Arielle Dombasle tout en noir, Voca People tout en blanc, Nuit des Chœurs (et âmes) au coeur des ruines de l’Abbaye de Villers

Ah qu’il est loin le jour le plus long. La nuit tombe de plus en plus vite sur la fin de l’été. Ce qui rend les barbecues plus compliqués à organiser. Mais, ne boudons pas notre plaisir, cette fin du mois d’août permet aussi de plonger dans l’obscurité les ruines de Villers-la-Ville et de donner lieu au fabuleux spectacle qu’est la nuit des choeurs. Son et lumière. Choral et cordial. Cette année, durant deux soirées prolongées, pour fêter les vingt ans de l’événement, ce lieu aussi ésotérique que lyrique avait invité les Voca People, I Muvrini, Jazzchor Freiburg, Arielle Dombasle et les solistes lyriques de Paris, The Celtic Tenors et BeVocal, le choeur national des jeunes de Belgique.

La Nuit des Choeurs (devenue double depuis déjà pas mal de temps) est un secret bien gardé mais fréquenté par des milliers de personnes, festivaliers d’un jour armés de chaises pliables pour lever et installer le camp devant les scènes aussi confortablement que facilement. Durant cet apéro dinatoire, ce concert-promenade, pour nos yeux et nos oreilles, et les vibrations de l’âme, chacun fait son chemin comme il l’entend. Les différentes formations se produisent, en effet, en alternance (les scènes impaires puis les paires) et à plusieurs reprises, histoire d’éviter les embouteillages devant les scènes trop prisées. Que l’on soit initié ou pas. Moi, en l’occurrence, je ne le suis pas.

C’est ainsi que nous avons commencé devant les détonants Jazzchor Freiburg. Chorale allemande comme son nom l’indique, cette formation existe depuis près de 30 ans et est aujourd’hui dirigée par Bertrand Gröger devant 24 personnes, les femmes en majorité, toutes de noir et de blanc vêtue. Mais amenant des couleurs par un répertoire qui fait éclore la fine fleur du jazz dans toute sa multiculturalité.

Ça commence comme un murmure sur un poème polonais qu’on dirait d’abord chanté en fourchelangue (la langue des Serpentard dans Harry Potter), avant d’aller voir du côté de George Harrison mais aussi de Bobby McFerin. La rythmique trouvée par cette collégiale, le beatbox d’un soliste et les voix agréable de deux autres rendent ce mélange spontané, souriant. On pense parfois à Adiemus. Bref, comme entrée en matière, on ne pouvait rêver mieux. Dépaysant.

Alors que le ciel se couvre et que les vieilles pierres dressées mais sans toit pour les couvrir seront bien incapables de nous protéger, sur la scène 4, c’est la diva Arielle Dombasle qui monte sur scène. Longiligne, tout en noir décolleté (avant comme arrière) mais avec une étoile qu’on dirait de shérif à la taille et une croix impressionnante entre le cou et la poitrine. Ce soir, pas de rock, d’électro ou d’aventure visuelle ovniesque (son dernier film Alien Crystal Palace) mais un mélange de chants latinos, d’aura mystique (le fameux King Genius de l’Opera King Arthur), un Ave Maria et un extrait d’un opéra passé à la postérité : L’amour est oiseau rebelle.

Toujours aussi allumée, c’est pour ça qu’on l’aime ou qu’on la déteste, la soprane sait aussi se montrer infiniment concentrée quand il faut y mettre de la voix et du coeur. Et elle tient la note. À côté d’elle, derrière ses lunettes de soleil (il nous a fait penser à un Gilbert Montagné qui aurait troqué le piano contre les cordes) Henri Graetz vit sa musique intensément, emporté par son violon. Le mariage est beau.

Par contre, j’ai eu nettement plus de mal à comprendre la présence des solistes lyriques de Paris en retrait et très mal mises en valeur. Pire, un fond sonore qui brise le naturel de la performance et amène de l’artificialité aux morceaux choisis. Avec un violon sur scène et des choristes, il y avait nettement moyen de se passer de sons préenregistrés. C’est dommage mais la spontanéité de la diva et son pouvoir sur les éléments (quelques gouttes de pluie qu’elle a renvoyées d’où elles venaient) ont fait oublier ce bémol.

