
Après avoir donné de l’action, des couleurs et un peu d’amour à la trilogie instable et un peu trop fouillis Danthrakon en compagnie de Christophe Arleston, c’est avec l’écrivaine Aurélie Wellenstein (et d’après l’univers de celle-ci développé dans Mers mortes) qu’Olivier Boiscommun livre La baleine blanche des mers mortes, un album intimiste des grands espaces, intemporel et pourtant bien encré dans nos temps qui courent… en pure perte. Des temps qui se réchauffent et se glacent.

Résumé de l’éditeur : Mers et océans ont disparu. L’eau s’est évaporée, tous les animaux marins sont morts. Dans un monde changé en désert, la mer fantôme revient hanter les hommes. Paris en ruines tremble sous l’ombre d’une baleine blanche et seuls les musiciens de l’Opéra parviennent à canaliser sa fureur en jouant pour elle. Jusqu’au jour où deux voyageurs s’en mêlent?: une femme qui danse avec les méduses et un homme au passé trouble. Sont-ils du côté des survivants ou de celui des spectres?
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Un oeil, une tête de mort dans la rétine, un flot de larmes dévastatrices et des plis sur une peau de cuir qui a dû en voir. Dans le gigantisme du détail, que le titre, La baleine blanche des mers mortes, nous aide à identifier, il y a un mystère à percer. Dans leur premier album ensemble, et le tout premier en BD pour Aurélie Wellenstein, la romancière orientée fantasy et le Breton d’adoption s’intéressent au monde d’après. Plus loin que la tombée des masques, celui qui adviendra quand ce qui devait arriver arrivera. Ce n’est pas faute d’avoir reçu maints avertissements des experts du Giec dont l’Homme, les partis au pouvoir et les industriels mus par toujours plus de profit, n’ont eu cure. Alors, voilà l’eau a dramatiquement monté et il n’y avait pas d’Arche de Noé pour mettre le cap sur une terre préservée, en attendant que ça se calme.

Oh, cela dit, un phénomène inattendu s’est produit: la mer a atteint des sommets mais n’a pas asphyxié les humains. Non, elle les fait souffrir, elle se venge (?), semble les punir en tout cas. Car le jeu des marées est intangible, indolore en lui-même, mais ramène une quantité d’espèces, anciennes proies redevenues prédateurs. Des poissons, des requins, des baleines qui ont renversé la chasse et reviennent hanter les humains, les parasiter dans une ultime tentative de les mettre du côté du bon sens, du vivant.

Dans une ambiance de Walking Dead, désolée puis émerveillée par une eau salée qui remplit l’espace et s’étend au-dessus de la ville dévastée, voilà que nous faisons la rencontre de Bengale, voyageur esseulé dans un monde qui peut paraître hostile mais qu’il a appris à apprivoiser. Reste qu’il faut rester méfiant. Et il fait bien. Alors qu’il rencontre le premier humain depuis pas mal de temps, Chrysaora la méduse, l’harmonie se disloque et la première scène de guerre entre les animaux marins et océaniques et le commun des mortels se disloque. Avec des victimes collatérales. Pour peu qu’un homme ou une femme soit touché par une murène, un requin ou une autre créature morte-vivante et portant les stigmates du sort que la chasse lui a réservés, la victime se zombifiera. Et les poissons et mammifères aquatiques semblent de plus en plus agressifs, tourmentés.

La énième survie des homo sapiens dans ce monde sur lequel ils n’ont plus de prise qu’avec des harpons dépendrait sans doute d’une alliance entre les rescapés mais le groupe, sectaire, qui vient de mettre la main sur Bengale et sa nouvelle « amie » semble ne pas l’entendre de cette oreille. Il y a de fortes chances que les deux « recrues » soient offertes en sacrifice, dans une messe célébrée dans le décor d’un vieux théâtre. La musique n’apaise plus les moeurs mais se révélera peut-être essentielle pour trouver l’accord plutôt que le désaccord, la lumière plus que l’obscurantisme.

Vu le pitch, l’ambiance et le décor, on n’aurait pu craindre une (mauvaise série Z). Force est de constater que ce n’est pas Sharknado, et qu’il est bien question de profondeur. Dans le cheminement des héros et des « méchants » et dans le but poursuivi par certains, au regard du passé plus ou moins lointains. Tentant, sur le tard, de réconcilier les mondes, Wellenstein et Boiscommun (qui avait déjà fait parler son art au service de la bonne cause et de la protection de notre planète bleue, pour le challenge #drawthisinyourstyle de Greenpeace notamment) livrent un album sublime, suffisamment précis que pour dénoncer, depuis ces temps post-apocalyptiques, une situation qui urge. Et onirique que pour permettre à chaque lecteur d’y trouver sa part, à creuser et à faire (ou non) évoluer dans un univers aussi menaçant que sublime. Olivier Boiscommun réussit là un album mémorable, pas assourdissant mais symphonique, avec du relief et des couleurs très réussies. Sans lire le texte, on se dit déjà qu’il est important de protéger cette bonne vieille mer. Autant que cette terre, d’ailleurs. Voilà un album paru en 2021 (oui, j’ai du retard) qui mérite bien de passer le cap de 2022, et de rester, d’être tentaculaire pour faire oublier l’esprit de vengeance et de mort (brodé sur les t-shirts, les blazers) et trouver la bonne entente. En espérant couler des jours paisibles.

Titre : La baleine blanche des mers mortes
Récit complet
D’après l’univers d’Aurélie Wellenstein dans Mers mortes
Scénario : Aurélie Wellenstein
Dessin et couleurs : Olivier Boiscommun
Genre : Anticipation, Fantastique, Initiatique, Psychologique
Éditeur : Drakoo
Nbre de pages : 64
Prix : 15,90€
Date de sortie : le 29/09/2021
Extraits :