« Du sang, des boyaux, de la rate et du cerveau, je mets ça sur mes tartines, ça me fait des vitamines. » Voilà une chansonnette de l’enfance qui prend encore tout son sens à l’heure où l’horreur aime se tailler la part du lion dans les aventures de bandes d’enfants. C’est le cas à l’écran mais aussi dans les cases. Et notamment chez Dupuis où le retour en grâce des morts-vivants depuis quelques lustres fait des émules. Dans Créatures dont le premier tome se veut gourmand (70 planches), Stéphane Betbeder et Djief déploient le brouillard, sur la ville et dans les esprits des adultes, et le spectre d’un Cthulhu new generation s’avance.
Á lire aussi | Djief: « Avec Créatures, j’ai enfin trouvé le Graal »

Résumé de l’éditeur : New York, dans un futur proche mais apocalyptique… Le chaos règne et la brume fait apparaître des créatures terrifiantes. Les adultes sont sous l’influence d’une entité monstrueuse et les enfants doivent s’organiser pour survivre. Comment le monde en est-il arrivé là ? Que sont ces créatures ? Que veulent-elles ? Peut-on vaincre ces monstruosités ?

Du brouillard, des enfants isolés. Si les adultes n’ont pas disparu pour la cause – bon, ils sont tout de même mal bar’, zombifiés -, le pitch de départ rappelle forcément Seuls, la série à succès de Fabien Vehlmann et Bruno Gazzotti aussi chez Dupuis, mais trouve assez vite son propre tempo et son originalité. Dans ce monde en faillite, dans cette ville qui ne dort jamais (le titre de ce premier épisode), sous les nuées verdâtres – ce n’est pas forcément toujours sexy en BD mais Djief y va à fond et fait parler au mieux cette ambiance mystérieuse -, c’est le système D qui règne.


Si le lecteur débarque dans un univers déjà bien en place, que l’installation de cette société horrifique a été passée au flou artistique jusqu’ici, qu’aucun élément ne permet de dire quel événement fantastique et frissonnant a plongé cette ville dans les ténèbres, toujours est-il qu’il ne suffit plus d’aller au supermarché pour se nourrir, sans doute dévalisé depuis longtemps. Dans ce monde inversé, les parents amorphes ne sont plus là pour cuisiner et ce sont les enfants qui les nourrissent à la panade. Alors, forcément, dans ce climat où il se pourrait que l’un ou l’autre aïeul résiste à l’emprise du mal, les enfants se sont organisés en bandes. Pour explorer la ville par les toits plutôt que par les rues, trouver l’issue, mais aussi pour attaquer les garde-manger des autres. Alors, les guérillas s’installent mais le péril va bientôt obliger ce petit monde à collaborer, Chief et La Crado, les frangins La Taupe et Testo, mais aussi Minus, l’albinos aux pouvoirs très spéciaux et Vanille qui tentent de sauver leur maman de la manipulation.


Lors d’un cambriolage, tout ce petit monde est regroupé et confronté à une créature démentielle, une ombre tentaculaire, sans visage si ce n’est un assemblage de ronds lumineux, effroyable. Celle-là qui semble contrôler les adultes et nourrit de sombres projets pour ces gamins qui font de la résistance.


Soyons clairs, cette histoire aurait très bien pu reposer sur 48 planches. Auteurs et éditeur ont vu plus large pour permettre, d’abord, de situer l’action et l’angoisse durant quatre planches et demie, muettes. Et de recommencer à intervalle régulier, pour faire peser la solitude et l’effroi et renforcer le besoin d’être à plusieurs pour combattre l’obscurité. Car, entre actions hésitantes, entravées, et moments de latence où les héros se reniflent et tentent de faire abstraction de ce qu’il y a dehors, Betbéder et Djief livrent les enfants à eux-mêmes et à subir ce qu’il se passe.


S’il y a des sursauts, ce premier tome commencé au purgatoire est à sens unique et emmène ses protagonistes en enfer. De quoi rehausser le suspense et le mystère, ne donner aucune clef et même refaire un tour de cadenas sur ce secret épouvantable bien gardé, en rétention d’informations, et assez prometteur. En espérant que les prochains albums soient à la hauteur de la montée en puissance de ce premier tome. Voilà une série qui ne prend pas les jeunes lecteurs pour des poltrons et qui fait entrer par la grande porte Djief dans le monde de la BD jeunesse (disons « tout public », car c’est bien le cas) tout en gardant l’intensité de son trait et ses ambiances, démoniaques.

Le deuxième tome est, lui, bien avancé :
Série : Créatures
Tome : 1 – La ville qui ne dort jamais
Scénario : Stéphane Betbeder
Dessin et couleurs : Djief
Genre : Aventure, Fantastique, Horreur
Éditeur : Dupuis
Nbre de pages : 72
Prix : 12,50€
Date de sortie : le 08/01/2021
Extraits :