Après Arielle, c’est un pas plus loin, et pas toujours avec la bénédiction des trains de marchandises qui étaient nombreux à passer au-dessus de leurs têtes, que nous avons découvert les Celtic Tenors. Matthew Gilsenan, James Nelson et Daryl Simpson composent ce trio de ténors venu tout droit d’Irlande. Mais avec quelques subtilités, puisque l’Irlande est vaste et divisée… notamment par le Brexit. L’un faisant remarquer, un peu désespéré : « J’ai brexité ». De quoi alimenter le comique de répétition à plusieurs moments de leur prestation. Car ils ont pas mal parlé, créant une relation avec le public. Avant de l’entraîner dans un répertoire bourré de charme, célébrant l’amitié de voix infaillibles. Moment de grâce avec la reprise du sublime The Boxer de Simon and Garfunkel.

Laissant l’Irlande et les trains bruyants derrière nous (pas nécessaire à faire le voyage), c’est de l’autre côté du site que BeVocal, Choeur national des jeunes de Belgique, nous attendait. Ce chœur mixte a été créé à l’initiative des trois fédérations chorales de Belgique (À Cœur Joie, Koor&Stem et Musikverband Födekam Ostbelgien) dans le but de rassembler autour d’un unique projet de jeunes chanteurs (jusqu’à 27 ans) issus de toutes les communautés linguistiques de notre Royaume.

Sous la direction de Maria van Nieukerken, il interprétera un répertoire issu simultanément du classique et du contemporain. Il faut que jeunesse se fasse et ce moment fut la vraie déception de la soirée. Sur un répertoire faisant « Noël » avant l’heure, la chorale tout sourire donnait l’air de bien s’amuser mais a oublié d’emmener le public dans ce divertissement. La reprise de Sur le pont d’Avignon n’a rien arrangé et, ce morceau entonné, dos tourné au public, encore moins.

La nuit tombant, nous nous étions réservés pour la fin les deux spectacles qui semblaient tirer le mieux profit du noir. Ça n’a pas loupé. Entièrement tirés à quatre épingles dans le blanc le plus total (exception faite des barbichettes de l’un ou l’autre), les Voca People sont arrivés sur scène tels des ancêtres des Minions, ponctuant leur apparition d’onomatopées et d’interjections hilares. Et, pourtant, qu’est-ce qu’ils sont doués pour déconcerter.

À coup de plusieurs medleys incroyables et à la seule puissance des voix (pourtant, on aurait juré qu’il y avait une basse ou une batterie), jonglant autant avec du Queen que du Spice Girls et du Era, ils étaient seulement huit sur scènes, mixtes, mais semblaient être cent, décuplant leur énergie et mettant en scène en un temps record et sans transition leurs covers. De quoi fonder un show aussi émouvant qu’hilarant, terriblement impressionnant.

Les Voca People seront de retour chez nous les 6/11 (au Théâtre Royal de Mons) et 9/11 au Forum de Liège (infos & tickets : www.next-step.be & dans les points de vente habituels)

Enfin, c’est au creux du coeur de l’abbaye, la partie la mieux conservée du site, qu’étaient attendus comme des seigneurs d’humanité, les membres d’I Muvrini. Avec toujours un clavier et rehaussé par la présence d’une violoncelliste, la magie que dégage la voix de ces Corses a tout de suite opéré. Ces polyphonies-là devraient être consacrées au patrimoine immatériel mondial. Pourtant, si les voix étaient bien en place dans cette quasi-cathédrale à ciel ouvert, I Muvrini a bradé son talent, oubliant qu’ils n’avaient droit qu’à 20-25 minutes et pas à deux heures de concert.

C’est ainsi que, d’abord sur En 2043 (l’une de leurs dernières chansons, parlant de l’évolution de la Terre et du réchauffement climatique) et encore plus sur Qui sin’a l’umanita, la formation a tiré en longueur, faisant reprendre en choeur certains passages au public et perdant de précieuses minutes pour convaincre. Car, ils ne m’ont pas convaincu outre mesure, avec un répertoire très mal choisi pour ce type d’événement. Ils peuvent faire tellement mieux. Et l’ont d’ailleurs déjà fait.

Voilà qui clôturait ce tour des chapelles inattendu et toujours plein de promesses. Tout ce petit monde se retrouvait sur le coup de minuit pour une prestation finale et un feu d’artifice, rajoutant une dernière touche à l’aura de ce lieu, de ce trésor.

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