Alors, tout tombe : un brin désorienté, Blacksad retrouve la lumière pour mieux visiter les ténèbres

© Canales/Guarnido chez Dargaud

His name is John, John Blacksad! Hé oui, dans les mêmes eaux troubles et oppressantes qui augurent parfois les fins de règnes (mais de qui?), Septième Art comme Neuvième voient revenir, en même temps et après quasiment autant d’années d’absence, deux de leurs lions : James Bond et John Blacksad. Changeant de décennie mais conservant son charisme animal, le matou détective créé par Juan Diaz Canales et Juanjo Guarnido va, cette fois, devoir en garder sous le coude, ne pas brûler trop vite ses calories et reprendre son souffle pour tenir la route et l’haleine. Pour la première fois, ce sixième tome inaugure en effet une histoire en deux tomes, de tous les dangers et de toutes les surprises. 

Résumé de l’éditeur : Chargé de protéger le président d’un syndicat infiltré par la mafia à New York, John Blacksad va mener une enquête qui s’avérera particulièrement délicate… et riche en surprises. Dans cette histoire pour la première fois conçue en deux albums, nous découvrons à la fois le quotidien des travailleurs chargés de la construction du métro dans les entrailles de la ville, mais également la pègre et le milieu du théâtre, contraste absolu entre l’ombre et la lumière, le monde d’en bas et celui d’en haut incarné par l’ambitieux Solomon, maître bâtisseur de New York.

© Canales/Guarnido

Devenu mythique en très peu de temps, tant pour les lecteurs que pour les collectionneurs, le chat noir costumé-cravaté reprend donc du service après huit années d’absence, un peu de chagrin dans les yeux mais prêt à se retrousser les manches. Blacksad va devoir jouer sur plusieurs échelons, prendre attitude et altitude, ou s’enfoncer dans la terre de plus en plus bétonnée. Entre le sous-sol des taupes, le plancher des vaches et le ciel des aigles et des goélands (qui se révèlent parfois en vautours), il y a de quoi faire et tout un bestiaire à réintroduire ou inventer.

© Guarnido
© Canales/Guarnido

Après son épopée humaine et sud-américaine, le plaisir de Juanjo Guarnido est intact à dessiner des bestioles de tous poils, avec de la gueule (fine ou gargantuesque, pourvue de crocs, de doubles-dents ou de becs, allongée ou ratatinée). Et du premier rang au 46e rôle, tout ce beau monde coloré existe dans des décors vivants, dans lesquels il se passe toujours quelque chose, relié ou indépendant du récit des auteurs. C’est une partie de la force souple et gracieuse de ce monstre sacré qu’est Guarnido.

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D’ailleurs, je pense pouvoir dire que si j’adore me retrouver devant des récits anthropomorphes, je ne vibre pas de la même manière que devant les histoires tragiques ou heureuses des hommes ou même des animaux (j’ai le souvenir traumatisant de cruelles mésaventures arrivées à ceux du Bois de Quat’Sous). Dans l’entre-deux, quand la Faune se comporte et s’habille comme l’Humanité, il y a toujours un décalage qui me permet de vivre différemment les récits proposés. Pas qu’ils me passent par-dessus la tête mais que je n’y engage pas suffisamment mes émotions que pour vibrer, avoir peur pour les héros. Sauf ici… J’ai encore mal au pif d’une scène incisive, presque insoutenable, de cet album.

© Canales/Guarnido chez Dargaud

Car, le tourbillon, la tempête commence dès les premières pages de cette nouvelle aventure. Dans un parc déconfiné, de ces jours-ci, le public (Blacksad s’y est niché) laisse verdure et assiste à La tempête de Shakespeare (qui donne le ton tout au long de ces 56 planches) à laquelle la police va vouloir mettre un terme… pas pour non-port du masque ou non-respect de la distanciation physique… mais pour détérioration de l’espace public. Il faut dire que sous l’impulsion du maître bâtisseur Solomon, cette grande ville américaine finit sa métamorphose, toujours plus rigide, toujours plus haut. Quitte à aller contre l’air du temps et condamner les transports en commun souterrains.

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Un grand pont, le projet d’une vie de rapace, pourrait en effet changer les habitudes de déplacement des métropolitains. Mais pour que cette idée mégalo bénéficie d’une autoroute, il faut encore faire tourner le vent syndical des galeries du métro, par la corruption, la pression ou même l’élimination. C’est ainsi que Blacksad est mandaté pour faire la lumière dans une noirceur de plus en plus épaisse, pour empêcher l’inéluctable confrontation mortelle entre son client et le tueur à gage qui veut sa peau.

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Dans la même galère, John, Weekly (éprouvant les limites des rapports entre puissance et journalisme) et de nouveaux personnages (un lama, une biche…) vont pourtant se séparer, se la jouer solo et prendre des directions très différentes mais tout autant dangereuses. Ce qui permet d’éclater l’action tout en la renforçant, d’exploser et explorer la richesse d’un décor, connu et reconnu, surpeuplé de bonnes et mauvaises intentions, mais dont il faut plus que jamais se méfier. Car personne n’en sortira indemne et obnubilé par quelque chose qu’il ne révèle pas, John perd la main.

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Jusqu’aux dernières planches qui jouent d’un faux suspense qui n’arrive pas à créer la surprise de fin d’album – mais on s’attendait à celle-là – tout en jouant l’épilepsie en passant avec puissance d’un lieu à l’autre, unis dans la détresse: voilà un album majestueux, comblé de quelques sous-intrigues qui épaississent un petit peu le mystère. Une première partie qui coupe le souffle, redoutable. Canales et Guarnido sont en grande forme, ne tournent pas en ronron et envoient la pâtée. Pas forcément celle à laquelle leur héros est habitué. Il a d’ailleurs le ventre creux et nous l’appétit bien ouvert. Je reste subjugué.

© Canales/Guarnido chez Dargaud

Série : Blacksad

Tome : 6 – Alors tout tombe (1re partie)

Scénario : Juan Diaz Canales

Dessin et couleurs : Juanjo Guarnido

Genre : Anthropomorphisme, Roman Noir, Polar

Éditeur : Dargaud

Nbre de pages : 58

Prix : 15€

Date de sortie : le 01/10/2021

Extraits : 

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