Polémique à Dieppe: le Front de mer a rhabillé, sur son affiche, (le décolleté de) l’héroïne de Jim… alors qu’il prépare le Chant du cygne des vieux mâles en fin de course

ÉDIT 29/06 à 22h : L’affiche « décolletée » de Jim réhabilitée après la censure et 48h d’emballement médiatique

« Le monde est devenu Le Gorafi… », c’est ainsi que l’auteur de BD Jim réagit en dessous de la publication Facebook de soutien de la part de ses confrères dessinateurs. Tous, ou quasiment, outrés par le manque d’élégance du festival BD estival de Dieppe qui a manifestement été contraint de suivre l’avis de la mairie qui le soutient financièrement (qu’elle peut parfois être dure et ingrate la vie d’organisateurs et bénévoles d’événements culturels). À Dieppe, le front de mer est manifestement trop frisquet que pour permettre à la célèbre Marie (d’Une nuit à Rome) de porter sa robe rouge (ou son débardeur) légèrement décolletée. Légèrement, le mot n’est pas usurpé, ce n’est pas du XXL, pas jusqu’au nombril. Et quand bien même. Pourtant que cette héroïne culte se montre comme une femme libre de s’habiller comme elle veut semble choquer. Et faire couler de l’encre et gaspiller du papier. Cacher ces seins que je ne saurais voir, avec une rustine bancale sur la poitrine. Finalement, le maire a fait volte-face.

(Article régulièrement mis à jour : dernière modification le 29/06 à 22h dans cet article de conclusion?)

En effet, il y a quatre jours, stupeur au pays des petits miquets, la nouvelle affiche du festival BD de Dieppe, les 22 et 23 juillet (mais allez-y en doudoune, donc), était publiée sur les réseaux sociaux. Avec un ajustement de taille, de col. Sur la version originale, la Marie de Jim apparaissait en plan taille reposant ses bras sur deux piles de livres (à dédicacer?) et entourée d’autres bouquins. À l’arrière, l’église Saint-Jacques, qui ne fera pas office de garde-fou.

Sur la version 2.0, une pile supplémentaire a été ajoutée pour cacher la naissance de la poitrine de l’aventurière urbaine qui a fait chavirer le coeur de bien des lecteurs et lectrices. Sans un mot d’explication, même pas une réponse de Normand, mais il semble que ce petit excédent de peau (n’allant pas jusqu’au téton) ait froissé les élus communistes locaux. Voilà à quoi en est réduit le travail de Jim, pourtant connu pour ses personnages bien plus osés et moins « décolleté » puisque parfois dans le plus simple appareil – mais laissez faire le naturel, la pudeur revient au galop, manifestement -. Car c’est fou comme quatre livres grossièrement posés par un infographiste de secours, Jim lui-même manifestement – dont on comprendrait qu’il n’y ait pas mis plus d’énergie que celle du désespoir – peuvent déstabiliser une image la rendre pataude, lui enlever sa finesse… Et son réalisme: vu la configuration de la scène, par le jeu des perspectives, il n’y avait jamais la place pour mettre ces livres au rabais entre les bras et le buste de la dame…

Jim a répondu à Laurent Derouet du Parisien, sans vouloir mettre à mal l’organisation dont il est l’invité d’honneur cette année : « L’organisateur est sympa, je me cale sur lui et ne souhaite pas lui compliquer la tâche : on sait tous le boulot que représente un festival… ».

Une nuit à Rome © Jim/Delphine chez Grand Angle

En plus, les dégâts ne sont pas que numériques. La version initiale de l’affiche, acceptée, avait déjà été imprimée. Elle finira donc à la poubelle, à l’heure où le prix du papier… je ne vous apprends rien. Et où le coût écologique du papier… je ne vous apprends rien. Quant aux méfaits de la première affiche sur quiconque poserait ses yeux dessus? J’ai beau chercher, je ne vois pas où ils sont. Même le diable dans les détails n’y est pas, mais peut-être est-il dans le camp des censeurs qui veulent se faire plus catholique et cathodique que le pape (aucune allusion religieuse, juste l’expression dans sa compréhension la plus objective et neutre) en se trompant de combat et avec des relents d’une autre époque? Pour préserver la condition de la femme bien emmitouflée dans le manque de liberté, de caractère et d’audace (si on peut ici parler d’audace, encore une fois, décolleté n’était en rien provoquant). Ils doivent faire une crise cardiaque, avoir des sueurs froides (ou chaudes) à chaque ‘scroll’ sur Facebook ou Instagram, ces mandataires qui ont apparemment vu rouge et qui ont fait faire transformer l’affiche du festival!

