Le Spirou de Noël, quelle institution quand même ! Dans ma période de chinage au fil des brocantes, si j’aimais à dénicher tous les magazines au calot qui me feraient voyager dans le temps, je dois bien avouer que les numéros spéciaux me fascinaient toujours plus. Les numéros anniversaire, thématiques, ceux pour Pâques et, forcément et surtout, pour Noël. Sans doute étaient-ce les numéros les plus intemporels, à la magie immuable. Chance, en 2020, aux côtés du numéro spécial de cette année, Christelle et Bertrand Pissavy-Yvernault, les archivistes passionnés et passionnants des belles intégrales Dupuis (notamment) ont entamé un gigantesque travail de fouille. Pour, sous l’étoile du berger, ramener quelques dizaines de récits courts et gags au creux et dans la chaleur des chaumières, dans les mains des petits et des grands. Festival du festival.
#1 : Trois Grimm méconnus mais voyageurs
#2 : 12 boules de neige bien balancées

Résumé de l’éditeur : Le Journal Spirou a longtemps publié des numéros spéciaux pour Noël, pour lesquels les auteurs du journal livraient de merveilleuses illustrations de couvertures, contes ou récits complets sur ce thème. Chacun, à sa manière, abordait Noël selon sa sensibilité, que ce soit par la dérision, la poésie ou les valeurs traditionnelles. Ces contes, bandes dessinées ou illustrations de couverture appartiennent au grand mythe du Journal de Spirou et montrent l’incroyable richesse de son histoire, de son patrimoine. Toutes ces pages sont pour la plupart méconnues, voire inconnues des lecteurs actuels. Pourtant, lorsque l’on relit ces multiples réalisations, on réalise combien leur charme est intact.

Ils sont venus, ils sont tous là. Lucky Luke et son band en couverture, Gaston en Père Noël en quatrième de couverture, et entre les deux une ribambelle d’auteurs phares pour éclairer sapins, chandelles et boules : Franquin, Roba, Hausman, Jijé, Jidéhem, Remacle, Derib, Macherot… Et, avec eux, toute une galerie de héros passés à la postérité mais dont les courts récits festifs, pour certains, n’avaient pas eu la chance d’être extraits du magazine pour trouver d’autres vies en albums.

Ces numéros-là, c’est sûr, on peut les garder précieusement et les redécouvrir quelques années (décennies) plus tard dans l’effluve particulier du vieux papier. Mais, ça s’use, c’est friable ces petits bonheurs lus et relus. D’où l’initiative qui vient à point des Pissavy-Yvernault. Chercheur d’or et trouveur de pépites, le duo à la ville comme à la planche n’est pas à l’après (oui, c’est un belgicisme) d’un défi. De taille… Outre le plaisir de parcourir les Spirou festifs de 1955 à 1969, d’en sélectionner le meilleur des récits dédiés à la magie de Noël, Christelle et Bertrand ont aussi dû retrouver les originaux quand cela était possible (si pas, place aux fac-similés, les planches telles que parues dans le journal, alternant bichromie et quadrichromie) mais aussi et surtout quérir les droits de (re)publier, plus de cinquante ans après, ces pages.

Malgré toutes les péripéties en coulisses, on espère bien que cet ouvrage ouvrira le bal (que ce soit sur l’île aux cailloux, au pénitencier d’Inzepocket, dans le château du bon roi Gondolphe, sur la mer à bord de la Sémillante du Vieux Nick ou du Rose of Erin de Mulligan comme dans la demeure, bien plus classique, de Boule et Bill) à une autre salve d’ouvrages dont le duo a le secret.

