Des fantômes pour les petits et les grands, décérébrés ou envoûtants, dans un petit cimetière de France ou les catacombes hollywoodiennes

© Desberg/Futaki chez Grand Angle

Parler aux fantômes. Vous en voudriez de ce don? En général, les héros ne le choisissent pas, ils font avec et il les entraîne dans les aventures les plus fantastiques ou les plus intimes. Dans le cas de la petite Sam, et de son frère Tim bien malgré lui, le dialogue avec l’au-delà (mais toujours sur terre car, la chanson est connue, il reste quelque chose que l’âme doit accomplir), les mène dans une enquête de voisinage. Excitant, non? Pas toujours. La preuve avec une bonne pioche, Movie Ghosts, de Desberg et Futaki, et un autre plus que passable, Les Sauveurs d’esprits, de Carbone et Monier.

SOS Fantoches

© Carbone/Monier chez Dupuis

Résumé de l’éditeur : La petite Sam a un don : elle parle aux esprits du cimetière. Lorsqu’elle croise Louise, le fantôme d’une vieille dame perdue et enterrée anonymement dans le carré des indigents, elle décide donc de l’aider à retrouver son passé et surtout son mari, qui doit s’inquiéter de sa disparition. Tant pis si Tim, son grand frère qui la garde depuis la mort de leur père, la croit folle de parler ainsi à son amie imaginaire ! Et tant pis si l’assistante sociale se dit qu’il ne serait pas inutile de séparer ces deux jeunes gens un peu bizarres…

© Carbone/Monier chez Dupuis

Alors qu’on attend impatiemment la suite de RIP, scénarisé par Gaëtan Petit et qui arrive toujours à la fin de l’été, le dessinateur Julien Monier s’offre une parenthèse irréelle et plus enfantine aux côtés de Carbone. S’il est ici question de fantômes, l' »après » ne les a pas corrompus et ils restent bien humains avec leurs qualités et leurs défauts, leurs doutes aussi, qu’ils espèrent non-éternels.

© Carbone/Monier chez Dupuis

Dans le cimetière où repose son papa, Sam a ainsi fait la connaissance de Louise, une gentille grand-mère complètement flippée parce qu’elle ne sait pas ce qu’elle fait là. Malgré ses loupes sur le nez, qui ont passé le cap du dernier souffle. Elle est en perte de repères, la Louise, d’autant plus qu’un dandy, Philéas, ne la lâche pas d’une semelle. Il veut la faire danser jusqu’à ce que mort (ah non) s’ensuive.

© Carbone/Monier chez Dupuis

Une fois l’impénitent danseur écarté, Louise peut songer à aider sa vieille protégée et se poser la question: mais comment cela se fait-il qu’elle peut voir et discuter avec une morte, sous le regard incrédule de Tim, son frère… et tuteur légal, ce qui n’est toujours pas validé par l’horrible assistante sociale (ah bon, c’est un gros cliché?) qui cherche la petite bête à chaque fois qu’elle visite la fratrie.

© Carbone/Monier chez Dupuis

Attiré par le dessin poétique, fort en ambiance et en identité; refréné par un scénario à la « mort moelle noeud », voilà en substance mon ressenti face à ce début de série qui tourne en rond. Encore une fois, ce n’est pas la première que je constate ça dans un album de Carbone (c’était le cas Dans les yeux de Lya, La sentinelle du petit peuple, les Zindics anonymes… loin de ses très belles réussites que sont La boîte à musique et La brigade des souvenirs), on sent à quel point elle vient du monde du roman qui même illustré ne fait pas BD. Dans ce premier tome des Sauveurs d’esprits, pas grand-chose ne fonctionne dans la narration. En réalité, cette histoire inutilement tirée en longueur (54 planches!) aurait pu tenir sur une dizaine. Parce que l’action est surdécoupée et surtout que la dynamique du trio Louise-Sam-Tim ne tient pas la route pour un récit en images (film, BD, etc.) L’une voyant et entendant l’ectoplasme, l’autre n’en ayant connaissance que par la première, la majeure partie de cet album est handicapée par de constantes scènes de traduction et description de choses que le lecteur voit pourtant dès le premier regard. Et ça l’embête.

© Carbone/Monier chez Dupuis

La magie du dessin, inventif, de Julien Monier n’y survit malheureusement pas. D’autant plus que le scénario n’amène rien de nouveau et ramène le fantôme dans la platitude de l’existence, de ses tourments. Et quand il faut pallier aux clichés, on part dans des idées complètement invraisemblables (ah bon, mamie Louise a été enterrée parmi les indigents anonymes, parce qu’on n’a pas retrouvé la trace de ses proches… non mais, peut-être au XVe siècle mais pas au XXIe siècle; et ghosty Louise tout d’un coup, alors qu’elle était incapable de saisir un objet, là voilà qui sous la colère se transforme en poltergeist et renverse un bibelot au pire moment…). Quant à l’explication des pouvoirs de Sam, un faux suspense est créé pour tenter de Ce n’est pas rocambolesque, c’est grand-guignolesque. Ce n’est pas parce qu’on travaille pour un public jeunesse qu’on peut lui faire avaler tout et n’importe quoi. Voilà un album qui a une gueule de déterré.