Par contre, évidemment, comme le suggèrent certains sur les réseaux: « Ça ne devrait pas interdire de s’interroger sur la beauferie molle des affiches de festivals de bd-pour-darons (fille mignonne + monument de la ville). » C’est clair, on a vu plus original comme affiche (en cherchant, hein, c’est comme pour les affiches de film, il y a une telle ), mais d’un autre côté, est-il proscrit de mettre en avant une héroïne de BD (à laquelle beaucoup de femmes s’identifient dans les aventures qu’elle vit) pour laisser toujours la place à des Thorgal, Spirou, Titeuf et autres vedettes, souvent masculines? Dans un monde, où les clichés de certains irréductibles veulent toujours que la BD soit pour les gosses et que les bédéphiles et chasseurs de dédicaces soient des mâles, ce personnage de Marie ne s’adresse-t-elle pas aussi aux lectrices, autrices, femmes ? Je trouve le débat intéressant, malheureusement celui-là a très peu voix au chapitre, comme vous le verrez un peu plus loin.

© Jim/Delphine chez Grand Angle

Un autre auteur, bien connu, expliquait dans un commentaire sur Facebook : « Je ne fais plus d’affiches lorsqu’une mairie est dans la boucle. C’est systématiques, ils trouvent toujours un truc qui ne leur va pas et c’est souvent délirant. Un type avec une capuche, pour eux, c’est forcément un type de banlieue et il va se venger de l’affiche en foutant le feu à la ville (bonjour les clichés). Vécu.- Je leur ai fait un chauve, apparemment les chauves sont plus calmes. »

Enfin, un troisième (j’aurais pu retenir bien d’autres réactions) dessinateur raisonnait : « Il est amusant de constater qu’au début, lorsque j’ai vu l’affiche puis la nouvelle version, je n’ai pas vu la différence. Puis, lorsque j’ai finalement vu les livres couvrant le décolleté, j’ai pensé que la personne qui avait décidé de modifier le dessin regardait simplement ses seins. C’est sexiste et faussement politiquement correct de la manière la plus bigote qui soit. La fille est habillée comme les filles s’habillent en été. Si j’étais l’artiste, je ne changerais pas l’affiche. Je pense que la nouvelle version est plus offensante. Si vous respectez les femmes, alors respectez tout. »

Une nuit à Rome © Jim/Delphine chez Grand Angle

Sur son Facebook, Jim a finalement réagi avec humour, ce mercredi soir : « Amis organisateurs de festival BD, vous souhaitez une belle visibilité ? Faire le buzz et mettre en avant votre belle région dans les médias ? Un professionnel à votre écoute, engagez-moi pour faire l’affiche 🙂 « 

Et son éditeur, Grand Angle, a suivi, ce jeudi en fin de matinée, avec un texte fort à propos.

L’affiche du festival de Moulins en 2015 n’avait pas posé de problème, pourtant…

Jeudi, en soirée, Les informations dieppoises, section d’Actu.fr, par la plume de Fabien Massin, donnaient la parole à Laëtitia Legrand, adjointe au maire en charge de la vie associative, des animations et de la lutte contre les discriminations à Dieppe (ville qui célébrait en grande pompe les droits des femmes, en mars dernier). Voilà ce qu’elle donne comme explication: « Quand nous avons vu l’affiche, nous avons alerté l’association sur le risque de polémique qu’elle pouvait susciter. Nous faisons très clairement la distinction entre une œuvre d’art, comme une bande dessinée, qui là représente une héroïne, et une affiche qui annonce un événement grand public. Or, pour annoncer un événement qui touche tous les publics, nous avons pensé que la représentation d’une jeune femme en pose lascive, avec un décolleté certes léger, n’entrait pas dans la vision que nous nous faisons de la lutte contre les discriminations. »

Il faut dire que la ville a connu un précédent il y a quelques semaines avec une affiche horriblement sexiste et machiste, là il n’y avait aucun doute, pour la braderie du Pollet. On vous laisse juge. Mais de là à ne plus savoir faire la part des choses.

Par ailleurs, la découverte de la mascarade a incité de nombreux confrères, de près ou de loin, de Jim à réagir et à publier leur colère illustrée par les deux affiches en vis-à-vis. Mouvement qui n’a pas plu puisqu’ils sont désormais appelés à… retirer leurs post. Mais ils n’oublient pas d’en mentionner les raisons : « devant les pressions que subissent les organisateurs du festival de Dieppe de la part de l’équipe municipale, et a leur demande ». N’y aurait-il pas abus de faiblesse de la part du politique à l’égard de ces passionnés qui mettent sur pied cet événement et qui n’étaient pas préparés à être dans l’oeil du cyclone. C’est complètement hallucinant.

