Pour leur nouvelle collaboration, cette fois en dehors des pellicules mythiques (ou damnées), Julien Frey et Nadar restituent l’expérience du premier, en compagnie de sa fille. Il faut dire que c’est une de ses affirmations, encore avec des mots et la naïveté chérie d’un enfant, qui a mis le feu aux poudres: « Tu sais que les éléphants vont disparaître ». Choquant et interloquant, tout en posant la question du « qu’allons-nous leur laisser? » Alors, sur un coup de folie et à force de contacts, si tel était le constat inébranlable, incontrôlable, Julien a décidé d’emmener Joanne sur la piste des animaux en voie de disparition, avant qu’il ne soit trop tard.
Résumé des Sauvages par Futuropolis : Février 2020. Julien et sa fille Joanne sont invités en Indonésie par le Professeur Michaux, un éminent biologiste de l’Université de Liège. Des éléphants de Sumatra aux dragons de Komodo, la nouvelle mission du chercheur est l’occasion de découvrir l’extraordinaire biodiversité de l’archipel. Mais celle-ci est menacée. Déforestation, production d’huile de palme, braconnage…Les dangers sont nombreux et prennent une dimension particulière lorsque la pandémie de Covid 19 éclate au milieu du voyage.

Julien Frey est un auteur un peu à part dans le paysage du Neuvième Art. Depuis bientôt dix ans, celui qui était auparavant scénariste pour des séries d’animation (Casper, Géronimo Stilton…) a donné vie à ses envies de scénariste BD, du côté du réel sans oublier la fiction (le récent Monsieur Apothéoz en témoigne). Entre autobiographie et documentaire, relié à ses passions (le cinéma, notamment) ou à ce que son existence terrienne lui met sur son chemin (Michigan, Un jour il viendra frapper à ta porte et, désormais, Les Sauvages) – il faut dire que notre auteur-reporter n’a pas son pareil pour forcer les choses, il a du bagout -, Julien Frey ne dessine pas, ce qui l’a amené à attirer vers son intime des dessinateurs de confiance. Plus que par procuration, par immersion. Déjà un geste d’ouverture, de partage vers le grand public. Dans Les Sauvages, le voilà donc qui s’envole pour l’Indonésie, dans le but de faire découvrir à sa fille Joanne les grands animaux qui peuplent notre monde… avant leur disparition.

Face à ce genre de sujet, aux multiples ramifications, on pourrait vite vouloir faire une thèse et se documenter bien plus loin qu’au retour du voyage, aligner les experts et les témoignages d’ici et d’ailleurs. Faire son Yann Arthus-Bertrand aux quatre coins du monde. Ce n’est pas du tout l’objectif de cet album, qui reste focus sur l’expérience vécue principalement dans la jungle de Sumatra aux côtés du professeur Johan Michaux de l’Université de Liège (biologiste spécialisé dans les espèces en danger, directeur de recherches au FNRS (Fonds de la recherche scientifique belge) et conseiller scientifique pour la RTBF) et de son étudiante-doctorante Chloé qui va tenter de faire une nouvelle estimation de la population des éléphants de Sumatra, avec une méthode douce. À quatre (puis trois), auxquels s’ajoutent les rencontres faites sur le terrain (un guide, un replanteur de palétuviers, ils ne partent pas dans tous les sens et placent le lecteur en temps réel de leurs découvertes… et déceptions. Car on comprend vite que les Sauvages ne sont pas ceux qu’on croit… et qu’on ne croisera peut-être pas. La promesse pourrait ne pas être tenue.

Cet album apprend la patience pour peut-être voir un animal extraordinaire, avec parcimonie, ce n’est pas un safari et il y a des règles à suivre si on veut aider les pachydermes à survivre le plus longtemps possible, mais apprend surtout l’envers du décor, allant voir au plus près ce qui menace de disparition les éléphants. On touche, on sent le danger, on constate sur place la déforestation et ses raisons (plus loin que le pot de choco… nos pneus, notre carburant bourré… d’huile de palme, la reconstruction prochaine d’une capitale comme Jakarta qui s’affaisse dans la mer au fil des inondations…), bien loin de la rumeur que certains jugent alarmiste et non-fondée (hein, Donald) ou dont d’autres se fichent pourvu qu’ils bénéficient toujours de leur petit confort. Sauf que…


Sauf que, hasard du périple, le Covid s’y est invité et est la preuve magistrale (et mortifère) par l’exemple que peu importe sa source (un labo ou un animal sauvage, peut-être les deux en fait), c’est sa rapide propagation et le pourquoi de celle-ci qui doit interloquer, faire réagir.

Dans ce récit linéaire, au fil des informations et des découvertes, dans une logique éducative mais aussi contemplative (ce n’est pas bourré massacre de texte) et aventureuse, tout de même, Les Sauvages arrive avec de bonnes idées narrativo-graphiques, comme ces intermèdes dans lesquels Joanne réexplique avec ses mots ce qu’elle a compris et distille quelques infos, données supplémentaires. Elle nous fait son élocution comme si nous étions sa classe, sans donner l’impression de répétition mais d’une synthèse à retenir plus loin que la fin de cet album naturel et humain, sans volonté d’endoctrinement, d’être cafardeux mais plutôt de réflexion et de connaissance de la beauté de ce qu’il reste du monde.

Car à la fin on se demande qui sont les Sauvages, effectivement. Même si mon petit doigt me dit que nous avons déjà tous la réponse, même si elle fait mal et qu’on essaie de la mettre sous le tapis.

À lire chez Futuropolis.