
C’est ce qu’on appelle communément un leak (ou un lix, pour nos amis Gaulois), une fuite d’informations jusque-là confidentielles, secrètes. Un membre d’un groupe Facebook consacré à Astérix, Obélix et leurs deux créateurs a eu la surprise de découvrir le nouvel album d’Astérix, L’Iris Blanc (scénarisé pour la première fois par Fabcaro et toujours dessinés par Didier Conrad), en vente sur le site/application de seconde main Vinted, le jeudi 7 septembre en soirée. Soit un mois et demi avant la parution de l’album, le 26 octobre prochain. Il semblerait bien que la machine promotionnelle révélant ses infos au compte-gouttes (de potion magique) depuis l’hiver dernier ait été battue.
EDIT 08/09 à 23h : Face à cette fuite, le groupe Hachette a décidé, dans l’après-midi de ce vendredi 8 septembre, d’officialiser la couverture de la 40e aventure ‘classique’ d’Astérix, via ses réseaux et un communiqué vers la presse. Là où, habituellement, ce genre de visuel n’est rendu public qu’une dizaine de jour avant la parution de l’album.
C’est vrai, quand on est journaliste, la BD est encore un milieu sympa. La confiance est de mise et il n’est pas rare de recevoir en service presse un album (one-shot ou nouvel épisode d’une série, même phare) très attendu quelques jours, voire quelques semaines, avant sa parution dans les rayons. C’est d’autant plus appréciable que le monde de la musique, depuis Covid, a complètement viré parano et envoie désormais les liens d’écoute (fini le physique) quelques heures avant parution pour le grand public. Pour le cinéma, outre les séances de presse dans des cinémas de la capitale, certains liens de films (souvent belges et français, rarement hollywoodien, avec filigranes et tracés, sont partagés par les attachés de presse.
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Dans le Neuvième Art, aussi, si un jour de sortie officiel est assigné à un album, il se peut que les libraires le mettent avec un peu d’avances sur leurs étals. Un lecteur disait ainsi s’être procuré le (très bon et corrosif) Spirou de Yann et Dany, ce jeudi. Alors qu’il ne paraît que vendredi.
Mais dans le cas du nouvel Astérix (ce personnage qu’on connaît tous, créé par Goscinny et Uderzo et devenu culte), il était improbable qu’un exemplaire du nouvel album ait pu se retrouver dans les mains d’une vendeuse Vinted (appelons-la Goudurix ou Pascheretchix), puis d’un heureux acheteur (qu’on nommera Assurancetourix) – ça a été vendu en quelques minutes, si pas secondes, à 9€, promo par rapport au prix standard. Parce que s’il y a un album, cette année, gardé secret jusqu’à la dernière minute, c’est bien celui-là. Ce qui permet aux Éditions Albert-René (Hachette), pour chaque opus, de commencer la campagne publicitaire et médiatique dix mois avant: avec successivement une planche-annonce en décembre 2022, la révélation du nouveau scénariste (Fabcaro, qui succède à Jean-Yves Ferri), l’annonce du titre en mars, la parution d’un visuel ou l’autre, d’une couverture provisoire (qui ne sera pas l’officielle) et, en cette rentrée, d’une série de strips dans les journaux partenaires (tous en exclusivité – sic) qui ne seront pas dans l’album mais donnent des indices sur son contenu. Et la couverture vraie de vrai? Elle n’a même pas encore été révélée.


Si ce n’est donc, mercredi soir, sous le manteau Vinted par Goudurix, qui n’avait pas l’air de savoir ce qu’elle vendait. Un coup de com échappant au planning habituel des Éditions Albert-René? C’est peu vraisemblable. Un proche collaborateur gaffeur ou indélicat, c’est plus probable. Toujours est-il que voilà un (le premier?) des 5 millions d’exemplaires – le tirage des deux derniers tomes – de ce 40e Astérix sur le marché, dans une 1re première édition, un numéro 0, sans doute collector et rare. Et pourtant vendu à un prix défiant toute concurrence. Bizarre, pourtant les photos (pas top qualité, prises à la volée, comme on fait quand on a beaucoup d’articles à vendre) de la couverture et de la 4e de couverture publiées par Goudurix montrent un album classique, relié, prêt à rejoindre les stocks des librairies.
