La guerre des bulles #4 : fiction et frictions se fondent dans la cruelle réalité, questionnant résistance et résilience, collaboration et délation

© Bravo/Benoît chez Dupuis

Premier épisode | Du Pinard de guerre au goût de sang, du courage jusqu’à en être saoul, fou

Deuxième épisode | Albert Einstein, d’une première guerre mondiale chimique à une deuxième plus physique

Troisième épisode | Puisque les « plus jamais ça » ne fonctionnent pas, continuons d’en parler, aussi en BD réalité

© Boisserie/Warzala

Au fil des albums qui me sont passés entre les mains, j’avais un sujet tout trouvé pour un nouveau topic : la guerre ! Ou plutôt les guerres! Celles qui traversent les époques et reprennent toujours leur quota de cadavres, qui révèlent des sociétés dans leurs forces et leurs faiblesses, créent la solidarité ou la haine, façonnent la grande Histoire mais aussi les petites qu’on oublie mais que des auteurs rusés vont rechercher. Sans oublier la fiction pour laquelle, dans un décor solide et fort en ambiances, les champs de bataille sont des boulevards. Mais encore faut-il avoir les moyens. Ce pourquoi le cinéma, en dépit d’admirables réussites dans le genre, est plutôt frileux à porter sur écran ces univers désolés. Pas la bande dessinée, septième monde de tous les possibles pourvu que leurs auteurs soient imaginatifs, créatifs et sachent y faire. Alors que nous célébrons ce 27 janvier, la journée internationale en mémoire des victimes de la Shoah et de la prévention des crimes contre l’Humanité, 77 ans après la libération du camp de concentration d’Auschwitz, voilà que la seconde guerre mondiale s’est immiscée dans mes lectures. Après les documentaires, place à la fiction aux airs de réels et sachant se méfier des apparences.

© Betaucourt/Oburie chez Philéas

Monsieur le commandant, je vous fais cette lettre, que vous lirez peut-être si vous avez le temps…

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Résumé de l’éditeur : 1942. Paul-Jean Husson est un écrivain bien né, grand bourgeois, éduqué, instruit, héros de la Première Guerre mondiale (il a même perdu un bras au front), auteur de livres loués par la critique et prisés du public, assez habile pour siéger à la fois à l’Académie française et à l’Académie Goncourt. Son fils lui présente celle qui deviendra sa femme, Ilse…

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Autre adaptation, autre point de vue, au corps à corps d’un personnage détestable, qui n’a plus rien fait pour se faire admirer depuis, peut-être, qu’il a perdu son bras lors de la précédente guerre, mais qui n’a pas peur de nous regarder droit dans les yeux depuis la couverture, frontale, malsaine, qui voit rouge.

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Pourtant, dans cette bédéfication du roman épistolaire à sens unique de Romain Slocombe, Xavier Bétaucourt et Étienne Oburié nous proposent de passer un moment avec Paul-Jean Husson, un illustre personnage de fiction (mais on fait confiance à la cupidité humaine pour nous donner d’autres exemples véridiques). Militaire décoré reconverti en écrivain à succès, académicien au même titre que son ami et appui Philippe Pétain, Paul-Jean Husson  voit ses opinions avoir pignon sur rue, avant même l’Occupation: si les Juifs doivent être bannis de France, bon débarras.

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Mais quand l’une d’eux, dont le masque ne tardera pas à tomber, devient membre de sa famille, la haine fait place à l’attraction, aux pulsions de vie et de mort. Car si l’engagement nazi de l’homme de lettres (de dénonciation) peut servir à protéger la nouvelle venue et ses héritiers, il peut aussi tout détruire. Avec la rédemption ou la damnation en fin de compte de tous les rebondissements?

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Dans ce thriller sous forme de lettre contre lequel le lecteur ne peut plus rien, auquel il assiste impuissant, si la mise en scène est bien amenée pour s’émanciper de l’aspect oblitéré du récit, force est de constater que le dessin d’Étienne Oburié peine à nous mettre dans l’ambiance, par un dessin peut être trop froid et glacé, un peu vide, oscillant comme si le dessinateur n’avait pas réussi à définir le style qui convenait à cette histoire, jusqu’à un final d’une noirceur totale et éprouvante. Tôt ou tard, il y a de fortes chances que les actes les plus infernaux se payent.

