D.O.W., le super-héros et loup de Thilde Barboni et Gabor à qui Dupuis a coupé les ailes: « Un héros, même anonyme, avec des ennuis, ne peut pas rester au même endroit. »

Tatoueur le jour, graffeur humanitaire la nuit, c’est toujours une histoire de dessin symbolique qui anime les activités d’Aliocha entre jet-set niçoise, mafia et les migrants pour lesquels il prend position. Animal diurne et nocturne, loup solitaire à la nuit tombée. Super-héros sans pouvoir, si ce n’est son talent prisé, ce descendant de Russes blancs va voir l’Histoire, et tous ses dangers, se rappeler à lui. Des hommes puissants, tapis dans l’ombre, semblent bien décider à se rappeler à lui, encore plus depuis qu’une jeune médecin qui cache bien son jeu l’a approché. Le destin et la vengeance se recoupent et c’est un premier tome très prenant, rond mais cinglant que nous ont concocté Thilde Barboni et Gabor. Une série conçue sur la durée en laquelle l’éditeur de Marcinelle fondait de grands espoirs avant de faire volte-face et d’annuler la série, un mois seulement après la sortie de ce tome d’ouverture, dans des conditions sanitaires restreintes. Interview en deux actes, avant et après que la nouvelle tombe.

Tome 1 © Barboni/Gabor chez Dupuis

Bonjour Thilde, comme à chaque fois, c’est avec un projet très différent que vous nous revenez. Cette fois, D.O.W. et ses allures de super-héros en couverture.

Voyager dans des univers différents, je trouve ça amusant. Ça permet de faire cohabiter les envies tout en en laissant une s’exprimer plus. J’ai toujours voulu écrire une histoire avec un héros moderne, ancré dans le monde d’aujourd’hui pour lui apporter quelque chose d’héroïque. Sans être un super-héros.

Cet album devait arriver pendant le confinement, non ?

Oui, il devait arriver en librairie en mars. Le tome 2 est terminé, il ne lui manque plus que la couverture (ndlr. l’interview a eu lieu fin septembre) et le tome 3 est en cours de dessin. Initialement, le 2 aurait dû arriver pour la fin de l’année. Mais, estimons-nous heureux que l’album ne soit pas sorti juste avant le confinement et la fermeture des librairies, ça aurait été la catastrophe. En tout cas, j’ai la suite dans la tête, je m’amuse bien sur cette série. Le plan est d’en faire quatre tomes, au minimum. En fonction de la réception publique. Mais nous avions tellement travaillé en amont, qu’il était temps que ce premier tome sorte, pour avoir des retours de lecteurs, sentir que l’album vivait.

Recherches © Gabor

Mine de rien, avec vous, c’est un projet à la fois. vous donnez l’impression de ne pas vous éparpiller.

C’est vrai mais, à chaque fois, je me lance dans des projets denses. Même dans mes récits d’aventure, beaucoup de choses doivent être combinées. Par exemple, pour mon précédent album, Hibakusha, tout est partie d’une envie d’Olivier Cinna d’adapter en BD une nouvelle que j’avais écrite il y a longtemps. De quoi demander une réécriture complète. C’était un challenge: comment allais-je faire, je devais me donner le temps de la réflexion. Pour chaque projet, je mets énormément de temps à cogiter, j’accumule des recherches, de la documentation qui ne finiront même pas dans l’album mais me donneront le background.

D.O.W., c’est quoi ?

Une série que j’espère voir sur le long cours. Il y sera question de la chute de l’Empire Russe, des Romanov… Raspoutine interviendra.

Tome 1 © Barboni/Gabor chez Dupuis

Avec une nouvelle fois un dessinateur nouveau venu dans votre univers, fort dans son style comics, Gabor.

