Survival, le mot est lâché et est à la mode. Au cinéma, dans la littérature, la BD et même dans les comportements de certains qui avaient pris les devants ou ont été confortés par la crise sanitaire (mais pas que) que nous traversons. Dans un monde ressemblant comme deux gouttes d’eau au nôtre ou dans un avenir plus ou moins proche, ce que l’humain pourrait endurer poussé dans ses retranchements reste un désert fertile pour les créateurs de fiction. La preuve avec trois albums BD où être survivants n’était déjà pas facile mais où être le dernier debout reste l’ultime challenge. Dans la moiteur de l’été, ils nous offrent le parfum de l’apocalypse.

Dirty Old Glory, tank va la cruche au sang

Résumé de l’éditeur : Unis par le survivalisme et le rejet d’une société en plein déclin, Carl, Enapay, Pulp, Benedict et Fritz font face à une attaque. Une de plus, depuis que la guerre civile fait rage. Acculés, pris au piège, ils devront attendre patiemment, et pleins d’espoir, qu’on vienne les sauver. L’occasion pour chacun de partager un passé souvent tourmenté… Les valeurs qu’ils partagent leur suffiront-elles pour traverser cette épreuve ?

Il y a tout une armada sur les pages de garde que proposent Mud et Prozeet mais c’est une galerie de personnages à bout de ressources qui nous est livrée en pâture dans ce nouveau one-shot de Doggybags. Parce que quand il y en a un peu plus, ils nous le mettent, ces auteurs généreux, surtout quand il faut tout faire péter. Et c’est ce qu’il va se passer.

Expédiant le contexte sur une page rouge sur noir (sans doute était-ce blanc mais le sang l’a imprégné), situant l’action dans un avenir proche qui voit les États-Unis décérébrés à force de polémiques, de fake news et un égoÏsme sans limite même s’il permet de s’associer quand il faut lutter et défendre une cause qui tient à coeur et aux tripes, le binôme passe vite de l’odeur de napalm au petit matin au milieu des gratte-ciels à un huis-clos crasse, puant la mort et la sueur du sursis. Un tank comme radeau de la Méduse dans lequel, entre souvenirs douloureux ou positifs et présent, Mud et Prozeet (quel cynisme, alors que l’eau vient à manquer mais pas le sang qui coule) prennent un malin plaisir à tailler leurs héros dans des physiques à rude épreuve et des psychologies martyrisées dans des existences dissolues.

Au final, on ne sait pas si on est du côté des bons ou des méchants, et on s’en fiche. On se laisse absorber dans la tension de ces relations humaines, voire bestiales. Avec des détonations et des flashes pour éclairer l’ombre mortifère. En espérant que vous ayez mangé léger et que vous ne soyez pas du genre à vous attacher. Dans ce récit finalement court mais intense, les auteurs font un bon travail de sape.

J’ai tué le soleil, je suis une légende

Résumé de l’éditeur : Avec pour seuls bagages un sac à dos et un fusil, un homme marche en quête de nourriture. Jour après jour, alors qu’il paraît seul au monde, Karl tente de survivre. Sa blessure à la tête est sans doute la cause de son amnésie. Il avait pourtant un projet. Un projet qui devait le faire entrer dans l’histoire…

Dilemme : faut-il manger léger ou costaud quand on s’apprête à traverser un désert glacé et semé de cadavres ? À vous de choisir, et comptez sur Winshluss, sous une couverture démoniaque, pour ne pas vous aiguillez sur le bon choix. Dynamique et toujours en recherche de nouvelles sensations, l’auteur (récipiendaire d’un Fauve d’or, d’un Prix du Jury à Cannes et de deux César dans son encore jeune carrière) quitte le monde de l’enfance dans lequel nous l’avions vu à l’oeuvre la dernière fois pour nous entraîner dans un monde à la fois adulte et puéril, burné et brûlé.

Et quitte à parler de l’avant dans ce récit en deux parties réuni en un seul et même volume, autant parler de l’après d’abord. C’est ainsi que dans un monde sauvage, qui a quasiment réussi à éradiquer l’humain, Winshluss nous présente brièvement Karl. Brièvement, car Karl n’a plus de mémoire, juste un prénom et cette conscience qu’il n’y a plus grand-monde d’humain sur cette Terre, entre ours, chiens enragés et des morts plus qu’il n’en faut. Alors, Karl a cet instinct qui le pousse à aller de l’avant, à survivre. Jusqu’à trouver des pairs qui l’accepteront ou voudront lui régler son compte.

En posant son héros comme Rick Grimes dans The Walking Dead, Winshluss joue sur l’affect pour mettre le lecteur dans sa poche et le faire trembler pour que le personnage s’en sorte. Coûte que coûte, malgré la soif et l’épuisement.

