleurs, dans l’authenticité de cette rencontre au sommet.

Causerie anti-alcoolique

Puis, c’est l’heure du rappel, amplement nourri par les cris du public et un applaudimètre explosif. Et Stephan ne se fait pas prier. « En fait, pendant que vous applaudissez, on court dans les coulisses pour toucher un mur et ensuite revenir. Ici, j’ai même eu le temps de me faire un café« . Et tant qu’à parler débit boissons, parlons délire… boissons. « J’ai fait un medley. Ou comme vous appelez ça ici, un pot pourri – alors que moi, je voulais faire quelque chose de beau – dans lequel j’ai mis toutes mes chansons avec des boissons alcoolisées. » Au piano, le chanteur donne les premières notes de Campari Soda.

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C’est du sérieux… jusqu’à ce qu’il commence à traduire ses propres paroles, se moquant gentiment et en toute humilité de sa chanson. « Le suisse-allemand, ce n’est pas vraiment votre truc? Attendez, je vous explique. Ça se passe dans un avion et la personne qui chante commande à boire – ce n’est ni Swiss Air ni Ryanair qui ne servent pas vraiment à boire. Et pendant qu’il se saoule, il médite et se dit « et si tout ça n’existait pas vraiment » – en Suisse, on met tout ça dans une phrase, en Français, il faut un couplet! Je m’excuse! -.  À travers le hublot, je vois deux turbines. (…) » Avant d’enchaîner sur un trésor oublié des Chansons Bleues, revisité: Ce soir, je bois. S’ensuit, magnifié, Tous les Bars, ainsi que Silence (qui ne parle pas de boissons mais a été écrite dans un bar) et Manteau de gloire. Francs applaudissements, il est venu le temps de présenter les musiciens et instruments sur un titre ô combien charnière: Hemmige, disco-festif. Après quoi, il est presque temps de refermer le concert, mais comme avec Stephan l’imprévisible, on n’est jamais à l’abri d’une dernière folie, il nous demande de régler notre « hamster » sur 21h59.

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De quoi lui laisser quatre minutes pour conclure. « Laissez le sonner, ne l’éteignez pas! » Et pour son dernier baroud d’honneur, Tu ne me dois rien vient refermer la parenthèse enchantée et automatisée. Nous, à ce Suisse si chaleureux, on lui doit tout. Les réveils battent la mesure et sonne la fin du rêve. Ou peut-être, était-ce un concert? Oui, le meilleur de l’année, d’un artiste qui n’a jamais cessé de prouver des choses depuis qu’il n’a plus à en prouver.  De l’homme ou de la machine qui a finalement gagné? Aucun et en même temps les deux, se renforçant, s’aidant, se sublimant. Phénoménal.

PS: Excusez le compte-rendu si long, mais les concerts aussi riches que celui-là ne sont pas légion. Et il y aurait encore eu tant de choses à dire. On aurait aimé que ce moment dure encore plus longtemps, quelques heures tout au plus, avec encore plus de chansons (La relève, Donne-moi une seconde, Cendrillon après-minuit, 1000 vies…) et ce, même si la setlist était de haute volée. Et la discographie de l’artiste est tellement exemplaire!

Setlist:

  1. Si tu veux que je chante (inédit)
  2. Two People in a room
  3. Voyage
  4. La Prisonnière (inédit)
  5. Rivière
  6. Combien de temps
  7. Hemmige
  8. Oh Ironie
  9. Combien de temps (reprise)
  10. Gang nid äso (inédit)
  11. Déjeuner en paix
  12. Eldorado (improvisation)
  13. Pas d’ami comme toi
  14. Ce peu d’amour

Rappel:

15. Medley/ Pot-pourri « Poissons alcoolisés »: Campari Soda/ Ce soir je bois/ Tous les bars/ Silence/ Manteau de gloire/ Campari Soda
16. Hemmige (Mani Matter Cover)
17. Tu ne me dois rien

Quelques photos (en espérant qu’un dvd sera capté par l’artiste) et un chouette reportage:

5 commentaires

  1. Mon 4ème de cette tournée… A chaque fois surprise et émerveillée car chaque concert est un nouveau concert! La magie opère encore et toujours! Fabuleux Eicher: tout ce qu’il fait est intelligent, sensible, humain et beau. Il se régale et nous régale: on vibre avec lui d’une même passion de la musique sans cesse renouvelée! Et mention spéciale au public du Cirque Royal si chaleureux!

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