Dans ces 240 pages et cette septantaine de récits sous toutes les formes (couvertures doubles emblématiques, demi-planches, gags en une planche, récits courts, textes illustrés ou même deux mini-récits), c’est tout un monde qui s’anime dans la délicatesse, la spontanéité, le talent de ses auteurs et les bons sentiments d’un esprit de Noël qui s’est un peu égaré par endroits, cette année. Oh, c’est vrai, les bons sentiments, parfois, certains, en d’autres temps et oeuvres, en abusent, s’en montrant indignes… mais s’il y a bien une période qui excuse tous les élans du coeur pour peu que la sincérité et l’intensité soient au rendez-vous, c’est bien Noël. Chrétien ou païen, peu importe, il y a de la place pour tout le monde. Pourvu qu’un crayon dessine le papier et la magie peut commencer à se déployer.

C’est au coeur de l’âge d’or du magazine du Groom que le couple bédéphile a choisi de nous emmener, au milieu d’histoires pas toujours attendues, se finissant toujours bien (quoique, demandez à la porteuse de dinde immortalisée par ce bon vieux Tillieux! et aux sapins qu’un « soupçon » de gaffophone va déshabiller) ou anoblissant le coeur des méchants. Ou des bêtes féroces, le Noël d’un bagarreur restant un inestimable chef d’oeuvre. Pas question de faire à la va-vite des pages en plus du ou des albums dessinés en cours d’année, on sent dans chaque histoire l’application et l’implication des auteurs de petits miquets. Il y a ici une ferveur qui pousse chacun à donner le meilleur de lui-même. Si Roba, Franquin ou Tillieux sont omniprésents, il semble encore que ce soit Peyo, avec Johan et Pirlouit ou Les Schtroumpfs ou d’autres anonymes, le plus inspiré par cette période, en BD et en nouvelles illustrées par ses soins ou par d’autres. C’est ainsi, par exemple, qu’on découvre que le Père Noël n’aurait pas son atelier au Pôle Nord mais dans les nuages et que les Schtroumpfs l’ont découvert le jour où ils ont sauvé Noël.

Sur les chemins de campagne ou dans les villes, au beau milieu de nulle part ou de l’océan, cet album propose un formidable panorama des indémodables héros qui faisaient vibrer chaque numéro et un peu plus lorsqu’ils se mettaient sur leur 31 (ou leur 24): Sophie, Bobo, Toupet, Le Vieux Nick, Les Tuniques Bleues façon Salvérius, Gil Jourdan au gaz hilarant, Attila, la Ford T – Marc Lebut et son voisin et Spirou et Fantasio ou le petit Zéphirin du trop oublié Eddy Ryssack. Sans oublier des personnages éphémères créés pour l’occasion, comme le si attendrissant Père Alphonse de Jean-Claude Fournier. Si ce n’est une malheureuse inversion dans le récit Nuits blanches dans la forêt de René Hausman (ne soyez donc pas surpris quand vous la lirez, cette histoire commence par la dernière des quatre planches), Christelle et Bertrand ont fait un travail magnifique et réjouissant.

Comme une bonne flambée dans la cheminée, voilà un pavé qui fait chaud au coeur et qui, en apéro, en plat de résistances ou en dessert (une bûche de Noël ou un Saint-Honoré cher au meilleur ennemi du taulard Bobo), ne manquera pas de se faire déguster avec parcimonie ou en mode glouton. Pour fêter joyeusement Noël, y mettre toute la couleur et le sourire qu’il lui faut, on trouvera difficilement mieux. C’est bien mieux que Netflix et quitte à être isolé cette année, voilà une excellente manière de passer le cap tout seul ensemble, comme le chantait Pagny, il y a déjà longtemps. Jingle Bulles!
Et le spécial Noël 2020 ?
Cinquante ans après les temps héroïques, Spirou n’a pas renoncé, et comment, à faire de chaque Noël une nouvelle occasion de réunir toute la famille, de Marcinelle et d’ailleurs. En 2020, sur la couverture, c’est Bruno Dequier qui joue les VIP au Pôle Nord en compagnie de ses héros, Louca mais aussi Anto et Antin. L’occasion pour la petite famille de taper la balle de foot avec les lutins, le Père Noël et la Mère Noël.
Car, si on dit que derrière chaque grand homme se cache une femme tout aussi grande, cette année, Santa Claus a perdu son permis de conte et ne peut donc piloter son traîneau. À situation désespérée, renfort… redouté pour le bonhomme barbu: sa femme. Un sacré caractère, à ne pas se laisser faire, si bien qu’avec ou sans Tonnerre, il peut y avoir de l’orage dans l’air. Mais pas de trop : il faut être dans les temps pour que chaque enfant, all around the world, reçoive son graal, le cadeau tant espéré. Il reste trois jours.


