Soixante printemps en hiver : les choses de la vie et celles dont on ne veut plus, du présent qu’on connaît trop à l’avenir indicible mais libérateur

© Chabbert/De Jongh chez Dupuis

On est tenus. Par le métro-boulot-dodo, par les relations sociales, la peur de décevoir, de ne pas pouvoir faire demi-tour. On est tenus surtout par le manque de courage d’envoyer promener ce qui nous a joué des tours au fil des années, ces années qui enferment  parfois dans ce qui ne nous ressemble pas, plus. Dans Soixante printemps en hiver, les deux autrices si sensibles et lumineuses que sont Ingrid Chabbert (Larkia, Emma, une vie d’ours, etc.) et Aimée De Jongh (Jours de sable, Le retour de la bondrée…) font décoller leur héroïne, Josy, vers les aspirations qui la portent réellement. Parce qu’il n’est pas trop tard pour reprendre le cours de ses rêves, le contrôle de sa vie. Mais les responsabilités et l’irresponsabilité ne reviennent-elles pas toujours, arbitrairement, à celui qui part, sauvant les apparences de celui qui reste, seul? Pourtant les raisons derrières ce « je pars » ne sont pas mauvaises, elles sont nobles, émancipatrices. Du devoir de dire encore, amen à tout, au droit de dire stop, de passer de sexagénaire rabougrie à sexygénaire, lumineuse.

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Résumé de l’éditeur : Le jour de son 60e anniversaire, Josy refuse de souffler les bougies de son gâteau. Sa valise est prête. Elle a pris une décision : celle de quitter mari et maison pour reconquérir sa liberté en partant avec son vieux van VW ! Sa famille, d’abord sous le choc, n’aura dès lors de cesse de la culpabiliser face à ce choix que tous considèrent égoïste. Josy va heureusement tenir bon, trouvant dans le CVL (« Club des Vilaines Libérées ») des amies au destin analogue et confrontées à la même incompréhension sociétale… Mais cela suffira-t-il pour qu’elle assume sa soif d’un nouveau départ ?

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C’est fou! Quelle richesse quand même que les mots français et les images qu’ils proposent. Après des millénaires d’écrits, la langue de Molière (et tous les autres) est toujours inépuisable pour les créatifs. En témoigne ce formidable titre, l’un des plus beaux et poétiques de ces dernières années dans le monde littéraire, qui n’est en rien trahi par la finesse et l’humanité du trait et des couleurs d’Aimée De Jongh. Soixante printemps en hiver.

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Pour leur première collaboration, les deux autrices semblent s’être complètement trouvées, et nous avec. Parce que cet album, qui existe fort fort fort en lui-même, n’est tout de même pas sans rappeler L’obsolescence programmée de nos sentiments, qu’Aimée avait signé avec Zidrou. Les deux albums pourraient sans nul doute se suivre dans une collection, plus qu’une série, même s’ils sont parus chez deux éditeurs différents. Il y a un prolongement, une même fidélité et âme.

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Ainsi, dans cette deuxième incursion dans ce que certains considèrent comme la seconde moitié d’une vie, mais peut être un nouveau départ, Aimée De Jongh met en lumière un scénario en or d’Ingrid Chabbert sans fausse pudeur, dans la beauté des émotions et des corps vieillissants mais pas rendus, un parcours d’une vie, ou d’un petit moment de celle-ci où tout est remis en question. Du passé au futur. Car, en ce jour de festivité familiale, Josy est bien décidée à solder ses comptes à l’heure du gâteau. Les bougies pétillent plus que ses yeux, et il lui appartient d’inverser la tendance. C’est son anniversaire, un chiffre rond, et le plus beau cadeau qu’on puisse lui faire, c’est de la laisser suivre son instinct. Même si elle ne sait pas où cela la mènera. Sous sa toile depuis bien trop longtemps, l’estafette VW n’attendait elle aussi que ce moment, partir à l’aventure sur les routes enneigées pour finir à quelques pas de la maison, mais en ayant rompu les liens et en brouillant les pistes des héritiers.

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Enfin, c’est sûr, le portable va sonner plutôt mille fois qu’une, être pris pour un standard téléphonique sous la colère des enfants qui ont du mal à avaler la « trahison » de leur mère. Et leur père, que va-t-il devenir? Quel égoïsme… Mais le comble de l’égoïsme n’est-il pas de n’avoir plus jamais su s’écouter ? Et s’il y a des doutes, Josy fonce vers l’inconnu et toutes les rencontres qu’il suscite, qui ne se serait jamais produites autrement : sur le parking (des anges) transformé en camping (ce qui vaut d’ailleurs une descente de police), dans le salon du Club des Vilaines Libérées, dans l’amour qui reprend des couleurs pour une autre personne (pas un genre) que son mari qui ne l’aime de toute façon plus. Et c’est réciproque.

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Naturellement, cette course que certains considèrent insensée est semée d’embûches, d’un drame qui choque autant l’héroïne que le lecteur, peut-être même les autrices ont-elles été surprises d’avoir le courage de provoquer cet accident qui remet tout en question mais assume la profonde liberté et humanité de cet album pépite, intense et empli de bienveillance mais jamais de facilités, dans les mots, les traits, les couleurs, la lumière ou les blackouts. Un équilibre a été trouvé, céleste et naturel, exemplaire.

© Chabbert/De Jongh chez Dupuis

Titre : Soixante printemps en hiver

Scénario : Ingrid Chabbert

Dessin et couleurs : Aimée De Jongh

Genre : Drame, Récit de vie

Éditeur : Dupuis

Nbre de pages : 120

Prix : 23€

Date de sortie : le 20/05/2022

Extraits : 

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