
En tant que lecteur assidu, je suis toujours heureux de voir à quel point la Bande Dessinée peut repousser ses limites et celles des autres médias qu’elle côtoie dans l’art de raconter des histoires. En étant sérieux ou en se laissant aller allègrement à l’humour. Résolument, tout est possible, illimité, les bords de case ne sont qu’un leurre et leur vacuité permet parfois de s’adresser à… Dieu. La preuve d’un « petit » jeune, Yann Rambaud, à un vieux de la vieille, Daniel Goossens.

Une bonne comédie romantique française, ça n’existe pas, diront les rageux
Résumé de l’éditeur : Coup de foudre, amour impossible, Pascal Obispo… les ingrédients de toute bonne comédie romantique française sont bien là. Mais, au-delà de la romance, c’est une masterclass de cinéma à laquelle Yann Rambaud nous invite.


Pataquès continue son travail de parodie tous azimuts et mise à nouveau sur Yann Rambaud (qui avait imaginé le Nouveau président, il y a quelque temps) dont l’appétit semble insatiable et qui a les dents bien aiguisées. D’ailleurs, fini la BD, il s’attaque au cinéma et nous raconte comment faire le film dont on ne rêve pas avec les moyens qu’on a.

L’argent est le nerf de la guerre et, même avec un fond vert, on ne saurait pas faire un Titanic, un Star Wars ou un Indiana Jones. Alors, quand on est français et qu’on rêve des feux de la rampe, il faut s’adapter. Passer du film d’action au film social, ancré dans la réalité mais pouvait se permettre quelque cocasserie. Oh, on ne saura pas caster Tom Cruise mais un Pascal Obispo (qui depuis a tourné au cinéma dans Alibi.com 2) ou un Jean-Pierre Bacri, un Nagui même et quelques déguisements, ça peut se faire.


Entre l’histoire qu’il veut raconter et l’histoire qu’on lui fera raconter, les coulisses du tournage mais aussi du scénario (avec aller-retour des investisseurs, des critiques amateurs), et l’insurmontable voix du narrateur omniprésente et puissante, acteur et réalisateur pitchent au lecteur ce film qui n’existera sans doute jamais et existe peut-être déjà mille fois par manque de finances et tentation de la facilité. Il y a là un vrai essai par l’absurde sur la machine cinématographique et tout ce qui l’empêche de fonctionner, ce qui la fait déraper.





Pince-sans-rire ou déjanté, Yann Rambaud joue sur plusieurs tableaux et n’arrête pas de lâcher et dessiner des blagues, de jouer avec la magie (parfois rouillée) du cinéma et ses références, ses gloires, tout en montrant à son petit niveau ce qu’un réalisateur français peut subir comme désillusion, revoyant ses ambitions d’un film alpha (avec tous les modèles succès critique et public) à un film bêta.

Bête et méchant, décomplexé et décomplexant. Dans le foutage de gueule intégral, c’est un bon film de papier que l’auteur a conçu là. Même si, c’est sûr, tout le monde n’y goûtera pas. Mais « tout le monde » dit aussi qu’il n’y a pas de bon film français… on sait que c’est faux, même si sans doute faut-il les trouver au-delà des spots télé, radio et réseautés.

La porte de l’univers, celle qui mène sur l’ultime résurrection ou sur l’inconsolable chute?

Résumé de l’éditeur : Robert Cognard, humoriste lessivé, voit sa vie basculer. Son histoire, faite de destins brisés et de silences, le rattrape alors qu’il n’a plus de gag pour se défendre.
Tant qu’à parler d’umour bête et méchant, c’est bien entendu chez Fluide Glacial que nous retrouvons le vénérable Daniel Goossens (vénéré déjà par Édouard Baer et Benoit Poelvoorde qui l’invite d’ailleurs le 20 aout prochain à son Intime Festival). Cette fois, le sexagénaire a trouvé un personnage de sa génération. Un as de l’humour, lui aussi, mais à bout de souffle, moins lucide. Un défaut qui va le conduire aux portes de l’enfer. Cette fois, la vanne n’a pas pris et voilà Robert Cognard, ex-roi des clowns en tutu, traîné en justice, privé de scène et de public. Seul, sans rires. Que des larmes. Mais pas encore tout à fait abattus.
Boucq, Goossens, il n’y en a pas des dizaines qui ont le crayon taillé dans ce bois-là, dans l’humour noir et pourtant lumineux, éclairant les visages du lecteur, dans cette manière de prendre la société en défaut dans des aventures tonitruament iconoclastes (ici, Tintin et Haddock ont changé de corps et d’univers), qui critiquent notre époque (les tribunaux populaires, la culture kleenex, la facilité de la descente aux enfers, le politiquement plus que jamais correct) tout en allant de l’avant dans la créativité, la mise en scène et en situation. Car de ce drame intimiste des temps qui courent, Daniel Goossens fait appel à une galerie de personnages décérébrés, à des grands décors (dans l’espace ou dans le western) et à une intrigue imprévisible.


Résolument, quand on ouvre un Goossens, tout peut tellement péter dans tous les sens qu’on nage dans l’inconnu. Ça ne veut pas dire qu’on est à l’abri de la déception, mais on prête le flanc à toutes les trouvailles et surprises concoctées par l’inépuisable auteur, qui s’en va même tailler la bavette avec dieu le père et interroger l’humour, ses limites plus que jamais éprouvées par les censeurs. Et le paradis peut bien être un enfer, et vice-versa. Voilà un album, plein, bien rempli, peut-être trop, mais jouant toujours cette carte à double-face: réflexion et divertissement insensé.

Titre : Une bonne comédie romantique française
Récit complet
Scénario, dessin et couleurs : Yann Rambaud
Genre : Cinéma, Humour, Parodie, Transmédia
Éditeur : Delcourt
Collection : Pataquès
Nbre de pages : 64
Prix : 13,50€
Date de sortie : le 27/04/2022
Titre : La porte de l’univers
Récit complet
Scénario, dessin et couleurs : Daniel Goossens
Genre : Absurde, Drame, Fantastique, Psychologique, Société
Éditeur : Fluide Glacial
Nbre de pages : 88
Prix : 18,90€
Date de sortie : le 04/05/2022