Marqués: deux histoires de famille très différentes mais qui se réunissent dans la violence et la perte de repères
Marqués. Marqués. L’un chez Ankama, l’autre chez Delcourt. Non, ce ne sont pas deux éditions différentes du même récit. Hasard de calendrier éditorial, en l’espace de quelques jours, les deux éditeurs ont donc fait paraître deux albums portant le même titre, il est vrai incisif et… marquant. D’un côté, un drame familial et quasi-ordinaire signé par Damian et Javier. De l’autre, David Hine, Brian Haberlin et Jay Anacleto signent une histoire de super-héros mal assurés, ne sachant quoi choisir entre le bien et le mal, leurs différentes incarnations, sur fond de secrets d’état américains. Un monde de différences entre les deux récits mais des ressemblances dans le choix de couvertures frontales et la manière dont les corps et l’esprit sont marqués, labourés.
Résumé de l’éditeur : Dix ans après un terrible drame, Pablo, 17 ans, et Marta, 20 ans, tentent de se reconstruire. Le jeune homme travaille dans un supermarché et pratique les arts martiaux pour canaliser sa colère. Sa sœur est thanatopractrice et, malgré la cicatrice qui lui barre le visage, elle reste belle et fière. Mais les choix de Pablo vont les faire basculer dans l’univers sordide des combats clandestins et la sortie de prison de leur mère va réveiller la douleur des drames passés.
Après une épopée hard rock dans une campagne horrifique, Damian et Javier reviennent à la ville, dans les bas-fonds de celle-ci. Là où Pablo et Marta tentent de survivre, en se forgeant un caractère et en s’assurant de ne rien devoir à personne, de se faire tout seul. Dans ce genre de milieu, il n’est pas rare d’entendre ce genre de laissés pour compte d’une ville de famille fratricide se dire qu’ils valent mieux que leurs parents et qu’ils vont tout faire pour y arriver. Mais quand leur mère a disparu on ne sait où, au fond d’une ruelle ou dans une cellule de prison, Marta s’en est pas trop mal sortie, s’assumant, mais Pablo, et son dos lacéré, a eu du mal, alors qu’il touchait le fond, à donner l’impulsion salvatrice. Si ça ne marche pas avec les pieds, le destin sous de meilleurs auspices peut peut-être être conquis avec les poings.
Dans un univers glauque et noir, mafieux, qui laisse plus de chance de ne pas s’en sortir que l’inverse, les deux auteurs féroces, continuent de jouer au mal incarné pour chercher la lueur d’espoir. Ou l’extinction des feux finale. Pablo et Marta, en dépit d’une vie amoureuse parfois dissolue en raison de leurs choix, sont tout l’un pour l’autre. Sans sa mère, dont il refuse l’idée qu’elle puisse revenir dans sa vie un jour, Pablo est une tête brûlée, sans repère. À force de jouer avec le feu, sans doute le jeune homme est-il plus proche de sa mère qu’il le pense. Car quand les choix s’imposent, mille ans de réflexion ne vous sont pas donnés. Dans ce monde-là, il faut foncer.
Entre la fuite en avant et le passé qui a sombré mais possède peut-être les clés pour réellement avancer, Damian et Javier ont conçu un opérap urbain et furieux où tous les coups sont permis. Il n’y a de cadeaux pour personne. En découle une impossibilité de prévoir où cette course va finir. Et s’il y aura du réconfort. Désespéré mais pas hermétique au bonheur, Marqués prouve une nouvelle fois que les Espagnols ont la boxe dans le sang chaud et dessinent la violence sans prendre de gant. Au bout de la course contre la montre, le monstre, la vie, il y a un uppercut.
Résumé de l’éditeur : Après des années sans réelle menace occulte, Les Marqués – ces sorcières modernes recouvertes de tatouages qui sont autant de glyphes magiques – utilisent leurs pouvoirs de manière ludique et vivent comme des Rock Stars, jusqu’au jour où une nouvelle forme de magie hybride, terrifiante et destructrice, apparaît… Elles vont devoir assumer pleinement leur rôle de protecteurs de l’humanité.