© – / Nicolin Tout ou rien, les petits malins s’amusent

Mais le plus hallucinant, et horrifiant, c’est le brouhaha des réseaux. Au-delà de ceux, professionnels ou sympathisants, qui défendent la liberté d’expression, quand la twittosphère s’empare de l’affaire, il vaut mieux avoir de bons airbags pour amortir au mieux le mur de haine qu’on va se prendre. Naïvement, je ne pensais pas que cette problématique et cet article pourraient être utilisés pour exciter les plus bas instincts, vengeurs et racistes. Alors qu’il n’y a pas de secret sur l’identité de la personne et l’institution qui ont exigé la correction, ceux qui ne lisent que les titres ou font semblant de ne pas comprendre ces lignes ont vite fait d’idéaliser leur coupable idéal : musulmans, islamistes, transgenres, extrémistes de droite (presque sauf que non la tendance de la mairie dieppoise est à gauche, communiste), masculinistes, féministes…

Tiens d’ailleurs pour ces dernières, illustration qui plus est qu’il est bien difficile de vouloir mettre les gens dans des cases, coup sur coup, voilà deux tweets très contradictoires et marquants du fait que cette censure polémique fait pire que mieux, fait tout mélanger.

Ce qui est marrant, en plus, c’est que ce scandale (appelons un chat un chat) survient alors que Jim a choisi de rajouter une ligne intéressante dans sa bibliographie bien fournie (Une nuit à Rome, De beaux moments, L’invitation, Les petites éclipses, L’érection sans oublier une série de petits livres thématiques sur l’amour, les mecs, les nanas, la thune, le sport, etc.) et aimant étudier les pièces de théâtre (et donc de bande dessinée) vivantes et naturelles que font les relations humaines une fois en action. Ça ne manque pas de sel, ni de sucre, ni de personnages dont le morceau de destin que l’auteur partage avec nous continue de nous suivre un moment. Tout le monde n’aime pas, mais ceux qui se prennent au jeu en redemandent. Parce qu’avec des choses simples, Jim fait des histoires avec des rebondissements, du caractère, de l’amour, de la haine, du hasard.

Une nuit à Rome © Jim/Delphine chez Grand Angle

Son nouveau livre s’appellera… Le chant du cygne – Le féminisme vu par les vieux mâles en fin de course. Un titre, évidemment, à prendre au second degré tant les premiers extraits montrent une propension à tailler un costard à ces mecs qui se révèlent à côté de la plaque, lourdingues et sexistes. Dans ce recueil de gags en une planche, peut-être pourrait-on d’ailleurs trouver des fonctionnaires pris à leur propre jeu et qui, après avoir remonté la blouse d’une Marie (mais cela pourrait être de mesdemoiselles Jeanne ou Chiffre) voient des centaines, des milliers de partages Facebook jouer au jeu des 7 différences entre l’affiche originelle et celle avec son immonde rustine, aseptisée. Vous avez manqué une occasion de faire profil bas, malgré vos déviances, très chers! N’oubliez pas la devise de votre France : liberté, égalité, fraternité. D’expression et sexuelle aussi!

Parce que le temps des héros asexués est révolu depuis longtemps et il suffit d’aller voir sur la page Ulule du festival (pour l’aider à créer des sérigraphies) ou dans la boutique de son site web pour voir qu’il y aura inévitablement dans les rayons des albums ou des ex-libris en tenues légères ou même d’Ève. Et n’en doutons pas dans les dédicaces que demanderont certains lecteurs.