Dans ce récit de désambiguïsation, alliant le buriné noir et blanc, frontal, à quelques respirations bucoliques, Winshluss livre un road movie dans l’espace puis dans la tête de son personnage, sans concession, interrogant la manière dont les choses peuvent être présentées et la manière dont elles se passent réellement, installant le malaise et remettant en doute les alliances et la proximité que le lecteur peut entretenir. Le seul qu’on pourrait croire, qui voit tout, c’est le soleil, mais vu que même lui a été cramé de plusieurs balles dans le bide, l’obscurité est propice aux non-dits et aux troubles. Ceux qui remontent à loin. Et ça tombe bien, le crayon de Winshluss va profond, lancinant et machiavélique, totalement habité par son personnage beaucoup plus complexe qu’un survivaliste de Série B. Un coup de poing et de canon.

Larkia, le premier cri, ou le dernier ?

Résumé de l’éditeur : La société a implosé. Les années, en passant, ont transformé les villes en cimetières où seul règne le silence. L’horizon n’offre désormais au regard qu’un désert de misère et dans ce contexte, Larkia accouche d’un petit garçon bien décidé à vivre, mais dont les yeux restent clos. Le lendemain de sa naissance, alors qu’elle se remet à peine de l’opération, ils sont tous deux pris en chasse par des miliciens aussi enragés que surarmés. Sans relâche, la mère et l’enfant fuient, car ni repos, ni réponses ne leur sont accordés. Quelque part, dans le passé, se trouve une explication… l’origine de cette course poursuite violente et insensée.

À l’instar de Winshluss, Ingrid Chabbert a changé de genre depuis la dernière fois (le très joli et naturel Elma) pour s’embarquer dans un récit de science-fiction apocalyptique, Mad Max à plein pif. Avec l’Argentin Patricio Angel Delpeche, la scénariste plante un décor urbain, aux limites du carcéral s’il n’y avait pas des motos puissantes pour échapper aux carcans de fer. Mais, attention, l’ennemi est bien équipé, sait ce qu’il veut et fait ce qu’il faut pour y arriver. Les mauvais ont tous les arguments pour gagner et, quoi qu’il en soit, cette histoire finira mal… ou comme une délivrance.

Dès le départ, dans ce monde fou, il y a pourtant l’espoir, dans une odeur de mort et la puissance de la souffrance, amené par la venue d’un nouveau né. Ce n’est plus courant dans cet univers de brutes où les savants fous d’hier ont donné le goût d’aller toujours plus loin, repoussant les limites du pire, à de sinistres héritiers.

Et comme les inventions de savant fou, c’est toujours convoité, voilà tout un monde balafré qui par les airs ou la terre se met en chasse de Larkia et sa protégée. C’est clair, dans cette région hostile du monde, il n’y aura plus un seul m² dans lequel elle pourra se réfugier plus de dix minutes. Heureusement, elle a encore quelques contacts d’alliés et il y a ces rencontres improvisées et qui étaient pourtant écrites qui vont permettre à Larkia d’avancer et d’affronter son destin. Quitte à le payer dans sa chair et sa peau, à mesure que les douleurs tentent de submerger son instinct de survie mais aussi son instinct maternel. Larkia sera la mère du renouveau ou mort d’un monde que les humains ont épuisé dans la médiocrité.

Là où l’album peut déconcerter par sa fin comme un point de suspension, inattendue dans un tel récit et très osée, l’ensemble du récit est supplanté par la puissance de Patricio Angel Delpeche. Âpre et dans la lignée d’un Victor Santos, l’auteur réussit ses ambiances, dans le soleil rasant ou l’obscurité pestilentielle, dans les combats à mort ou les moments de latence, de refuge. Dans les contrastes de son style statique, figé dans les couleurs, et pourtant tellement éloquent. Je suis resté sur ma fin mais le voyage graphique et l’envie des auteurs de créer des personnages au bout du bout et irrécupérables ne manquent pas de culot.

Titre : Dirty old glory
Sous-titre : Doggybags One-Shot
Récit complet
Scénario : Mud
Dessin et couleurs : Prozeet
Genre : Drame choral, Huis Clos, Thriller
Éditeur : Ankama
Label : Label 619
Nbre de pages : 104
Prix : 14,90€
Date de sortie : le 23/04/2021
Extraits :
Titre : J’ai tué le soleil
Récit complet
Scénario, dessin et couleurs : Winshluss
Genre : Anticipation, Horreur, Road-Trip, Psychologique, Thriller
Éditeur : Gallimard
Nbre de pages : 200
Prix : 22€
Date de sortie : le 26/05/2021
Extraits :
Titre : Larkia
Récit complet
Scénario: Ingrid Chabbert
Sessin et couleurs : Patricio Angel Delpeche
Genre : Action, Road-Trip, Science-Fiction, Thriller
Éditeur : Glénat
Nbre de pages : 112
Prix : 19,95€
Date de sortie : le 24/03/2021
Extraits :
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