And all the roads jam up with credit
And there’s nothing you can do
It’s all just bits of paper flying away from you.
Look out world
Take a good look what comes down here
You must learn these lesson fast and learn it well.This ain’t no upwardly mobile freeway
Oh no, this is the road
This is the road
This is the road to hell(Chris Rea)
« Y’a que les routes qui sont belles, et peu importe où elles nous mènent ». Ça, si le poète en or le dit, ce n’est pas toujours vrai pour la cause. La route peut être un calvaire, et ce n’est pas nouveau. Dans No country for old man ou Hitcher, sur le chemin de Jeffrey Dahmer, les bords de route sont parfois mortels, sans échappatoire, ni possibilité de faire demi-tour. Pas le choix, on verra ce qu’il y a au bout, si on peut survivre. Ou pas. Encore faut-il que le chemin ait une fin. On vous rassure, ici, oui, détonante. Sur la route des drôles de vacances de cet été 2020, les auteurs de BD coulent leurs planches dans l’asphalte brûlant, sulfureux et cinglant. La preuve par deux avec Sweet Home de Sébastien Viozat et Kieran et Hit the road de Dobbs et Khaled.
Hit the road, ça cogne et ça Coen
Résumé de l’éditeur : Fin des années 1960, Nevada. Vicky la tatouée déambule dans les rues de Reno à la recherche d’une clinique d’avortement clandestine. Clyde le taciturne sort de prison, pour manger son premier repas d’homme libre en compagnie de son frère. Ils ne se connaissent pas mais ont un point commun : Granny, matriarche de la plus puissante famille de gangsters du comté. Vicky a une mallette à lui rendre. Clyde, une revanche à lui prendre. Deux personnages que le destin va faire s’entrechoquer dans un road trip sanglant à travers les routes sans fin de l’Ouest américain.


Affiche de cinéma, silhouette, ombres, phares de voiture, le tapir que Colin Wilson avait réussi à éviter dans Nevada est ici écrasé (ce n’est pas un pangolin!), le nom d’une ville en lettre d’or pour mieux dire que c’est la plus grande petite ville du monde, un flingue qui semble ne pas trembler. Et les dollars qui s’envolent. C’est léger l’argent par rapport au poids des vies qui vont trouver fin, abominable pour certaines, dans les pages que protège de toute sa force de conviction la couverture signée par Afif Khaled. Le décor est planté, sans rien savoir de l’histoire qui va dérouler le grand jeu sous nos yeux, on sait à quoi s’attendre.


Y’a des livres qui donnent à voir des mondes trop gentils, y’en a d’autres peuplés de méchants, des vrais, des durs. Qui génèrent d’autant plus de surprises et d’inattendus. Sans doute, malheureusement plus proche de la réalité, mais jubilatoire. Car Dobbs aime les méchants, il leur a dédié un beau livre, et en crée quelques autres d’anthologie dans Hit The Road. Il faut dire qu’Afif Khaled, plus dur que dans Time Lost, a un don pour les gueules et les ambiances qui claquent, qui créent l’étincelle dans le noir qui embaume cette oeuvre désespérée où la survie importe moins que la réalisation de la quête moderne que les protagonistes se sont donnée.


D’un côté, il y a Vicky, enceinte en secret parce que ça fait tache dans une famille dont « seuls les intérêts comptent », qui s’offre son premier tatou et une valise qu’il lui faut convoyer à bon port. De l’autre côté, comme dans un duel de western, il y a deux frères qui se toisent avant une accolade fraternelle, un répit dans un fast-food comme il y en a tant avec un bon disque qui fait oublier un instant la poussière, la sueur et le sang. Après, ce sera la poursuite et le crash qui va mener les destins à se confronter, à s’aider ou à se mettre des bâtons dans les roues. Les opposés s’attirent mais se ressemblent peut-être beaucoup, mieux vaut, même au pays des méchants ne pas se fier aux apparences.


Ça va cogner ! Ça « Coen » aussi, tant les deux frères virtuoses de la caméra ont laissé des traces, entre autres chefs-d’oeuvre acérés du cinéma américain de papa. La route, ici, ce n’est pas la routine. La route tue, éclabousse de toute sa grandeur et sa décadence ce monde où il n’y a rien à sauver, qui n’est fait que pour s’embraser, s’ensanglanter dans un final mortel.

Sweet home, à la « bats-moi »

Résumé de l’éditeur : Zack, Sally et Ethan ont une spécialité : attaquer les fourgons de banque. Mais leur dernier braquage a mal tourné et l’un d’entre eux a écopé d’une balle dans le ventre. Pourchassés par la police et trahis par Zack, Sally et Ethan fuient dans les hauteurs de Mulholland Drive et n’ont d’autre choix que de trouver refuge de force dans la superbe villa des Campbell. Mais si, en apparence, cette famille a tout du bon petit foyer de bourgeois américains, le couple de gangsters va vite s’apercevoir que quelque chose cloche ici. Et si le véritable danger était à l’intérieur ?

