Séverine Lambour et Benoit Springer prouvent à quel point nos sociétés n’ont rien appris de la double peine de Claude Gueux

Homme de lettres mais aussi de combats, les deux allant de pair, Victor Hugo avait dégainé en 1829 Dernier jour d’un condamné, un roman se muant en essai, un manifeste contre la peine de mort. Si ce roman est passé à la postérité, l’écrivain romantique et engagé n’avait pas laissé son engagement là puisque, cinq ans plus tard, il réagissait au sort fait à Claude Gueux, un misérable rendu criminel par une société aimant les privilèges et les faire ressentir jusqu’à ce que mort s’en suive pour ceux qui craquent.

© Lambour/Springer

Résumé de l’éditeur : Claude Gueux, honnête ouvrier, est arrêté pour de petits larcins destinés à faire vivre les siens. Enfermé à la prison de Clairvaux, celui-ci gagne le respect des autres prisonniers et se lie particulièrement d’amitié avec l’un d’entre eux, Albin. Mais décidé à les briser, le directeur du pénitencier va les séparer… et mener au drame.

© Lambour/Springer chez Delcourt

En couple à la vie comme à la planche, Séverine Lambour et Benoit Springer, pour leur énième collaboration, toujours tous azimuts, ont donc jeté leur dévolu sur un court roman peut-être moins connu de Victor Hugo : Claude Gueux, du nom du voleur multirécidiviste condamné à mort en 1832 et dont Victor Hugo a fictionnalisé le récit en un nouveau pavé espérant faire tomber la peine de mort.

© Lambour/Springer chez Delcourt

Si la frontière perméable entre fiction et réalité, entre le vrai et l’imaginé (embelli ou enlaidi) peut laisser coi, une fois la formule acceptée on peut s’engager dans ce récit âpre et fort, regrettant qu’un terrain d’entente ne soit pas trouvé entre les juges et les jugés (la société par extension) pour faire évoluer et bonifier les laissés pour compte. Presque deux siècles plus tard, beaucoup de nos pays, à la justice désinvestie et aux prisons manquant d’ambition, ne peuvent que constater leur échec. La peine, c’est une chose, le processus de réhabilitation en est un autre, même pour les crimes les plus innommables. Quoiqu’en dise une partie du peuple (ou en tout cas des réseaux sociaux) qui appellent à la peine de mort pour chaque fait divers scandaleux ou à chaque fois que certains médias réveillent les spectres d’une affaire symptomatique (les Dutroux, les Fourniret…) sur le ton du « monstre va sortir ». C’est un constat, à fond de peine ou en libération anticipée, on parle plus souvent des forçats qui replongent que de ceux qui se réinsèrent. Avec, il est vrai, toutes les difficultés du monde. Notre ami Serge peut en témoigner.

© Lambour/Springer chez Delcourt

Ici, alors que le roman initial devait faire une nonantaine de pages, Lambour et Springer ne font pas beaucoup plus court dans leur adaptation : septante pages et finalement peu de texte, des répétitions textuelles comme situationnelles. Le tout avec des bords de planches noirs (proposant de beaux contrastes dans ce climat de neige) qui en disent long sur l’opacité du monde carcéral et de la difficulté à trouver la lumière. Pourtant, Benoit Springer, soumis à ce grand défi qui est d’agir dans un mouchoir de poche tout en tenant en haleine  et en répétant sans redondance durant septante pages, le réussit haut la main, installant une ambiance, une tension entre ces murs désespérés. La psychologie du chaos et du silence. Des rapports de force qui ne sont pas ceux qu’on dirait. La couverture de cet album est ainsi une thèse: Monsieur D(elacelle), directeur tout-puissant et dont l’inhumanité ne vacillera pas, en impose, surplombant le dénommé Gueux courbé sur son banc.

© Lambour/Springer chez Delcourt

Pourtant, tout au long des actes de ce drame carcéral, on s’aperçoit que D. est beaucoup plus petit que celui qu’il prend pour sa marionnette mais que Gueux, poussé par la colère et la détresse sociale, on lui enlève les espoirs auxquels ils se raccrochent, va petit à petit prendre l’ascendant, devenir le colosse à craindre. Mais D. (semblable à ce personnage vu chez Foerster) a trop confiance en ses petits privilèges, il est dans la retenue, ne bouge pas un cil, son calme ferait sortir de ses gonds n’importe qui. Alors que lui est sûr de son fait, de son statut de maître de ce château dont les sujets sont de plus en plus damnés. Moins par ce qu’ils ont fait que par ce qui les attend, sans cadeau ni récompense. Avec comme principe que ce qui est donné et peut donner un tout petit peu de plaisir à ces gueux, sera repris à tout moment.

© Lambour/Springer

D’un délit dérisoire, poussé par la famine des siens, Claude Gueux obtient la double peine dans un monde sourd au fait que Gueux n’est pas un animal, pas un monstre, qu’il était de condition humaine avant tout et que son sort, par les orages de la vie et les fortunes aléatoires, peut arriver à tout le monde. Et qu’il voulait s’en sortir, il mettait du coeur à l’ouvrage pour tricoter les chapeaux et gagner la croûte qu’il avait dû voler à l’extérieur des barreaux… Mais quelques serviteurs de la « justice » ont détricoté son âme, ses rêves.

© Lambour/Springer chez Delcourt

Un album glacial mais fascinant, terriblement universel et, encore plus, contemporain. Tant rien ne semble vraiment changer et on comprend que la radicalité (quelle qu’elle soit) est parfois la porte de « sortie » la plus facile.

© Lambour/Springer chez Delcourt

Un petit avant-goût de la suite, le nouveau projet de Benoit Springer :

Titre : Claude Gueux

D’après le roman de Victor Hugo

Scénario : Séverine Lambour

Dessin : Benoit Springer

Couleurs : Séverine Lambour et Benoit Springer

Genre : Drame, Histoire

Éditeur : Delcourt

Nbre de pages : 70

Prix : 15,95€

Date de sortie : le 09/06/2021

Extraits : 

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