Après Conan, Thorgal et Adieu Aaricia : Robin Recht réinvente un autre mythe avec une grande sensibilité et des paradoxes aussi glaçants que volcaniques

Depuis longtemps, au-delà de sa série principale et originelle, qui a bâti sa légende, Thorgal a vu naître des rejetons, des séries dérivées, des mondes parlant de sa jeunesse, de Kriss ou de Louve. Cela devait arriver, puisque tant d’autres séries franco-belges sont déjà passées par là, voilà que s’inaugure une prestigieuse collection, Thorgal Saga, laissant un auteur faire une incursion, le temps d’un gros one-shot (112 pages ici) et avec carte libre, dans la magie et l’aventure viking. Un exercice casse-gueule mais qui peut valoir son pesant d’étoiles s’il est réussi. Robin Recht fait encore mieux.

Résumé du Lombard : Le temps est le plus cruel des dieux… Couronnée de cheveux blancs, Aaricia a rendu son dernier souffle. Au crépuscule de sa vie, écrasé par la douleur, Thorgal se voit proposer l’anneau d’Ouroboros par le perfide Nidhogg. Qu’il le mette à son doigt, et il pourra retourner dans son propre passé, et revoir sa bien-aimée. Qu’importe le prix à payer, il est des tentations auxquelles même le héros le plus pur ne peut résister…

© Robin Recht chez Le Lombard
Frontispice de l’édition augmentée © Robin Recht

L’eau/la glace ou le feu volcanique. Ou les deux. Tel est le choix d’emblée proposé par le Lombard au lecteur. En effet, on se doute que ce genre d’album va être prisé, il a donc été tiré en deux versions, une classique et l’autre spéciale et limitée, en plus grand et en plus fort (avec un beau cahier graphique et une plus haute immersion encore dans ce trait et ces couleurs qui claquent, qui mettent le feu et la glace). Évidemment, le second tirage se révèle encore plus intense mais toute la force de Robin Recht est déjà bien présente dans l’album normal. Sacrée performance que celle réussie par cet artiste qui se sera payé Conan et Thorgal, dans deux albums aussi marquants l’un que l’autre. Recht a le don de saisir l’ambiance, l’univers, d’en proposer une version tout à fait personnelle tout en mettant d’accord les passionnés de ces personnages hors-norme.

© Robin Recht chez Le Lombard

À lire aussi | Et Ymir créa la femme, et la montagne, Conan : Robin Recht les unit et en tira une épopée sensorielle à couper le souffle

Á lire aussi | La cage aux cons, un huis clos terrible, tour à double-tour hilarant et suffocant

© Robin Recht chez Le Lombard

Mais comment aborder la figure de Thorgal dans un one-shot, en faisant abstraction (si tant est que ce soit possible) de sa longue aventure, en ayant à coeur de ne pas l’entraver, de savoir la prolonger tout en faisant une proposition différente. C’est le défi que Robin Recht relève en partant d’un postulat loin d’être inédit: le voyage dans le temps. Piégé, Thorgal va devoir se confronter aux siens avec l’apparence du vieil homme qu’il est devenu. D’autant plus qu’il doit faire le deuil d’Aaricia. C’est là sa douleur, là sa faiblesse, prêtée à Nidhogg qui s’engouffre dans la brèche et le renvoie là où sa légende est née ou presque, sur les plages et dans les forêts qui ont vu grandir l’enfant.

© Robin Recht chez Le Lombard

Alors, le nouveau venu (qui a pourtant toujours été là du plus lointain qu’il se souvienne et dès son adoption) est-il venu au milieu des vikings du nord armé de bonnes ou de mauvaises intentions? Certes, il a sauvé Solveig mais Aaricia est toujours volatilisée dans la nature. À cause de qui, de quoi? Ce rôdeur dont l’apparence est suspecte est-il blanc comme neige? C’est dur pour un héros d’être accueilli comme un traître, ou pire comme un vieillard. Qu’il est certes devenu. L’ombre de lui-même, ne tenant pas le rythme d’une expédition qui sera peut-être la dernière. D’autant qu’en face, les frères loups, Baalds, ne plaisantent pas, totalement acquis à la folie destructrice et sacrificielle de leur secte et tapis dans une caverne qui leur donnera inévitablement l’avantage sur d’éventuels assaillants.

© Robin Recht chez Le Lombard
© Robin Recht chez Le Lombard

Cet album one-shot est donc un album qui a la bougeotte, qui ne reste pas en place, tant pis pour la vieille carcasse de notre cultissime guerrier. Tandis que le jeune, lui, saute sur tout ce qui bouge. Il faut dire qu’il a été à bonne école, avec la reine des pirates, la fille de Surtur (l’équivalent nordique de Vulcain/Héphaïstos): Skraeling. Une géante ébène qui impressionne et va être un atout non négligeable dans le voyage et le sauvetage contre-la-montre d’Aaricia. Bien plus impressionnante que le chef viking, Gandalf-le-fou, jamais en reste pour servir son intérêt. Ce trip de tous les dangers sera l’occasion de voir ce que chacun vaut, dans le pire comme le meilleur, quitte même à ce que Thorgal-le-vieux corrige le tir de ses précédentes aventures. En tout cas, le jeune n’a d’yeux que pour la prestance et la force de Skraeling. Aaricia, si elle est sauvée et que Nidhogg n’arrive pas à ses fins, Aaricia aura toute la vie pour lui dérober son coeur.

© Robin Recht

Avec goût et textures, du relief et de l’altitude, Robin Recht réussit son incursion dans le monde créé par Jean Van Hamme et Gregorz Rosinski (il y a d’ailleurs un bel héritage dans l’esthétique Recht). Dans cette fin prise comme début, il y a quelque chose d’une ultime initiation, mais aussi quelque part une origine. Le recul d’un Thorgal sied bien à la manière dont s’emporte l’autre. Avec des temps d’action et des temps de réflexion, à laquelle contribue la rudesse de ces lieux explorés. Et à l’heure où l’on croit que le final dantesque, sans issue et implacable, avec des pertes inévitables, certaines assez jouissives, d’autres qui nous font écraser une larme, Robin Recht met du coeur à changer la donne de ce qu’on voit habituellement, à faire triompher autre chose que le bien ou le mal, plutôt un panaché. Thorgal est le plus grand des guerriers, cela n’est et ne sera plus à prouver, mais c’est dans une autre sphère que le place l’auteur complet, au terme d’un spectacle engagé, sanguinaire mais pas insensé. Émotionnellement intense et posant de vraie question sur la figure du héros… ou de l’héroïne, des légendes.

© Robin Recht chez Le Lombard
© Robin Recht chez Le Lombard

Le prochain one-shot arrivera en 2024, sous le titre de La forêt verticale, et sera l’oeuvre de Fred Duval et Corentin Rouge. Ils auront fort à faire, mais ils sont eux aussi extrêmement doués, pour se hisser à la hauteur de ce recommencement.

À lire chez Le Lombard. en version classique et/ou augmentée, et à découvrir en exposition parisienne, du 27 avril au 27 mai dans la galerie Huberty-Breyne.

© Robin Recht chez Le Lombard
© Robin Recht chez Le Lombard
© Robin Recht chez Le Lombard
© Robin Recht chez Le Lombard
© Robin Recht chez Le Lombard
© Robin Recht chez Le Lombard
© Robin Recht chez Le Lombard
© Robin Recht chez Le Lombard

© Robin Recht chez Le Lombard
© Robin Recht chez Le Lombard

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.