À l’heure où le réchauffement climatique et le comportement humain menacent de manière irréversible la flore et la faune mondiale, les animaux d’ici et d’ailleurs, réels ou imaginaires continuent de faire rêver. Tintin et Milou et Spirou et Spip sont loin d’être les seuls binômes auxquels la BD nous a acoquinés. Pour bien commencer cette année et nous ouvrir au monde, à ses récits et ses légendes, suivons Ninn et Lulu, deux petites filles au coeur grand et téméraire qui renouent avec les bêtes sauvages. Celles-là qui les emportent à l’aventure et au voyage.

Lulu et Nelson: À coeur de lion, rien d’impossible

Résumé de l’éditeur : Printemps 1964, à Naples, en Italie. Lucia, dix ans, vit au sein d’une troupe de cirque avec son père, Roberto, et affectionne particulièrement son lion, Cyrus. Mais après un terrible incendie qui a tout ravagé, elle décide de surmonter sa tristesse et d’échafauder un plan… Des lions, il y en a en Afrique du sud ! Jamais à court d’idée, elle fugue et embarque à bord d’un cargo, avant d’être rejointe in extremis par son père. À leur arrivée à Durban, ils découvrent un pays en proie aux inégalités. Happés par une manifestation malgré eux, Roberto qui tente de défendre Nelson, un jeune garçon noir battu par un policier sans scrupule, se fait arrêter… Lulu et Nelson que tout tend à séparer se retrouvent unis autour d’un même combat : la quête de la liberté.

Pourvu que rien n’entrave jamais les rêves indociles d’enfant, voilà un souhait que nous pourrions formuler en ce début d’année. Dans le récit, magnifique tant dans le fond et dans la forme (mais nous y sommes habitués dans l’écrin de cette collection magique qu’est Métamorphose), que nous proposent Charlotte Girard et Jean-Marie Omont au scénario et l’étincelante Aurélie Neyret au dessin, c’est une trilogie (également envisagée en film d’animation) qui se profile, avec son lot de kilomètres à parcourir à vol de « petit bourdon », le nom affectueux donné à Lulu, notre héroïne, par sa maman.


En effet, entre l’Inde des premières planches et un flash-back qui nous emmène déjà dans un cirque européen bientôt dévoré par les flammes, sur un cargo vers Durban bientôt avalé par les flots… avant le débarquement, secoué par la colère d’un peuple qui veut gagner sa liberté. 1964, the times they are a changin’. Et parce qu’ils sont séparés de leurs parents, les existences de Lulu et Nelson vont se télescoper. Ils viennent de deux mondes différents mais sont à l’âge où les barrières de lois et de convenances sont franchies allègrement, comme on joue à saute-mouton.


Ici, c’est plutôt saute-lion. Lulu qui se rêve dompteuse s’enfonce dans la savane avec son nouveau compagnon d’échappée. Petits d’hommes en quête d’un monde sauvage qui permet encore la liberté. Sans renouveler le genre, les auteurs livrent une première partie de récit charmante et trouvant l’équilibre parfait entre la naïveté chaleureuse et le réalisme froid du monde qui nous entoure.

Aussi, ce beau voyage est rendu possible par le talent d’Aurélie Neyret qui n’a pas son pareil pour incarner les personnages, leur donner vie et mouvements dans des planches et des cases (épanouies en long et en large) dont les coins sont arrondis. C’est doux, sans doute est-ce aussi propice à pousser un peu plus loin l’imaginaire. Sans se forcer, tant l’art d’Aurélie Neyret est riche et généreux, tout en se faisant précis et en enveloppant le tout d’une jolie lumière. Artificielle, non naturelle. Quel cadeau!


Ninn, et son tigre de papier, n’est pas au bout de ses surprises

Résumé de l’éditeur : En procédant au nettoyage du fanal des Grands Lointains, Ninn et son tigre de papier tombent sur une vieille sacoche oubliée ayant appartenu au Chasseur de Courants d’Air. Parmi un bric-à-brac de choses sans intérêt, Ninn extrait un vieux journal relié de cuir. Il est daté de 1924 et écrit de la main d’une certaine Éponine, aviatrice. Ce journal permettra- t-il à Ninn de reconstituer un peu plus son roman familial ?