La route est longue! Et El Dudo, alias Sébastien Viozat, en sait quelque chose. Sept ans après l’écriture de Wasp qui devait être une histoire courte et qui a connu de nombreux changements de dessinateurs suite à la tiédeur des éditeurs, voilà que sort Sweet Home, sacré album, en toute férocité. Avant ma chronique, comme l’auteur a fait état de la genèse du projet sur les réseaux, profitons-en.
C’est fou quand même ce qu’une même histoire, longue ou courte, entre les mains de différents metteurs en scène et en images peut prendre des tournures très différentes.

Alors, dans l’enfer du paradis doré, nous voilà donc finalement en compagnie de Kieran comme chauffeur. Fusillade, explosion, la voiture conduite par un ersatz de Wolverine (adamantium en moins) est traquée par une meute, tous gyrophares allumés. Mais les fuyards ont une puissance de feu dans les mains. En quatre planches, soit le quart d’une histoire courte qui a bien fait de faire du free ride, voilà un début explosif, sous la couleur incendiaire du ciel. À trois dans la bagnole en cavale, la joie d’être « assassin de la police » tourne vite à l’embrouille. Le nez en sang, l’apprenti-Hugh Jackman se casse et laisse Sally et Ethan, en piteux état, au bord du chemin. Il faut braquer une autre voiture pour prolonger l’aventure. Lucky Day, le pigeon idéal au volant de son 4×4, arrive et a tôt fait de s’arrêter. Sally, quand elle vous menace de son revolver, elle ne plaisante pas. Alors, le pauvre Garrett, terrorisé, il n’a pas vraiment le choix. Et il fait entrer le loup dans la basse-cour… Enfin, basse, basse, Garrett, Judith et Britney, la jeune fille mutique aux cheveux d’or, vivent plutôt dans la maison du bonheur, fortunée, préservée, si ce n’est aujourd’hui.

Mais dehors, à quelques miles, la poursuite menée par ce vieux briscard de sheriff Wendell touche à sa fin. Zack le lâcheur a intérêt à goûter à la liberté, il est en sursis. Et pour le Sheriff, qui a la moustache de Stan Lee, et ses troupes, plus qu’à trouver des indices menant au duo perdant. Même si, c’est clair, y’a plus minable comme retraite que cette planque de luxe. Et de lutte. Tant la pression et les mauvais coups de cette garce de Sally mettent à rude épreuve les nerfs de la charmante petite famille, toute pimpée et pas habituée aux situations d’extrême survie. Les éléments se sont inversés et se déchaînent. Et Britney aura son rôle à jouer.

Décapant et addictif, Sweet Home vous prouve que vous n’êtes pas au bout de vos surprises même si a priori le choc des mondes dans un huis clos (aéré ici par l’esprit de la route qui souffle sur le combat du bien et du mal entre le sheriff et le truand), c’est du déjà-vu. On se souvient du très peu qualitatif rendez-vous manqué de Nicolas Cage et Nicole Kidman dans Effraction de Joel Schumacher (RIP) ou l’excellent Panic Room. Car oui, ce genre d’histoire, ça marche bien au cinéma. Et en BD aussi, le rythme effréné de Sébastien Viozat cohabitant avec frénésie avec le dessin fou de Kieran. Avec sa mise en couleurs très particulière, une audace pulp, le dessinateur ne retient aucun de ses coups et traits. C’est trash, sanguin… et surtout inattendu.

Dans les rapports de force et l’ascendant que prennent Sally et Ethan, dont l’état s’aggrave, le duo d’auteurs trouvent la faille et le levier qui peut tout faire basculer. D’un fait divers qu’on imagine bien avoir eu lieu, ils tirent l’énergie salvatrice, ou dévastatrice c’est selon, pour raccorder les élans violents de ces planches avec le monde sinistre dans lequel nous vivons. Avec quelque chose de complotiste qui, une fois n’est pas coutume, ne vient pas du bas peuple mais d’une haute société prête à tout pour avoir quelques parts d’un marché inhumain en plus. Mais chut, on ne vous dit rien, Sweet Home fait partie de ces livres difficiles à chroniquer, de peur d’en dire trop. Même la couverture, géniale, provoquant déjà l’horreur glaçante malgré la chaleur de ses tons, met la puce à l’oreille tout en orientant le lecteur-spectateur (car oui, il y a du spectacle) sur une fausse piste. Ça déglingue.

Titre : Hit the road
Récit complet
Scénario : Dobbs
Dessin et couleurs : Afif Khaled
Genre : Thriller
Éditeur : Glénat
Collection : Comix Buro
Nbre de pages : 48
Prix : 14,95€
Date de sortie : le 01/07/2020
Extraits :
Titre : Sweet Home
Récit complet
Scénario : Sébastien Viozat
Dessin et couleurs : Kieran
Genre : Drame, Psychologique, Thriller
Éditeur : Glénat
Collection : Grindhouse Stories
Nbre de pages : 128
Prix : 19,95€
Date de sortie : le 24/06/2020
Extraits :
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