Un string Hello Kitty qui tombe du ciel dans un océan de flocons poétiques. Pas de doute, c’est Noël en juin dans le nouveau Jim et Lounis Chabane. Et sous le titre volontairement intrigant et provoquant, L’érection, se cache une pièce de théâtre de bd subtile et aux élans bien huilés évitant justement le choix du plus simpliste appareil, même tendu comme une perche.

Résumé de l’éditeur: Quelques jours avant Noël, Léa et Florent, la quarantaine, reçoivent un couple d’amis, qui annoncent durant le dîner être en procédure de divorce. Quand sous la table, Léa pose la main sur la jambe de Florent et découvre que, face à cette amie soudainement célibataire, il a une érection, la nuit va progressivement basculer dans une suite de situations pour le moins inattendues, où toutes les vérités éclateront…

Mais que diable allait-il faire dans cette galère? N’est pas Scapin qui veut et Florent fait plutôt figure de dindon de la farce (normal, pour Noël). Bien content de fêter l’anniversaire de sa femme, Florent s’est donc dit qu’un coup de fouet lui ferait du bien. Une petite pilule bleue prise en toute discrétion (effet de surprise garanti!) et Léa passera une nuit légendaire! Bon, encore faut-il se farcir ce couple d’amis venu comme on vient à une bandaison de crémaillère, mais bon connaissant la témérité de l’ami en question face au sommeil, Florent devrait bien vite ne plus les avoir dans les pieds. Sauf que le plan (cul) parfait ne se passe pas comme prévu et que la nuit si excitante, Florent va la passer en se mordant les doigts dans sa chambre (à part et improvisée) et bien handicapé par une grosse bosse sous la ceinture. Et si sa gaule était une immense trahison? Vous dansiez? Et bien bandez maintenant.

Et dire qu’on croyait la bande dessinée bien incapable de servir de planches pour une pièce de théâtre. Il faut le voir (et le lire) pour le croire mais Jim y réussit parfaitement. Amoureux des relations humaines et conjugales, après nous avoir livrés quelques morceaux de vie bien choisis dans les Beaux Moments (pour lequel nous avions réalisé une jolie interview), Jim revient en grande forme pour nous emmener dans l’huis-clos de ce grand appartement parisien à 7 ou 8 pièces. Et la jouissance du lecteur n’a d’égal que la non-jouissance de ce personnage principal mal embarqué face à sa compagne qui lui reproche de ne plus la désirer malgré son pantalon déformé par un brakmar du tonnerre! Un bâton pour se faire battre.


Un huis-clos théâtral en 68 pages (et encore ce n’est là que le premier livre de l’Érection), avouez: c’est le genre de récit qui prend le risque de nous lasser sur fond d’une crise de couple qui, pour le coup, ne s’enlacera pas. Et pourtant, Jim met en place un sens cinématographique des scènes, très souvent jubilatoires, tandis que Chabane réussit l’impossible. Loin de tourner en rond dans ce grand appartement, le dessinateur réussit à le dépeindre sous tous les angles, sans jamais provoquer d’effet de déjà-vu et tout en magnifiant le duo qui le peuple. Mieux, Chabane habite ses personnages tant il les rend capable de mille émotions. Quand ça gueule, on a l’impression que des cris se font entendre dans notre espace de lecture, de même qu’on sent toute la solitude de Florent. Et les couleurs de Delphine viennent couronner le tout. De quoi souligner encore plus la délicatesse du scénario de Jim, qui marche dans les traces de Yasmina Reza tout en appliquant sa propre empreinte.

Et malgré son titre (fort bien vu), L’érection réussit toujours à parler de vie, de couple, de détresse, de crise et d’amour sans parler de cul. Parachuté en douceur entre les deux, le lecteur est dans cette histoire moins voyeur qu’impliqué et renvoyé à sa propre vie. Sans pour autant gâcher son propre plaisir. Passé un dernier rebondissement fort et inattendu, on attend la suite. Jusqu’ici, les deux auteurs tirent là un très joli… coup! Pour rester dans le théâtre, comme dirait un autre: c’est un pic, c’est un cap, c’est une péninsule!
PS (edit du 1er juillet): Quelle ne fut pas ma surprise en allant à la Fnac de Louvain-la-Neuve, hier, de voir L’Érection placé tout en haut du rayon avec un logo +18. Incompréhension la plus totale pour ce qui est sans doute le fait d’un employé qui n’a sans doute pas pris la peine d’ouvrir le livre. Car s’il est vrai que la couverture (et surtout le titre) peut rebuter (on vous conseille comme challenge de laisser traîner cette bande dessinée sur la table, le jour où mamie vient à la maison), elle est entièrement abordable. Bien plus que ne le laisse paraître le logo +18.
Titre: L’érection
Tome: Livre 1/2
Scénario: Jim
Dessin: Lounis Chabane
Couleurs: Delphine
Genre: Théâtre, Huis-Clos, Drame
Éditeur: Bamboo
Collection: Grand Angle
Nbre de pages: 68 (+ 2 pages d' »Entracte »)
Prix: 16,90€
Date de sortie: le 01/06/2016
Extraits:
C’est excellent !