« Sur cette image, qu’est-ce que vous voyez? » Non, vous n’êtes pas chez le psy mais dans un concours qui peut rapporter gros. Saskia se rêve artiste et voilà une occasion en or pour se distinguer et gagner sa place dans une école d’art, dont le nom ne lui est pas familier mais qui lui paraît luxueuse. Elle est loin du compte si le manoir à la porte duquel elle se présente est impressionnant – comme son portier, Lovecraft, qui est peut-être cousin avec la créature de Frankenstein, ce n’est en rien une école d’art, plutôt une maison hantée, un repère pour tatoués de la tête au pied. Des élus.
Sans le savoir, Saskia a mis le crayon sur l’engrenage de la lutte immuable entre le bien et le mal. Ici, on sait déjà tout d’elle, comme on a conscience des combats millénaires qui ont amené la Terre à être en paix, à ce que les démons ne gagnent pas. À chaque guerre entre les humains mortels, en parallèle, se livrait un combat épique entre des êtres surpuissants (une double planche somptueuse en montre la voracité). Les marqués contre Les seigneurs du chaos. L’heure est venue pour la brillante Saskia de se choisir un avatar, un phénix, et les dons qui vont de pair. Qui pourraient intéresser grandement l’armée américaine et son projet Stargate (« un des sous-projets du gouvernement fédéral des États-Unis ayant pour objet d’investiguer la réalité et les applications potentielles, tant militaires que civiles, des phénomènes psychiques, plus particulièrement « la vision à distance », une capacité à « voir » psychiquement des évènements, des lieux ou des informations à grande distance« , dixit Wikipédia). Car chaque entrée d’un nouveau talent est une faille qui peut être mise à profit pour que l’état mette la main sur ces super-héros pas toujours habiles.
Un souffle de fraîcheur dans le monde des enfants-mutants – sujet toujours aussi prisé dans le monde de la BD mais aussi du cinéma -, voilà ce que proposent les quatre auteurs avec ce premier tome (cinq chapitres) de Marqués. Si Saskia ne découvre pas l’école d’art qu’elle attendait, ce manoir recèle sur le tas des cours d’art de vie en communauté. Pour faire bon usage de ses super-pouvoirs, il faut être bien dans sa tête, bien dans son corps, bien avec les autres, la complémentarité qu’ils peuvent nous apporter… ou le malaise, la jalousie, la scission. Sans compter qu’avec de tels dons, on peut très vite avoir les yeux plus gros que le ventre et vouloir jouer les apprentis sorciers.
Après l’épique Sonata dont les allures étaient trop jeu vidéo que pour faire une bonne BD, David Hine et Brian Haberlin, secondé au dessin par Jay Anacleto et aux couleurs par Geirrod Van Dyke, qui fait beaucoup dans la manière dont les éléments sont digérés et ambiancés, trouvent un terrain de jeu nettement plus favorable. Si le spectre du méchant nazi génie du mal ressurgit, dans ce laboratoire où sont étudiés les émotions et les comportements, avant même les effets spéciaux, les auteurs trouvent de la profondeur ailleurs que dans les combats, certes dantesques. Alliant toujours une esthétique de jeu vidéo à des dessins plus expressifs et dramatiques qu’auparavant, le quatuor a trouvé une bonne dynamique pour surprendre le lecteur. Là où le climax des premières pages, l’héroïne qui devient aveugle, laissait présager un long flashforward qui tiendrait en haleine jusqu’au bout de ces cinq épisodes, non, les raisons sont expliquées dès la fin du premier. Avec des pouvoirs singuliers et une volonté d’aller très vite plus loin dans leur histoire, les auteurs réussissent à déjouer les pièges du déjà-vu, en étant rock et tribaux.