Djief : « Avec Liaisons Dangereuses Préliminaires, nous voulions comprendre comment Valmont et Merteuil étaient devenus des monstres »

Lors des dernières Bulles de Saint-Rémy, festival BD d’Hanret (oui ça date un peu), nous avions rencontré un auteur dont le talent venait de loin : le Québec. Enchaînant les projets qui en mettent plein la vue mais avec du fond, Djief se prépare à clôturer sa trilogie revenant aux fondamentaux des fameuses Liaisons dangereuses de Pierre Choderlos de Laclos et s’attaque à une série jeunesse pour Dupuis. Le tout avec Sébastien Betbéder. Interview.

Liaisons dangereuses préliminaires © Betbeder/Djief

Bonjour Djief, nous vous rencontrons à l’occasion du Festival BD d’Hanret. Un auteur québécois en Belgique, ça n »arrive pas tous les jours, si ?

C’est vrai que je vais plus souvent en France. Je dois faire trois à quatre voyage entre le Canada et l’Europe, par an. J’essaie de caser un passage en dédicaces à Bruxelles, à la fête de la BD, par exemple. Mais, c’est toujours un peu compliqué. Quand des organisateurs de festival me contactent, ils ne sont pas toujours au courant que je suis québécois. Et qu’ils vont donc devoir me payer le billet d’avion.

Cette fois, je fais d’une pierre deux coups, après le festival d’Hanret, j’irai à la librairie BD Choc à Charleroi.

Broadway – Une rue en Amérique © Djief chez Quadrants

Et le décalage horaire ?

Je volais de nuit. On va donc dire que ça m’a fait une petite nuit de 6h. Assez que pour rester éveillé à l’heure belge. Disons qu’avec les années, je m’y suis fait.

On vous retrouve donc à la tête de la série les Liaisons dangereuses en mode Préliminaires.

C’est intimidant, comme oeuvre. J’ai tellement adoré cette histoire. Que ce soit la version de Stephen Frears avec John Malkovich ou celle de Milos Forman avec Colin Firth, c’est incroyable de voir à quel point un même récit peut nourrir deux visions différentes. Je me suis donc plongé dans le roman dans les années 90.

J’avais envie de toucher cet esprit du XVIIIe siècle français. C’est le cas avec cette trilogie.

Liaisons dangereuses préliminaires © Betbeder/Djief chez Glénat

Comment cela s’est-il fait ?

Un vrai concours de circonstances. Stéphane Betbéder est venu proposer ce projet à Glénat, sans dessinateur. Le projet intéressait l’éditeur mais il fallait trouver quelqu’un pour le mettre en image. Glénat en a proposé plusieurs… dont moi, sans savoir à quel point l’histoire m’intéressait. J’avais fait Broadway, Saint-Germain (sous mon vrai nom, Bergeron), sans doute me suis-je imposé dans leurs têtes comme le bon candidat.

Avec un regard neuf ?

J’ai revisionné les films sans me fier aux visages des acteurs, je voulais m’inspirer de l’ambiance. Quand je travaille une histoire, généralement, je choisis des séries et films dont je me sers pour capter l’esprit de l’univers sur lequel je travaille. Ici, j’ai regardé la deuxième saison d’Outlander, Nicolas Le Flo’ch, Barry Lyndon. Tout ça, c’est de la matière brut : les costumes, les calèches, les décors. C’est complémentaire de ce que je trouve sur internet, des peintures, des gravures. Ou même des bouquins qui passent sur mes planches comme L’Encyclopédie de Diderot et D’Alembert. Puis, Stéphane est féru d’Histoire, il m’a donc aussi fourni des visuels dont je pouvais me nourrir.

Liaisons dangereuses préliminaires © Betbeder/Djief
Liaisons dangereuses préliminaires © Betbeder/Djief chez Glénat

Mais ce n’est pas une adaptation que vous faites.

Non, avec cette série, nous nous sommes demandé comment les personnages avaient pu se rencontrer avant le roman. Valmont, celle qui allait devenir la marquise de Merteuil. On savait qu’ils avaient été en couple puis qu’ils s’étaient séparés. Mais on n’en savait pas plus, il y avait un mystère que nous avons voulu creuser tout en gardant l’esprit du roman originel. Nous voulions comprendre comment ils étaient devenus des monstres, tout en gardant l’idée de préliminaires… sexuels. Mais ce n’est pas vraiment un préquel non plus.

Liaisons dangereuses préliminaires © Betbeder/Djief chez Glénat

Avec un autre public à la clé ?

Peut-être plus littéraire, pas amené à lire de la BD souvent.

Comment en êtes-vous arrivé dans le paysage de la BD franco-belge ?

J’ai toujours aimé la culture française, et même franco-belge. Je n’ai jamais été très attiré par les comics. Ce qui m’a éveillé, ce sont les Spirou, les Tuniques bleues, Yoko Tsuno. Faire de la BD, ce n’était pas gagné d’avance. Mais j’ai tenté ma chance au début des année 2000, cinq ans de démarchage en France et en Belgique.