Ainsi, les auteurs du journal Spirou mais aussi d’ailleurs jouent-ils les envoyés spéciaux, caméras et crayons embarqués pour nous raconter ces trois jours de folie et de péripéties, décisifs pour le bonheur de tous les mômes qui ont astiqué leurs souliers pour accueillir les merveilles commandées. Dans cette course-relais, de la préparation à la livraison, Sti et Renaud Colin, Dav’, Tristan Roulot associé à Corentin Martinage (sublime et émouvant, encore plus quand on sait que le dessinateur doit se battre pour retrouver la mobilité de ses membres après un grave accident) et Stéphane Godard, Fabien Grolleau et Marie Spénale, Mab, Cyrille Pomès et Isabelle Merlet, Bouzard ainsi que Dab’s et Gom s’en donnent à coeur joie sur un fil rouge parfois un rien répétitif mais permettant à chaque association de tirer le monde des Noël dans sa magie artistique et son dynamisme.


Entre les prises de becs de Papa et Maman Noël, le dédale de cheminées et les éternels aventuriers qui entendent piéger le Père Noël, pour le démasquer, l’idée de ce jeu de piste à travers le journal tient ses promesses et son originalité.


On trouve aussi dans ce numéro des histoires indépendantes : une lettre 3.0 écrite par Nicolas Ancion et illustrée par Princesse Barbare et une autre du Petit Spirou qui invite Papa Noël à penser à sa grand-maman, des cavaliers de l’Apocadispe face à une attaque de homards, une très émouvante et positive tranche de Family Life de Jacques Louis, un repas inattendu et fédérateur par Théo Grosjean et Anna Maria Riccobono et deux histoires courtes et amorales, faussement miraculeuses, très bien troussées par Jose-Luis Munuera et Sedyas ainsi que Romain Pujol et Justine Cunha. Sans oublier Pascal Colpron qui s’amuse à reprendre selon ses traits tous les héros (ou presque) de Spirou dans une double-page-jeu dans l’atelier du Père Noël.

Outre trois planches de strips qui font un peu tache, ce 4312e Spirou est une belle réussite, rayonnante et multicolore, dans laquelle le lecteur retrouvera aussi, à suivre, Champignac, Louca, Télémaque et Le ministère secret.

À retrouver en librairie au prix de 3,90€. http://www.spirou.com
Titre : Les contes de Noël du Journal Spirou
Tome : 1955-1969
Travail rédactionnel et de sélection : Bertrand et Christelle Pissavy-Yvernault
Auteurs : Guy Bara, Berck, Raoul Cauvin, Paul Deliège, Charles Degotte, Derib, Jacques Devos, Jean-Claude Fournier, Francis, Franquin, Christian Godard, Josse Goffin, René Hausman, Iague, Jidéhem, Jijé, Kornblum, Raymond Macherot, Matagne, Mitacq, Morris, Eddy Paape, Peyo, Marcel Remacle, Roba, Maurice Rosy, Eddy Ryssack, Louis Salvérius, Maurice Tillieux, Vicq, Will
Genre : Conte, Gags, Récits courts, Récits illustrés
Éditeur : Dupuis
Nbre de pages : 240
Prix : 35€
Date de sortie : le 27/11/2020
Extraits :