© Membre Vinted
Alors cette couverture? Deux personnages se partagent la vedette en avant-plan sur un tapis d’herbe et d’iris: Astérix et un nouveau venu, romain ça ne fait aucun doute, vêtu d’une cape verte et d’une tenue en blanc et jaune dont le col forme un iris, justement. Il tient dans une main un curieux collier vert. À l’arrière, deux groupes sont semble-t-il séparés. Tous sont du village. Des personnages secondaires à gauche (Mme et M. Agecanonix, Bonnemine, Ordralfabétix, Cétautomatix) et un quatuor à droite (Obélix, Idéfix, Panoramix et un chef Abraracourcix pas dans son assiette). Tous sont baignés d’un jaune tendance soleil crépusculaire. On a déjà vu mieux et plus impactant comme couverture. On a surtout une impression de déjà vu. Enfin bon, elle fait le job. Rappelons aussi le pitch de ce nouvel album: « « Pour éclairer la forêt, la floraison d’un seul iris suffit » peut-on lire dans la 40e aventure d’Astérix et Obélix. On attend surtout qu’un sourire éclaire à nouveau le visage d’Abraracourcix ! Qu’est-il arrivé à notre chef Gaulois préféré et pourquoi cette mine renfrognée ? » Quant à l’explication du titre, L’iris blanc, l’irrésistible et nonsense Fabcaro (mais sur lequel on aurait jamais misé pour nous concocter un Astérix, tant mieux!) explique sur le site officiel de l’irréductible: « L’Iris blanc est le nom d’une nouvelle école de pensée positive, venue de Rome qui commence à se propager dans les grandes villes, de Rome à Lutèce. César décide que cette méthode peut avoir un effet bénéfique sur les camps romains autour du célèbre village gaulois. Mais les préceptes de cette école exercent aussi une influence sur les villageois qui croisent son chemin… La planche annonce publiée en décembre vous a d’ailleurs donné un avant-goût de ses effets !«

En conclusion, s’il a l’habitude de couler Barbe Rouge, Baba et consorts, il semblerait qu’Astérix ait trouvé un pirate (qui s’ignore?) moderne plus fort que lui. En espérant que le secret de la potion magique soit, lui, mieux gardé. En tout cas, cet épisode incontrôlé par la communication, ouvre l’appétit. J’ai hâte de l’avoir dans les mains ce nouvel album, plus qu’à la vue du marathon marketing millimétré et infernal.
Quant au leak, pour revenir à lui, c’est un phénomène de piraterie moderne qui concerne tous les secteurs et est l’arme des « bons » (journalistes, lanceurs d’alertes) comme des « méchants » (cyberterroristes, arnaqueurs, hackers). Et, forcément, le monde des arts et de la culture n’en est pas à l’abri. Il y a dix-quinze ans, sur les plateformes de téléchargement illégal (des hydres de Lerne) – aujourd’hui supplantées par les Netflix (lui n’est pas gaulois), Amazon Prime et autres IPTV, il n’était pas rare de trouver, pullulant, des films et cds piratés avant leurs sorties. Parfois bien avant, à la faveur de copie d’exemplaires véhiculées dans des festivals ou cérémonie de cinéma, de caméras embarquées dans des salles de cinéma ou de vols de matériels informatiques, d’un ingénieur du son ou d’un producteur, contenant les pistes du nouvel album événement de tel artiste ou tel groupe). Le numérique et sa grande vitesse de partage ont leurs avantages comme leurs inconvénients. Et nombre d’auteurs de BD se sont étonnés, effrayés, de trouver leur bébé en ligne et en libre accès sur internet, parfois le jour-même de leur sortie. Mais jusqu’ici, à mon sens, le monde du Neuvième Art avait été bien plus préservé que les secteurs cinématographique et musical en matière de fuite d’une nouveauté avant sa date officielle. Le cas de ce nouvel Astérix est d’autant plus interloquant et fait date.
