
Le monde est petit et, dans celui du Neuvième Art, il n’est pas rare de voir les petits faire la loi et, même, faire la nique à leurs aïeux. Bon, les p’tits hommes n’ont jamais fait d’ombre à leurs modèles franquinesques mais, par contre, le Petit Spirou a devancé au box-office le grand ! Éh oui, les héros en culottes courtes, éternellement jeunes malgré le temps qui passe et la modernité qui peut s’inviter dans leurs cases, continuent d’être phare. À tel point que de nouvelles idées germent autour d’autres stars, qu’elles soient de la BD ou des écrans, de la fiction ou du réel. La preuve par trois.

Le petit Spirou – tome 19 – On ne parle pas la bouche pleine
Résumé de l’éditeur Dupuis pour le tome 19 du Petit Spirou : Le Petit Spirou, c’est avant tout une galerie de personnages incroyables : de la grand-mamy en mal d’affection et souffrant d’Alzheimer jusqu’à M. Mégot, le professeur de gym adepte du moindre effort et des fake news, en passant par Suzette, petite amie officielle du petit Spirou, qui a décidé de devenir végane et star des réseaux sociaux en même temps.

Commençons par celui que tout le monde rêve d’imiter! Le petit Spirou. S’il a perdu l’un de ses papas (oui, je sais, certains n’aiment pas qu’on utilise cette expression, pourtant je la trouve tendre et éloquente quand il s’agit de parler de l’amour et des émotions dont un auteur peut investir une création, même de papier), Tome, Le petit Spirou continue de vivre ses aventures, à la fois naïves et très à propos de l’époque que nous traversons, tout en gardant une saveur universelle, sous l’imagination et le crayon de Janry.

Et le choc des générations continue. La preuve, Monsieur Mégot a fait avaler son steak… euh… son skate à notre petit d’homme au calot. C’est la couverture de ce 19e tome, On parle pas la bouche pleine, dont le titre est toujours cerné d’une traînée de poudre qui risque bien d’exploser avant la fin de l’album. Encore plus si Mégot fume trop près de la mèche. Et s’il était en fait un héros anonyme, ce prof de gym complètement à côté de ses pompes (Adadas, forcément). C’est ce que tente d’instituer une histoire courte, plongeant avec saveur mais aussi tyrannie dans la jeunesse du moustachu, qui est passé à côté d’un record!

Chaque album n’oublie personne de la famille et de l’entourage du petit d’groom, chacun a son heure de gloire ou en prend pour son grade, toujours avec cet attachement qui tient la route depuis plus de 35 ans. Le sport n’est bien évidemment pas en reste mais les rituels de cet âge insouciant sont passés en revue: la cueillette des pommes, la visite d’un aïeul qu’on n’a (vraiment) pas envie de voir… ni de sentir son haleine, les petits cadeaux tout mignons, sans oublier les bonnes femmes (à gros lolos) de neige. Sans oublier les monstres sous le lit et les premiers émois sexuels (ah mademoiselle Chiffre).


On découvre ces tranches de vie en une planche ou un peu plus avec une réelle tendresse avant de complètement vriller quand viennent la chute et la dernière case. Même quand le déroulé scénaristique est un peu moins percutant, le trait de Janry est d’une efficacité redoutable, alors quand tout s’accorde, c’est génial. Dans le dessin de Janry, tout est tellement bien senti et rendu, avec de l’émotion, des larmes, pas uniquement de rire. Un must.

Picsou – Le dragon de Glasgow

Résumé de l’éditeur Glénat pour Picsou – Le dragon de Glasgow : Avant de devenir l’acariâtre oncle Balthazar aux poches bien remplies, Picsou a connu le grand amour et une enfance modeste dans les quartiers de Glasgow. Élevé à proximité des mines, il aime s’y faufiler et explorer les tunnels souterrains avec sa bande de copains. Mais le petit canard aime aussi la magie du théâtre, un loisir réservé aux familles aisées. Lorsque le hasard met sur son chemin la belle Erin, nièce de la directrice de l’établissement, Picsou va s’ouvrir à cet univers passionnant. Ensemble, ils s’amusent en sillonnant la ville jusqu’au jour où la mine commence à décliner. Si elle ferme, c’est la faillite assurée pour Glasgow et ses habitants. Que faire ? Picsou a bien une idée, mais ça demande une sacrée dose d’imagination. En usant d’un subterfuge théâtral bien huilé, il va se lancer dans une entreprise périlleuse qui pourrait sauver la mine et faire naître un dragon insolite dans ses entrailles !

C’est vrai qu’il y en a eu beaucoup pour Mickey dans les créations originales proposées par Glénat avec des auteurs de tous les horizons, mais les canards ne sont pas en reste. En l’occurrence, l’oncle avare qu’est Picsou. Dans ce one-shot qui pourrait en appeler d’autres, Joris Chamblain et Fabrizio Petrossi le sortent de son bain de pièces d’or et même de sa zone de confort pour l’envoyer se balader dans sa (prime) jeunesse. Oh, rien de neuf, là, Don Rosa l’a fait de manière « masterpiece ». Alors, voilà Picsou qui est encore Balthazar, quand il n’avait pas un… sou dans les rues de Glasgow, en cette fin de XIXe siècle qui met en sursis « la deuxième ville de l’Empire britannique ».