Ninn, ce n’est pas une inconnue, nous vous avions déjà parlé de cette série qui porte à la fois le nom de son héroïne que celui du monde, à côté de notre monde, qu’elle découvre. Et après quatre tomes, elle n’est pas au bout de ses surprises. Dans les troisième et quatrième tomes de cette série, les deux auteurs, Jean-Michel Darlot et Johan Pilet (aidé aux couleurs par Barthélémy) étendent leur univers des possibles tout en s’encombrant d’éléments et phénomènes historiques.

S’encombrer ? Oui parce que ce qu’ils ont choisi n’est pas franchement de gaieté de coeur, plutôt de sinistres mémoires. Mais le duo a accommodé cette sélection d’événements pour en faire des trampolines vers la fiction. À commencer par les inondations des métros de Paris et cette légende urbaine qui veut, d’une part, que les nazis aient construit une base secrète (La cathédrale de fer) dans le réseau de métro parisien et, d’autre part, qu’une station-fantôme existe au lieu-dit Haxo (et ça, c’est véridique). Sans oublier des disparitions étranges lors de l’inauguration du métro ralliant Paris aux Grands Lointains. Il n’y a pas à dire, ça a de quoi exciter les auteurs de tout poil. Avec plus ou moins de clichés.

Dans cet urbex quelque part entre Seuls (brouillard inclus) et le Monde de Narnia, le tandem Darlot-Pilet continue de nous faire écarquiller les yeux devant leurs trouvailles et leur fantaisie qui allie les deux faces de l’humain : la lumineuse et la sombre. Ninn, c’est digne d’une addictive série de Netflix mais avec les armes du papier (comme ce tigre origami qui prend vie et défend sa propriétaire) pour faire transpirer et suer (parfois glacialement) sa jeune héroïne, mise à l’épreuve du présent mais aussi du passé dont elle tente de retrouver la trace.

Que ce soit dans un hôtel aux allures d’un jour sans fin ou dans ce métro lugubre (et nous y faire passer la quasi-intégralité d’un album de 62 planches, ça relève de l’exploit), le duo mène la danse brillamment au fil d’idées originales mais jamais gratuites qui servent profondément le récit, l’ancre et lui donne des racines épaisses. Entre des choix cornéliens, des heures graves mais aussi des moments de décontraction. Darlot et Pilet ne réfléchissent pas en adulte mais bien comme leur héroïne, confrontée à un vaste monde qui la dépasse. Avec des grands méchants aussi impressionnants que liés au destin de Ninn. C’est complètement fou, inratable.

D’autant que Johan Pilet n’a pas son pareil pour mettre en scène cet univers dantesque, avec un trait à la fois jeunesse (exacerbé dans trois pages dans lesquelles il change complètement de style pour raconter une légende déterminante pour la suite) et adulte. On n’a pas encore réussi à mesurer la puissance de cette série, on est sous le choc.

Tome : 1 – Cap sur l’Afrique
Scénario : Charlotte Girard et Jean-Marie Omond
Dessin et couleurs : Aurélie Neyret
Genre : Aventure, Drame, Jeunesse
Éditeur : Soleil
Collection : Métamorphose
Nbre de pages : 57 (+ 8 pages de cahier graphique)
Prix : 14,95€
Date de sortie : le 27/11/2019
Extraits :
Série: Ninn
Tome: 3 – Les oubliés / 4 – La cathédrale de fer
Scénario: Jean-Michel Darlot
Dessin: Johan Pilet
Couleurs: Johan Pilet et Mathieu Barthélémy
Éditeur: Kennes Éditions
Nbre de pages: 72 et 64 (+ 8 pages de cahier graphique réservé à la première édition du tome 4)
Date de sortie: le 22/08/2018 et le 20/11/2019
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