Monsieur le commandant, d’après le roman de Romain Slocombe, Xavier Bétaucourt (scénario), Étienne Oburié (dessin & couleurs), Philéas, 88p., 17,90€, paru le 27/01/2022.

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Trilogie berlinoise 1/3 : quoi de mieux qu’un polar pour découvrir le plus ignoble des paysages

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Résumé de l’éditeur : Berlin 1936 : Bernie Gunther, ancien commissaire de la police berlinoise, est devenu détective privé. Il est spécialisé dans la recherche des personnes disparues, chose courante depuis l’arrivée au pouvoir du parti national-socialiste. Alors que l’Allemagne nazie nettoie les rues de la capitale allemande en vue des JO, un riche industriel, Hermann Six, lui demande d’élucider le meurtre de sa fille Grete et de son gendre Paul, un SS notoire. Six s’interroge également sur la disparition d’un collier de diamants d’une grande valeur, enfermé dans le coffre-fort des époux. Durant son enquête, Bernie Gunther va être confronté à la Gestapo, à Göring, à des policiers véreux et à la pègre berlinoise…

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On l’a vu, quand il s’agit de parler de la guerre, celle-ci se matérialise souvent dans des récits réalistes, plus ou moins chevillés aux faits réels. Mais, les émancipations vers la fiction, dans ce décor imposant et véhiculant déjà de nombreuses significations innées. sont bien entendus possibles. En voilà une nouvelle, certes aux prémisses du conflit, adaptée d’une série de romans à succès (14 à ce jour prenant pour héros le détective Bernie Gunther) signés Philip Kerr, dont les trois premiers sont passés à la postérité sous le label « La trilogie berlinoise ». Alors que l’on a exploré la Belgique et la France occupées, Philippe Guillaume et François Warzala nous ramènent donc en Allemagne aux prémisses du cauchemar.

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Les années 30, un été de Cristal, une période interlope durant laquelle il faut choisir son camp et protéger ses arrières. C’est ainsi que Bernie Gunther a quitté la police, pour opinions incompatibles, mais aussi qu’un industriel à succès lui fait une proposition qu’on ne peut pas refuser: faire la lumière sur le double-meurtre, déguisé en incendie, de sa fille et son mari. Mais aussi remettre la main sur des bijoux dont la valeur inestimable ne doit pas servir la cause du Reich. À moins qu’il y ait autre chose?

© Boisserie/Warzala
Recherches © Boisserie/Warzala

Entre enquête et espionnage, suivant les fils d’une toile d’araignée, Bernie, cet homme de loi et de foi qui se refuse d’enquêter sur les tromperies amoureuses mais jamais de lâcher quelques vacheries plutôt osées, va avoir de quoi s’occuper dans un monde qui multiplie les pistes mais ne laisse pas droit à l’erreur. Il faut dire qu’on disparaît vite dans ce Berlin des années brunes, et les jeux de pouvoir et d’influence risquent de perturber cette enquête, même si elle se veut indépendante.

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Entre Hergé et Schwartz, le très rare François Warzala incarne à merveille ces temps troublés et ces personnages tous azimuts. On pourrait craindre des pavés de textes, il n’en est rien, tout coule avec précision et beaucoup de divertissement, qui ne nous fait jamais oublier la cruauté des années 30. Notre charismatique et têtu détective et ses contemporains n’étaient pas au bout de leurs peines. De coeur aussi.

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La trilogie berlinoise, Tome 1 – L’été de cristal, d’après le roman de Philip Kerr, Pierre Boisserie (scénario), François Warzala (dessin & couleurs), Les Arènes, 144p., 20€, paru le 18/11/2021.

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Spirou l’espoir malgré tout, mais la vengeance violente?

Résumé de l’éditeur : Alors que Fantasio fait un peu tout et n’importe quoi pour trouver un sens à sa vie (et conquérir la femme de sa vie), Spirou, lui, essaie de faire ce qui est juste… au risque d’être amené à des actes héroïques.

