
Nouveau décor, nouveau mystère pour Lucien, et sa classe, lors d’un séjour nature qui va une nouvelle fois faire souffler l’horreur et l’ouverture sur le petit groupe. Dans lequel, « forcément », garçons et filles font bandes à part, dans un jeu de subordination qui repose finalement sur bien peu de choses pour ne pas dire rien. Mais s’il y a vraiment une sorcière au fond des bois, ne faudra-t-il pas que tout le monde se serre les coudes ? Parce que ni Sami, ni Scooby, ni les autres, et encore moins les instituteurs et accompagnateurs qui n’y voient que des histoires de gamins ne leur prêteront main-forte.

Résumé de l’éditeur : Lucien, Violette et leurs copains partent en voyage scolaire dans un vieux château au cœur d’un cadre naturel magnifique. Les enfants y suivent des ateliers éducatifs sur la biodiversité, l’histoire du domaine et ses légendes. La propriétaire n’est autre que la descendante d’une lignée de sorcières. Les enfants ne tardent pas à constater que le château est ensorcelé et qu’une présence vient y rôder la nuit, sous la forme d’une étrange jeune femme au teint pâle. Garçons et filles se décident alors à enquêter, mais forment rapidement deux groupes, avec chacun ses méthodes et ses objectifs. Lequel sera le premier à résoudre ce nouveau mystère ?
Sorcière! Évidemment, en tant que « grands », ce mot s’est éclairé à nous dans toutes ses significations à la suite de toute la littérature sortie ces derniers temps (à commencer par l’essai de Mona Cholet) et dédiée à ces figures par excellence du monstre en fiction et qui ont pourtant permis la discrimination, la ségrégation et même des meurtres institutionnalisés et judiciarisés antan. Des mises à mort sociales, parfois encore. Combien de femmes sont mortes pour être libres dans leur tête, leurs comportements? Le combat pour reconnaître ces sorcières de toutes sortes à leur juste et salvatrice valeur est sans doute encore long mais tous les récits sont bons à prendre pour apprendre à tous, et à la jeunesse en particulier, que le monde n’est pas noir et blanc, ou rose et bleu, qu’il faut se réaliser en dehors des codes, des modes imposés.
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Alors, Delphine Le Lay et Alexis Horellou, qui nous ont déjà fait tellement de bien avec les aventures précédentes de leur jeune héros, opposant les craintes et peurs aux bonheurs de les dépasser et de les voir le faire grandir et s’ouvrir, s’en emparent. Oh, ce n’est pas pour autant que Lucien lave plus blanc que blanc. Il n’est pas irréprochable. Et s’il a parfois été le sujet des moqueries des autres, il est désormais bien installé dans son groupe de potes de son âge et de sa classe, pas loin d’être leader et, inconsciemment, de faire du mal à ceux qui n’y sont pas acceptés. Les filles, par exemple. Parce qu’il paraît que pour devenir ado, il faut être macho, ressent-on parfois sous la pression populaire. Et si sa nouvelle enquête pas si paranormale venait déconstruire ça?


Et peut-être que la chasse à la sorcière, qui semble loger à l’orée du bois appartenant au manoir, dans lequel la joyeuse et néanmoins clivante troupe loge, va inverser le cours des choses? Toujours est-il qu’au fur et à mesure des agissements suspects et potentiellement maléfiques (alors que c’est la société et ses conventions qui le sont bien plus), la frousse monte et oblige à agir. Quitte à précipiter les choses, à ne pas réfléchir plus loin que le bout de son nez, à s’exciter, à s’énerver et à se disputer, à se séparer. Là où il ne faudrait pas se désunir pour profiter au mieux des leçons de la vie, des réalités que les fictions et les mythes qu’on s’imagine viennent masquer.

Changeant une nouvelle fois de cadre pour désarçonner ses jeunes héros, favoriser leur fantasme dans la découverte d’une région inconnue, les deux auteurs embrassent avec coeur et ruse le sujet pour faire évoluer Lucien et ses amis. Encore heureux qu’ils n’ont pas (encore) les réseaux sociaux, ils ont déjà le crâne bourré de fausses informations et de jugements hâtifs que l’empirisme et la proximité d’un drame va déjouer. Et c’est bien normal, c’est à ça que doit servir l’éducation pour atteindre le savoir-vivre-ensemble et ne mettre personne dans des cases.

Pour y arriver, Delphine et Alexis continuent leur travail de toute beauté, en vitraux et en pureté (parce que oui, les héros le sont dans leurs qualités et défauts), en partage aussi de l’univers d’Odette Picaud qui leur sert de base enchantée, pour faire cheminer tout le monde, personnages de papier et lecteurs. Peut-être, de mes trente ans, ai-je vu trop vite vers quoi ces formidables conteurs voulaient aller (pour les raisons évoquées en préambule de cette chronique et la loquacité des essayistes sur le sujet ces derniers temps) et que cela m’a enlevé un peu de l’effet de surprise et de délectation qui m’ont tant charmé dans les deux précédents tomes. Mais, nul doute, que ça doit fonctionner d’enfer sur les enfants qui trouvent là un beau lot de copains auxquels s’identifier et, espérons-le, des adultes à leur côté pour prolonger le récit avec, pourquoi pas, du vécu et des éléments plus près de leur quotidien. Le divertissement et l’enseignement des choses de la vie, simple et essentielle, se marient toujours autant à merveille dans ces albums qui sont des portes d’entrée sur un monde de demain, plus équitable et respectueux de ce que chacun veut faire de sa vie, de ses cheveux, de son corps. Parce qu’on est femme (ou être humain d’ailleurs) pour soi, avant, d’être marié(e) à…, d’être un métier, d’être une fonction sociale ou sociétale, d’être un cliché… Bien vu les artistes.

Et la suite est déjà en route, avec des airs de fêtes foraines, autre univers dit freak :
Série : Lucien et les mystérieux phénomènes
Tome : 3 – Sorcière !
Scénario : Delphine Le Lay
Dessin : Alexis Horellou
Couleurs : Alexis Horellou et Delphine Le Lay
Genre: Aventure, Jeunesse
Éditeur: Casterman
Nbre de pages: 96
Prix: 16€
Date de sortie: le 15/09/2021
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