Après Irena et Simone, deux icônes féminines, résistantes chacune à leur façon, Jean-David Morvan et David Evrard mettent leur expertise du récit de guerre pour le tout public, y compris le jeune, sans se priver d’appeler un chat un chat et sans fioriture. Pour les cent ans des Éditions Dupuis, le duo s’allie à BenBK pour raconter l’épopée des amis de Spirou. Des petits gars et gamines qui feront leur, corps et âmes, le code d’honneur publiée dans le Journal de Spirou, inspiré par Jean Doisy, pour tenter de conjurer l’occupation nazie, ou en tout cas lui mettre des bâtons dans les roues. Mais les héros de papier sont immortels, pas les Gavroche de chair et d’os.
Résumé des Éditions Dupuis : Marcinelle, septembre 1943. L’occupant nazi vient d’interdire la parution de Spirou ! Le jeune Flup et ses amis sont effondrés, car tous les cinq font partie du club des ADS, les Amis de Spirou. Ensemble, ils vont créer un magazine de BD satirique anti-nazi, avec toute l’innocence d’enfants décidés à appliquer le code d’honneur de leur héros de BD préféré. Ce qui ne va parfois pas sans dangers. Des vrais dangers, de ceux dont on meurt…
« Un ami de Spirou est franc et droit. Un ami de Spirou a du cran, il sait dire oui ou non. Un ami de Spirou aime la discipline libre et joyeuse. Un ami de Spirou est fidèle à Dieu et à son pays. Un ami de Spirou est l’ami de tous mais surtout des faibles. Un ami de Spirou sait se rendre utile, se déranger pour les autres, se priver. Un ami de Spirou n’a pas peur de se salir les mains, mais veut se garder propre dans ses pensées, ses paroles et ses actes. Un ami de Spirou est toujours gai et de bonne humeur même devant la difficulté. Un ami de Spirou s’engage à ne dévoiler à personne la clef du code. » Celui du Fureteur, celui des ADS, un véritable mouvement de jeunesse né dans les pages de Moustique, appuyé à la naissance du Journal de Spirou, toujours aussi actuel dans sa globalité, à tel point qu’après Jijé (l’original est ci-dessus), c’est David Evrard qui a redessiné la charte, au coeur d’une double-page de l’album mais aussi en poster. Un chouette cadeau que les plus jeunes pourront par exemple placer dans leur chambre pour se rappeler qu’il ne faut pas avoir peur d’aller vers les autres, de sortir de sa bulle.
Une bulle qui peut être oppressante. Lors de l’invasion allemande du territoire belge, les cinq amis inséparables et dévoués que sont Georges (Fantasio 24), Pierrot (Tif 38), Paulo (Tondu 39), Armand (Valhardi 17) et Miche (Spirouette 33 947) perdent leur lecture hebdomadaire mais aussi le contact avec les quelque 17 000 adhérents de ce mouvement de jeunesse qui carbure aux B.A., que l’on soit ou pas abonné à Spirou. Censuré, étouffé, interdit d’insigne, pourtant beaucoup plus jolie qu’une croix gammée. Dans cette marche vert-de-gris, sans doute, ces graines de héros perdent-elles aussi une part de leur innocence, mais ils peuvent compter sur eux-mêmes, sur l’instinct MacGyver conféré par Spirou et ses Amis pour agir, à leur petit niveau, pas plus haut que trois pommes… mais qui sait ce qu’on peut réaliser quand on se fait la courte échelle.
Alors, le quintet fait ce qu’il sait faire de mieux. S’ils sont rompus aux bagarres avec les bandes adverses, avec comme un air de guerre des boutons en pleine ville, pourquoi ne pas s’attaquer à un plus gros morceau? Si leurs lance-pierres ne feront pas le poids face aux carabines « Deutsche Qualität », pourquoi ne pas jouer sur la dérision et tourner en ridicule l’envahisseur. Avec le papier, celui dont semblent avoir si peur les sous-fifres du nabot tyrannique, cet autre club des cinq ba enfoncer le clou et faire son journal de Spirou malgré tout, dessiné et écrit par leurs petites mains. Puis dispersé au marché, au nez et à la moustache de la wehrmacht et consorts. Résistants, partout, toujours! Mais mettre le doigt sur l’engrenage, c’est prendre le risque qu’il se retourne contre vous.
Je dois bien avouer qu’à l’arrivée d’Irena, il y a quelques années, j’étais plutôt dubitatif en voyant le trait de David Evrard, que je trouvais trop très jeune public, trop innocent. Je m’étais bien planté. Dès les premières pages, son dessin m’a plu, m’a semblé consistant et capable de bien des nuances. Dans les Amis de Spirou, deux histoires sont racontées en parallèle, celle au plan large avec cette bande qui ne recule devant rien, et celle au plan plus resserré, plus intime, qui cadre sur Jean Doisy lui-même, son recul sur les événements que le lecteur doit encore découvrir et la responsabilité que lui confère son oeuvre, cette charte. Dans le meilleur comme le pire.
Car si l’album se vit dans une espèce d’insouciance, avec un bon gros toutou (et de belles séquences animalières pour rythmer les avants- et arrières-plans) comme les aime David Evrard, tout peut partir en vrille. Et l’innocence et la légèreté d’une scène de bagarre aérienne peuvent très vite être chassées par l’inacceptable, l’intolérable. À la fin de ce premier album, on se retrouve vraiment pris à la gorge, à subir les démons de cette guerre qui n’épargne rien ni personne. De la même manière qu’avait pu le faire Emile Bravo dans Spirou – L’espoir malgré tout. Les amis de Spirou, ce n’est pas (que) pour rire. On peut en mourir. Certes, les enfants de la résistance sont déjà passés par là, mais si l’amitié coûte que coûte reste emblématique, la manière de négocier cette résistance est différente. Plus frontale.
À lire chez Dupuis.