Oh, une tête connue, et non des moindres : Spirou. Oui, mais façon Émile Bravo. Il n’est pas si fréquent de voir des héros de fiction se balader dans les faits réels. Ils ont leur vie de papier, avec leurs joies et leurs peines, et c’est bien comme ça. Spirou, lui, a connu la guerre, elle a fait plier son journal mais ne l’a pas empêché de paraître sous le manteau, de contourner les interdictions, faisant même passer des messages codés pour la Résistance via le courrier des lecteurs. Puis, Spirou s’est incarné dans la rue avec le Théâtre du Farfadet (argument tout trouvé pour cette série), lieu de véritable naissance d’un certain Fantasio, sous un physique très différent de maintenant.

À lire aussi | Quand le courage devient l’affaire de tous, pour Spirou, il ne s’agit plus d’être un héros, juste de vivre, peut-être survivre

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Naturellement, si l’esprit est là, Émille Bravo a tiré ces personnages devenus immortels dans son univers pour qu’ils collent toujours plus aux faits de guerre correspondant à ceux qu’ont vécu les Belges, de Bruxelles à la campagne namuroise, tout en s’inquiétant de ce qui se passait en-dehors des frontières, là où des trains bondés de travailleurs réquisitionnés, ou de Juifs à qui on promettait tout ou rien, se dirigeaient. Et c’est justement dans un de ces trains que nous retrouvons Spirou dans cette troisième partie d’épopée. Au contraire de tous ses comparses dans ce sinistre voyage qu’ils ignorent, Spirou n’a pas d’étoile jaune sur la poitrine. Est-il là par méprise? Non, il l’a voulu mais sa quête à ce moment-là serait-elle insensée ? Peut-il faire autre chose que de s’enfuir et d’avoir un rôle à jouer dans cette guerre, autrement. Pour en suivre le déroulement intime, par quelques héros comme des autres, de l’été 1942 à la percée des lignes allemandes par les alliés.

© Bravo/Benoît chez Dupuis
© Bravo/Benoît chez Dupuis

Alors, mois après mois, les autres (ce couple d’amis juifs clandestins dans leur propre appartement, par exemple) avant soi, la vie reprend, avec méfiance et résilience, résistant à la morosité. Le théâtre du Farfadet continue ses représentations, plus ou moins inspirées (quand Fantasio se mêle du scénario, surtout), avec comme public ces classes scolaires mais aussi, toujours ces spectateurs étranges, semblant avoir un autre intérêt que ces combats entre Spirou et Grochapo. Puis, les allers-retours se font de plus prudents entre la ferme et la capitale. Tandis que Fantasio est de plus en plus paumé dans ses sentiments, sa vie et sa relation avec sa dulcinée.

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En 112 planches, c’est un gros morceau de cette guerre qu’a digéré Émile Bravo, en prenant toujours soin de ne pas verser dans l’angélisme, en offrant à chacun de ses personnages des moments de révélation mais aussi un lot de douleurs. De longueurs aussi. Car ce troisième tome fait un peu office de ventre mou de ce docu-fiction en compagnie du groom. L’histoire avance, les relations se tissent mais l’auteur perd aussi du temps et de l’espace, de l’attention, dans des scènes qui font revenir des personnages des deux précédents épisodes, comme pour inciter l’imprudent qui ne les aurait pas lu à se jeter dessus avant de continuer sa lecture. Ça plombe un peu mon enthousiasme, comme ça larguera peut-être les jeunes lecteurs pour qui cette série est pourtant une porte d’entrée extraordinaire sur l’Histoire. Enthousiasme qui renaît, cela dit, dans tous ses moments où l’auteur interroge la notion de héros et crée le débat moral entre ses protagonistes sur la méthode à adopter pour contrecarrer l’ennemi féroce. Lui rendre coup pour coup, et plus si opportunité, ou ne pas rajouter de la mort ou de la mort. La question n’est pas tranchée et se montre déterminante au moment où la dernière planche arrive, laissant la fatalité guerrière en suspens, intenable.

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Le tome 4, le dernier, est prévu pour le 22 avril 2022, sans doute dans un format plus ramassé puisque son prix sera un peu plus léger. À suivre.

Spirou, L’espoir malgré tout, tome 3, Coll. « vu par », Émile Bravo (scénario et dessin), Fanny Benoit (couleurs), Dupuis, 114p., 17,50€, paru le 01/10/2021

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