© Carbone/Monier chez Dupuis

Le paradis perdu sur pellicule bascule vite en enfer, dans les coulisses de la machine à rêver

© Desberg/Futaki chez Grand Angle

Résumé de l’éditeur : Les morts ont besoin qu’on fouille les cauchemars de leur disparition. Jerry Fifth connaît tous les péchés de la Cité des Anges, des prostituées de Sunset Boulevard aux divas de Hollywood, des producteurs sur le retour aux jeunes acteurs sur le chemin de la gloire. On le paie pour trouver des amants, des enfants illégitimes, des assassins, des assassinés. Pourtant, Jerry a un problème. Il entend les voix des fantômes d’étoiles éteintes. Pourquoi a-t-il accès à ces voix, à ces visages en quête de vérités perdues ? Au coeur d’un siècle de cinéma, des salles à deux sous aux machines à rêve des grands studios, Jerry va découvrir les ruines d’une ville dans la ville, des secrets à l’intérieur d’autres secrets.

© Desberg/Futaki chez Grand Angle

Changement total d’ambiance et de public avec la première partie de diptyque qui est le fruit d’une première collaboration entre le bien connu Stephen Desberg et ce diable hongrois d’Attila Futaki. Il faut dire que le cinéma n’a pas son pareil pour générer des fantômes, dans l’intérêt de ses films mais aussi dans le souvenir intact (oh de temps en temps tressaillant ou habité de parasites quand la cassette ou la bande est usée) qu’il grave de ses acteurs et actrices, portés aux nues ou damnés, à force d’excès ou pour d’obscures raisons.

© Desberg/Futaki chez Grand Angle

Louise Sandler, Odette Armstrong, ces noms vous disent-ils quelque chose? Non, c’est normal. Peut-être appartiennent-ils à la fiction? Ou alors, comme l’investigue cette bande dessinée, cette star et cette aspirante gloire ont-elles été réellement oubliées? Toujours est-il que la seconde, soixante ans après son suicide, rode toujours bien sur terre, à l’abri des regards et des oreilles. Sauf ceux de Jerry Fifth. Sous des airs de gentleman il est homme-à-tout-faire, y compris pour les missions désagréables (on le lit plus dans le résumé sur la quatrième de couverture qu’on le vit dans les planches, c’est rare les bons résumés comme ça qui donnent de l’ambiance sans défraîchir l’histoire). Et il se découvre un don, entendre et voir les fantômes, dont ceux de l’âge d’or d’Hollywood qui pourraient bien l’aider à lever le voile sur ce qu’il se passait dans l’ombre des écrans, ces choses pas très catholiques.

© Desberg/Futaki chez Grand Angle

Comme pas mal de ses récents albums, c’est une partie de son passé familial que Stephen Desberg exploite et étire pour créer son récit. Son père était américain (ce qui a conféré au scénariste sa nationalité) et œuvra, notamment, à la distribution des films de la MGM dans les années 50 à New-York puis Bruxelles. Ce qui le vit bien côtoyer des vedettes dont témoignent les photos que Stephen a pu compulser pour se mettre des étoiles plein les mirettes… mais en creusant… on constate.

© Desberg/Futaki chez Grand Angle

Par l’intermédiaire de la fiction, Stephen Desberg engage donc Jerry Fifth sur la pente glissante, pour faire la lumière sur la mort d’une actrice à qui tout semblait promis. Puis, du jour au lendemain, plus rien. Affaire de cul? Plus que probablement, se dit-on, en voyant le héros s’engager sur une voie que notre époque metoo aurait en horreur. Sauf que ce n’est pas ça, ça aurait été tellement facile. Le volte-face est permis et Jerry Fifth n’est pas au bout de ses surprises, ses cadavres et ses revenants.

© Desberg/Futaki chez Grand Angle

Scrutant la gloire et la déchéance de Los Angeles par le petit bout de la lorgnette et le drame intime, Desberg nourrit aussi habilement la relation qui se noue entre Jerry et Odette, sa témoin de l’au-delà. Parce que l’histoire va plus loin que ce tome (qui contient même deux enquêtes), qu’elle joue entre le naturel et le surnaturel, invitant son héros, dans ses pérégrinations, à se méfier de tout, de ce qui est solide et charnu mais aussi dans ce qui est volatil mais peut quand même montrer les crocs.

© Desberg/Futaki chez Grand Angle

Tout ça, en plus soft, pourrait donner matière à une saison d’American Horror Story, mais qu’est-ce que ça fonctionne bien en BD. C’est à la fois haletant, fascinant et contemplatif. Attila Futaki marie à merveille le vintage et des compositions plus osées (ah, avoir une vue imprenable sur Los Angeles, cité de lumière, en pleine nuit, comme si un appareil photo était en pose longue). La reconstitution est parfaite mais dans des couleurs qui pourraient sembler froides, il y a des intenses émotions et bouleversements qui émanent. Y compris lorsqu’il faut activer la vision nyctalope. Découpage, couleurs, rigidité comme élans d’action anime cet album avec puissance et élégance. C’est impressionnant et captivant. Y compris quand on se rend compte que ce premier tome a une fin en soi (même si d’autres éléments restent à investiguer, comme l’origine du don du héros) et qu’on se demande ce que racontera la suite et fin de ce dytique. Jusqu’ici brillant dans le noir.


Série : Les sauveurs d’esprits

Tome : 1 – Louise

Scénario : Carbone

Dessin et couleurs : Julien Monier

Genre : Comédie dramatique, Enquête, Fantastique, Jeunesse

Éditeur : Dupuis

Nbre de pages : 56

Prix : 12,50€

Date de sortie : le 08/04/2022


Titre : Movie Ghosts

Tome : 1/2 – Sunset, et au-delà

Scénario : Stephen Desberg

Dessin et couleurs : Attila Futaki

Genre : Drame, Fantastique, Mystère, Polar

Éditeur : Grand Angle

Nbre de pages : 72

Prix : 16,90€

Date de sortie : le 27/04/2022


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.