Alors si l’avenir appartient aux audacieux, à ce moment où on ne songe pas à gagner sa vie (n’en déplaise au patriarche), Balthazar avait bien des ressources et des rêves à revendre pour partir à l’aventure avec sa bande de potes et sa petite soeur Mathilda. Sur les planches de théâtre où toutes les vies peuvent s’inventer. Et sur les hauteurs de la ville, où la mine semble être une porte toute trouvée pour partir à la découverte d’un trésor ou du moins chasser le monstre. Car, il y a dans cette gueule noire, aux mille ramifications, quelque chose de secret si pas d’horrible, ou de revigorant.

C’est du Disney, mais c’est pas loin de Scooby-Doo, en inversé, mais aussi du film social à la Ken Loach. On n’apprend pas à un vieux canard à faire la grimace mais à un jeune? Par la vitalité de ces enfants, les deux auteurs partent dans différentes directions, intéressantes, enrichissantes, originales, mais peut-être un peu trop audacieuses que pour tenir dans ces 54 pages qui allient dans le dessin de Petrossi (auquel les couleurs de Bruno Tatti et son assistante Merete Jepsen) un côté très moderne et très rond mais aussi de ces histoires d’antan qui ont fait nos premiers émois. C’est très dynamique et très habité dans des décors authentiques, qui ont de l’âme. C’est très beau et très porteur.


Le petit Issa, tome 1, La kiffance

Résumé de l’éditeur Kennes pour Le petit Issa : À cet âge-là, je n’aurais jamais pensé être, un jour, l’une des personnalités préférées des Français. Aujourd’hui, ça me permet de réaliser quelque chose qui m’a manqué quand j’étais petit : avoir un héros auquel m’identifier. Même si j’ai adoré grandir avec Le Petit Nicolas, Le Petit Spirou, Lucky Luke et tant d’autres, ces personnages étaient très éloignés de mon quotidien. Alors, avec mes souvenirs d’enfant, la complicité de Rémi au dessin et Jeanne à l’écriture, j’ai le plaisir de vous faire découvrir la vie d’un petit banlieusard, Le Petit Issa qui a grandi au milieu de multiples religions et origines différentes. Mais comme le dirait un grand penseur de mon temps : « Personne dans la vie ne choisit sa couleur, l’important, c’est d’écouter son cœur. » C’est une BD pour les enfants d’aujourd’hui, mais ne vous inquiétez pas : les parents se reconnaîtront aussi.

Touche-à-tout, visage connu du PAF près de Debouzze ou d’Arthur, Issa Doumbia a une bonne bouille et donne l’impression d’être toujours un gamin délirant, au sourire contagieux. À 40 ans (hé oui), il est assez comique de voir celui qui incarne Baba dans le dernier Astérix de Guillaume Canet (on vous a dit ce qu’on en pensait) devenir lui-même un personnage de BD à part entière. Un mini-lui dans les premiers émois, les bêtises, ce qui inspire et fait rêver, peut faire peur (comme un dobberman en furie à ses trousses) à ce benjamin d’une famille avec quatre enfants, d’origine malienne.

Issa, c’est le seul des quatre à être né en France. Assez vite, les auteurs (Issa et Jeanne Degois au scénario et Liroy au dessin et couleurs très pop) nous familiarisent avec l’entourage de celui qui est déjà trublion et sacré animateur de quartier. Dont Jacky, le gardien, tente bien de garder dans la quiétude sans s’empêcher de se laisser embarquer dans les challenges que se lance cette bande de gamins qui ne sont pas de merde mais ne s’empêchent pas de faire les 400 coups, gentils et ébranlant les murs que la société dresse entre ses classes arbitraires. Ici, tout le monde se retrouve. Les cases et les dessins sont grands, passant du quotidien familial à l’enceinte de l’école, entre bonnes actions et gags 100% gratuits 100% plaisir. Entre la grand-mère atteinte d’Alzheimer, le chien du boulanger, les influences pop qui donnent des rôles à nos p’tits trublions, les enseignantes dont on tombe in love (hé oui, ici aussi) et les jeux en plein air à toute allure, il y a de quoi faire.

Liroy est doué dans le sens du cartoon, cette envie de se servir des codes de la BD et d’en utiliser les pouvoirs plus loin que le case à case. Il y a de l’inspiration, plus loin que le produit dérivé auquel on s’attend, qu’on redoute, quand on voit des Youtubeurs/Instagrammeurs, des stars du jeune public ou autres coqueluches investir le monde du Neuvième Art. Alors, c’est un peu rigide dans les expressions et ça manque un peu de relief, de décors un peu plus élaborés, d’autant plus que les cases sont grandes on l’a dit, mais l’essentiel est là et on passe un bon moment à découvrir, entre autofiction (pas autosatisfaction) et autobiographie, l’envers de la jeunesse de ce bon vivant qui compte dans le paysage français de l’humour. Un deuxième tome est annoncé par un « à suivre » et un cliffhanger inattendu dans cette succession de gags et saynètes qui font souvent mouche.
À lire chez Dupuis
À lire chez Glénat
À lire chez Kennes