Au-delà des apparences #1 Le serpent à deux têtes, la transe de la survie et des vies multiples

© Jakupi chez Soleil

Nous n’en sommes jamais à l’abri! La rumeur, le mensonge, la croyance pour desservir autrui ou se servir soi dans diverses circonstances. S’il n’est pas démasqué à temps, le soupçon reposant sur peu ou prou de choses peut être dévastateur ou salutaire pour les uns à défaut des autres, rarement pour l’ensemble d’une communauté. À travers trois sorties récentes, le monde du Neuvième Art nous montre quelle forme la rumeur peut prendre. Commençons en remontant le temps et en alignant les astres et les rites grâce à Gani Jakupi et son Serpent à deux têtes.

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Résumé de l’éditeur : À l’aube de la fondation de ce qu’on appellera l’Australie, tandis que Sidney n’est encore qu’un village, les destins de M’rrangoureuk, guerrier aborigène revenu d’entre les morts, et de William Buckley, fugitif britannique, se croisent et se confondent. Cette double trajectoire fait écho aux interrogations contemporaines sur l’identité et les mélanges culturels dans notre monde globalisé.

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Invasions et conquêtes ont souvent mené à des rencontres, bonnes ou mauvaises. Alors que, dans l’Histoire globale, la colonisation vise de nouvelles terres, l’Océanie, Gani Jakupi nous entraîne au début du XIXe siècle dans une histoire en quatre chapitres (+ un dossier documentaire, car cette histoire est adaptée librement de faits réels) à peine croyable. Alors qu’il s’était déjà essayé à ce genre de récit traitant d’une figure controversée par son jeu trouble entre légende et réalité (El Comandante Yankee, du nom du héros de la révolution cubaine), récit populaire et lignes autobiographiques vérifiées, Jakupi change de continent pour se retrouver au carrefour des civilisations et des réflexes de survie des uns et des autres sur une terre qui les oppose.

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Honneur à ceux qui étaient là les premiers puisque c’est par un rite, une légende que l’auteur albano-kosovar nous met en condition pour mieux comprendre la tribu dans laquelle nous allons atterrir. Des « sauvages » qui ne le sont pas tant et ont un mode de vie bien organisé pour trouver leur place dans ce monde qu’il pensait immuable, entre moments de célébration et guerres avec d’autres aborigènes. Avec la croyance magique que les morts peuvent revenir. Même si, officiellement, cela ne s’était jamais vu avant. Avant le jour où M’rrangoureuk a été retrouvé terreur mais plus vif que mort, sa lance toujours plantée à côté de son tombeau. De là à reprendre une vie comme avant, il n’y a qu’un pas qu’il n’a pas franchi puisqu’amnésique, obligé de réapprendre les us et coutumes des siens, surveillé et tenu à ne pas engager le combat, sous peine que la malédiction s’abatte. M’rrangoureuk est (re)devenu un sage, un précepteur, un mari aussi. Même si certains au sein de la troupe ne croient pas à son retour.

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Un retour qui va favoriser le sursis et le salut de William Buckley, sujet de sa majesté, évadé du bagne du coin et persuadé de rallier Sidney alors qu’il tourne en rond et revient implacablement à son point de fuite de départ. Ce qui n’est pas sans engendrer des tensions avec ses deux compagnons. Alors que le monde hostile, qui prend la forme d’animaux ou d’humains d’autres cultures et langages, se fait sentir. Se pourrait-il, en attendant que les soldats colons repartent de plus belle à l’assaut de ce monde nouveau, que les deux peuples trouvent un terrain d’entente?

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Par ses teintes très sobres (on croirait en préambule que ce récit naît sur les parois d’une caverne) et le magnétisme qu’il initie dans sa manière de raconter l’histoire par le texte et le dessin, avec de l’âme, Gani Jakupi nous surprend par ses mystères qui sont pourtant sous le bout de notre nez pour apprendre aux gens à s’écouter peu importe s’ils ne sont pas du même… monde et n’ont pas la même expression. Entre surnaturel et réalisme, crédible et croyance, l’auteur nous retourne par ce récit qui pousse à prendre fait et cause pour le prétendu ennemi, à s’oublier au bénéfice d’un vivre ensemble, moins cossu mais faisant plus sens et en connexion avec les éléments. Pris au piège de cette histoire solide et racontée de la meilleure des manières sans faux-semblants mais avec intelligence, je n’ai rien vu venir de la manipulation et la métamorphose qui s’opèrent ici.

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À lire chez Soleil dans la collection Noctambule

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