Affiche © Djief

Et vos albums sortent-ils au Québec ?

Avec un mois de retard, le temps que les containers passent la douane (rires), tout est distribué au Québec. Dans le centre, en tout cas, peut-être pas en région.

Dans vos albums, en tout cas, vous parlez beaucoup de la France, de sa culture, de la Bretagne aussi.

Mais beaucoup de Québécois ont des origines normandes ou bretonnes. Plein de légendes françaises ont été adaptées chez nous. Nous ne sommes pas très éloignés, finalement. Et Brocéliande, ça parle pas mal aux jeunes Québécois. Ce sont des sujets avant tout universels.

Brocéliande © Jarry/Djief

Mais je n’en avais pas forcément conscience. J’ai procédé par intuition, par émotion, par coup de coeur. Si le projet m’accrochait, j’y allais. Si ça pouvait marcher ? C’était une autre question. Mais je ne pense pas qu’il y ait de choc culture. Les Québécois sont très branchés comics, par contre. Ils ne lisent pas forcément de la BD classique. Mais tout s’influence.

Le crépuscule des dieux © Jarry/Djief chez Soleil

Vos premières émotions de lecteurs ?

Les gros recueils Spirou ou le magazine en kiosque. Puis, je me suis perdu dans la distribution.

Cela dit, j’ai enfin trouvé le Graal. J’ai finalement signé un projet chez Dupuis avec Stéphane. Une série fantastique grand public qui s’intitulera Créature. Ça déstabilisera. Pour faire une comparaison facile, un peu dans la veine de Seuls. Avec beaucoup d’atmosphère, un mélange de ligne claire, de lavis, d’aquarelle, des brumes. Un peu d’horreur, du fantastique et à portée des gamins.

Au Québec, il est donc assez facile de trouver des bandes dessinées franco-belges ?

Le marché s’est plus ouvert. Mon dernier grand coup de coeur, c’est, comme beaucoup, L’Arabe du futur. Récemment, je suis aussi retombé sur les quatre tomes de Miss Pas Touche du duo Kerascoët. Un univers bien raconté, bien exploité, une belle intrigue et un thriller parfait. Avec un dessin pas aussi réaliste qu’on pourrait le penser, jeté. Puis, j’ai aussi lu le dernier tome des Ogres-Dieux, Le grand Homme. Graphiquement impeccable.

Sur ce festival d’Hanret, vous n’êtes pas le seul Québécois. Il y a aussi François Miville-Deschênes. 

On se voit plus souvent en Belgique qu’au Québec. 700 kms nous séparent. Après la communauté des auteurs de BD est restreinte au Québec, on se côtoie.

Saint-Germain © Gloris/Bergeron (Djief)

Quel bilan tirez-vous de ces quinze premières années dans le monde du Neuvième Art.

C’est une belle évolution. Aujourd’hui, je travaille en atelier avec Richard Vallerand (Automne Rouge, Les Laborats) et Paul Bordeleau (Le 7e vert, Faüne). Notre atelier s’appelle La shop à bulles, il existe depuis 2011. D’abord près de la vieille ville de Québec et maintenant dans la maison de la littérature : une ancienne église devenue bibliothèque, scène littéraire, résidence, studio de répétition… J’ai aujourd’hui l’impression d’avoir une famille, c’est une belle évolution.

La BD québécoise a, je crois, une notoriété qu’elle n’avait pas avant. Après, ça reste un petit marché dont les fers-de-lance sont sans doute La Pastèque et les Éditions Glénat Québec. Mais, d’autres maisons plus petites font du bon boulot : Pow Pow, Mécanique générale, etc. Avec des romans graphiques, de la BD alternative intéressants mais pas orientés vers le grand public. Un auteur juste local doit nécessairement être aidé par le gouvernement, des bourses d’aide à la création.

© Djief

Moi, j’ai une formation de graphiste, pour le reste, j’ai appris la BD en autodidacte. Aujourd’hui, on peut aussi compter sur une formation en BD au Québec, donnée depuis une quinzaine d’année à l’Université du Québec en Outaouais (UQO), à Ottawa. Parmi les professeurs : Jean-Louis Tripp. C’est la seule. De tous les finissants, trois ou quatre continuent dans cette voie.

Merci Djief, rappelons que le tome 3 des Liaisons Dangereuses – Préliminaires sortira le 23 octobre.

Titre :  Liaisons Dangereuses – Préliminaires

Tome : 2 – De l’amour et de ses remèdes

Scénario : Sébastien Betbeder

Dessin et couleurs : Djief

Genre : Drame, Historique

Éditeur : Glénat

Nbre de pages : 62

Prix : 14,95€

Date de sortie : le 06/02/2019

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