
31 octobre, jour du Malin, idéal pour taquiner le chat noir, pour envoyer promener les superstitions, quelque part entre les ombres. Oui, c’est le nom du premier tome de la série culte Blacksad de Juan Diaz Canalès et Juanjo Guarnido, polar révélateur d’un univers qui a du chat et qui trouve aujourd’hui son adaptation en jeu de société, façon escape game. Car pas besoin des sortilèges d’Halloween, le commun des mortels est aussi capable de faire subir aux autres les pires supplices. Et c’est à la poursuite d’un cruel criminel, d’une froideur extrême, que nous nous lançons avec notre détective privé préféré. Pas franchement palpitante.
Résumé de 404 Éditions : États-Unis, années 50. Natalia Wilford, l’ancienne amante de John Blacksad, a été retrouvée assassinée. Malgré les conseils du commissaire Smirnov de la police de New-York, John décide de mener lui-même l’enquête. Parcourez la ville et retracez les dernières heures de Natalia afin de retrouver les preuves qui permettront à Blacksad de confronter son meurtrier !
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C’est sûr quand un personnage comme John Blacksad rentre avec fracas dans la culture populaire, il est amené à vivre d’autres vies. Récemment devenue jeu vidéo, voilà que la créature de Canalès et Guarnido s’offre un jeu de société, avec ses amis.
Blacksad – le jeu d’enquête, proposé par Nicolas Lozzi sur base de l’univers de bande dessinée toujours en cours, se joue à 2, 3 ou 4 personnes, et à partir de 14 ans. À quatre, notre partie nous a pris une bonne heure et demie. Chacun peut choisir son personnage entre les anthropomorphes John Blacksad le détective privé, Weekly la fouine journaliste, le commissaire Smirnov (un berger allemand) et Jake Ostiombe, le gorille boxeur et ancien garde du corps de la morte. Chacun possède deux dons (discrétion, bagarre, interrogatoire, tir, compétences requises sur certaines cartes). Chacun possède également son médaillon à déplacer, au fil des tours, sur une carte de Manhattan et dans cinq de ses lieux emblématiques pour cette enquête : le centre-ville (entre autres, où Natalia avait son appartement), le quartier des affaires, le commissariat, le bureau de Blacksad et les bas-fonds.
La partie se joue en huit tours, huit jours et autant d’événements limitant les personnages ou leur offrant une chance en plus dans leur investigation. À chaque tour, chacun explore la ville en fonction des indices qu’il entend récolter. Attention, les joueurs ne peuvent visiter deux fois d’affilée le même lieu. Une chouette règle qui va permettre de modérer les ardeurs tout en permettant d’étudier deux pistes différentes de front. Dans chaque lieu, une pioche de cartes dont la description incitera les enquêteurs à se jeter dessus… quitte à perdre leur temps, parfois. Car il y a des voies sans issue.
Outre ces deux types de cartes déjà décrites (les 8 cartes événement et les 40 cartes lieu), un troisième sera déverrouillé en fonction du flair des limiers: 5 cartes preuves marquées d’un logo, résultat de l’assemblage de 2 cartes lieu. Ces cartes preuves seront cruciales pour déterminer laquelle des trois enveloppes il faudra choisir pour résoudre l’enquête. Si vous êtes fort en mathématiques, vous aurez compris que toutes les cartes lieu ne seront pas retournées. Il faudra donc être finaud!
Notons encore, même si le jeu est coopératif, que ce soit quand ils ont choisi leur rôle ou quand il retourne une carte lieu, les joueurs ne peuvent pas les lire mais les raconter, les expliquer à leur façon. C’est une règle à la con, un peu artificielle tant elle fait perdre du temps sans vraiment amener un supplément d’âme au jeu.
Et ce n’est que le premier problème. Un autre défaut est le casting! Smirnov, Ostiombe et Weekly n’ont en réalité pas d’existence propre. L’enquête et ses indices, ses péripéties ne se racontent qu’à la première personne, celle de John Blacksad, qui lui-même est en jeu. C’est très spécial et ça réduit les autres, si ce n’est quand on utilise un de leurs pouvoirs, à l’état de pions!

Force est aussi de constater que le créateur du jeu nous incite à commencer celui-ci au petit bonheur la chance. Chacun pioche les cartes tous azimuts, à l’aveugle. Ce qui permet d’emblée de tomber sur des pièges ou, à l’inverse, d’avoir la main heureuse et de trouver des indices décisifs, de rencontrer des personnages marquants ou d’apprendre leur mort… C’est bien, sauf qu’… un ou deux tours plus tard, on pénètre un lieu où l’on nous parle de ce dernier bien vivant, de la manière de rencontrer un lézard ou un rat déjà trouvé. L’incohérence est totale.

Et l’ennui intégral pour celui qui, par malchance, ne tombe que sur des cartes qui ne servent à rien. Les dessins de Guarnido sont spectaculaires, sublimes, tous piochés dans les vignettes du premier album, mais pour le reste, la déception est grande pour le joueur qui ne fait pas avancer le schmilblick, malgré sa bonne volonté.
Dans ce jeu one-shot, donc (ou alors il faudra que l’Hudson coule sous les ponts), on se rend vite compte que l’enquête suit rigoureusement, à la lettre, l’intrigue et les rebondissements développés dans le premier tome. Les mêmes suspects, le même meurtrier, les mêmes tenants et aboutissants… et forcément de quoi gâcher le plaisir des joueurs qui connaissent déjà l’univers.. et à qui le jeu s’adresse pourtant en premier. On voulait un jeu original, on se retrouve face à un pur produit dérivé qui ne fonctionne pas. En ce 31 octobre, le chat noir nous a bel et bien porté malheur, mortel ennui. Dommage. Car cet univers et son esthétique ont un vrai potentiel.

Sorti le 20/10/2022 chez 404 Éditions, 14,95€