Le chant du cygne © Jim chez Anspach
L’érection © Jim chez Grand Angle

Le chant du cygne sera publié aux Éditions Anspach, d’ici quelques mois. L’auteur le résume ainsi: « Le chant du cygne … Employée en France depuis le XVIIe siècle, cette expression trouve son origine dans une croyance de la Grèce antique. Le cygne, connu pour son chant dissonant, aurait un moment de grâce musicale juste avant de mourir. Le chant du cygne, c’est le dernier cri des hommes perdus face à l’émergence des idées féministes, c’est la dernière complainte du macho obsolète et des masculinités dépassées. C’est un cri. C’est une multitude de regards sur la foultitude des points de vue et d’avis contradictoires. Le côté obsolète et absurde de ces regards masculins, un peu ridicules, justifiera l’humour et les excès nécessaires à ce type d’ouvrage. Un livre qui sera grinçant, mais qui ira dans le sens de l’évolution de la société. Un livre qui incitera le lecteur au questionnement par rapport aux codes d’autrefois, sans casser le féminisme, la libération de la parole de la femme et de la transformation des hommes. Un livre humour adulte, composé de près de cinquante planches. C’est un cri. C’est une multitude de regards sur la foultitude des points de vue et d’avis contradictoires. Le côté obsolète et absurde de ces regards masculins, un peu ridicules, justifiera l’humour et les excès nécessaires à ce type d’ouvrage. Un livre qui sera grinçant, mais qui ira dans le sens de l’évolution de la société. Un livre qui incitera le lecteur au questionnement par rapport aux codes d’autrefois, sans casser le féminisme, la libération de la parole de la femme et de la transformation des hommes. »

Le chant du cygne © Jim chez Anspach

Extraits, savoureux:

Le chant du cygne © Jim chez Anspach
Le chant du cygne © Jim chez Anspach
Le chant du cygne © Jim chez Anspach
Le chant du cygne © Jim chez Anspach
Le chant du cygne © Jim chez Anspach

La campagne de financement participatif est terminée mais on peut encore jouer les prolongations : https://fr.ulule.com/le-chant-du-cygne-3/

13 commentaires

  1. Parce que d’extrême gauche, la mairie de Dieppe ne serait pas sensible à la pudibonderie d’une certaine religion qui ne cesse de vouloir tout dissimuler. Étonnant car on aurait cru que le rouge et le vert s’accordait fort bien.

    Mais il est vrai que la version officielle est « la lutte contre les discriminations » ; ce qui est le parfait synonyme, dans notre langue, de lutte contre les distinctions, puisque discriminer et distinguer sont une signification parfaitement similaire.

    Ce charabia anti discriminatoire ne veut rien dire, il appartient à une pensée aussi politiquement correcte que totalitaire. Le sens ne vaut plus, seule la soumission importe.

    Nous assistons jour après jour à la mort de notre intelligence et de notre liberté.

  2. Votre commentaire pourrait laisser entendre ( vous parlez du « camp des censeurs qui veulent se faire plus catholique et cathodique que le pape » ) que l’offensive contre la première affiche serait le fait de « catholiques extrémistes ». Pouvez-vous confirmer que vous avez bien adopté cet angle de présentation et nous indiquer sur quelles faits ou informations – non présentées ici – elle se fonde ?

    1. Bonjour, aucune allusion à la religion mais à l’expression dans sa définition la plus neutre : « Défendre les intérêts de quelqu’un avec plus de zèle que la personne concernée. (Par extension) Être extrémiste dans ses pensées ou dans ses actions. »

  3. Où voit-on une quelconque discrimination sur l’affiche originale de ce festival dieppois de BD ? Je laisse la parole à Albert Einstein qui a dit : « Deux choses sont infinies : l’Univers et la bêtise humaine. Mais en ce qui concerne l’Univers, je n’en ai pas encore la certitude absolue ».

    Plus sérieusement, je trouve inquiétant ce climat d’intolérance. On est obligé de faire attention à tout ce qu’on dit et à qui on le dit, car tout est sujet à polémique et peut se retourner contre vous.
    Je me pose la question suivante : si je fais une plaisanterie sur les chauves, est-ce que je stigmatise les chauves ? Non, puisque je suis moi-même chauve …. Mais il se trouvera toujours quelqu’un pour m’accuser de me moquer des chauves, ou qui se sentira blessé par ma plaisanterie.
    Il y en a marre de ce politiquement correct qui n’est qu’une censure qui ne dit pas son nom et qui veut imposer une opinion unique. Qu’est devenue la liberté de parole ? La dictature du politiquement correct avance à grands pas

  4. Alors là… Censurer une aussi belle affiche… Si ça continue, en France, vous irez en prison si vous lisez un album de Petzi. Rendez-nous la jolie fille de l’affiche… et son décolleté ! Meilleures salutations de Belgique et soutien entier au monde la BD française.

    1. Si le sexisme que certains auraient pu voir dans l’affiche est ambigu, celui de votre commentaire est flagrant.
      « Rendez-nous la jolie fille de l’affiche » revient à dire qu’elle est jolie uniquement grâce à son décolleté mais enlaidie lorsqu’il est caché puisqu’il s’agit du même personnage sur les deux versions de l’affiche.

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