Le projet est né avant que n’arrive le dessinateur. Comme je le disais, j’avais envie d’un héros moderne, sans super-pouvoir, ancré dans le présent et qui se construise lui-même, solitaire. Une part de sa vie est exposée au grand jour, c’est un professionnel reconnu et demandé, tandis qu’il vit sous un masque la nuit, caché.

Tome 1 © Barboni/Gabor chez Dupuis

Au début, j’imaginais mon personnage, Aliocha, comme pouvant s’introduire dans beaucoup de milieux différentes : le tout-venant, les stars, les mafieux… D’où l’idée d’en faire un tatoueur. La profession idéale pour être en présence de quelqu’un de connu et disposant de moyens pour dénoncer les choses. Ainsi, la journée, il tatoue les peaux et, la nuit, les murs. Je n’ai pourtant pas fait le lien tout de suite. Je cherchais des idées quand, un jour, en regagnant ma place de parking dans une rue tout ce qu’il y a de plus banal, j’ai surpris un type en train de graffer. C’était évident, les murs pouvaient dénoncer les exactions. En parallèle, je découvrais le travail de Banksy.

Tome 1 © Barboni/Gabor

Vous étiez sur la bonne voie.

Les projets naissent d’envie. Je voulais faire des liens avec le passé, que notre héros ait à résoudre des problèmes familiaux, qu’il soit mis face à une vengeance. J’entretiens une fascination pour le déclin de la Russie, pour ces Russes Blancs, ces princes qui ont quitté leur pays sans rien. Beaucoup ont trouvé refuge à Nice, lieu de l’intrigue de ce premier tome. Aliocha va vouloir ainsi rendre justice à sa famille et à celles qui y ressemblent. Mais il veut faire le bien autour de lui, et ce n’est pas aussi facile qu’on croit. J’avais envie d’un justicier moderne, qui puisse exister dans la vraie vie et dont le passé soit capable de l’influencer.

Tome 1 © Barboni/Gabor

Pourquoi ce titre, D.O.W. ?

Ces trois lettres, je les avais depuis le tout début, avant d’écrire le scénario. J’ai eu d’autres idées de sigles mais elles étaient déjà utilisées. Cela anonymisait le titre tout en donnant quelque chose qui soit visuel en BD. Le lecteur ne sait pas ce que ça peut vouloir dire mais l’importance du sigle est présente. Avant d’entrer dans l’histoire, des éléments sont déjà tangibles. Puis, il y a des points entre les lettres, et les lecteurs ne s’en rendent pas toujours compte.

Tome 1 © Barboni/Gabor chez Dupuis

La couverture, du coup, comment est-elle née ?

En dernier lieu. Avec Gabor, nous avions fait d’autres essais, mis notre héros sur un trône ou utilisé des miroirs. Ce fut tout un bazar pour trouver une illustration qui convienne. Nous sommes tombés d’accord sur le fait que chaque album développe une manière différente de voler. Ainsi avons-nous habillé Aliocha d’un Jumpsuit. Dans le deuxième tome, il sera question d’un avion.

Tome 1 © Barboni/Gabor chez Dupuis
Tome 2 © Barboni/Gabor

Aliocha n’a pas de super-pouvoirs mais il peut voler, s’élancer, rallier des lieux très difficiles d’atteinte. Nous nous sommes aussi demandé s’il fallait le masquer, nous avons choisi de le laisser à découvert, dans un mélange de BD franco-belge et de comics.

La dynamique comics est bien présente et ce n’est pas la première fois.

C’est vrai, j’avais eu la chance de faire Monika en compagnie de Guillem March, un des dessinateurs de Batman. J’adorais cet univers quand j’étais adolescente, Poison Ivy par exemple. Je n’en lis plus mais je suis toujours aussi friande d’histoires fantastiques se passant dans le monde moderne. Après, je ne cherche pas à inscrire mes séries dans des catégories bien précises. Hibakusha mélangeait beaucoup de choses, beaucoup de styles, ce n’était pas facile d’imaginer des personnages dans la pierre.

© Barboni/Cinna chez Dupuis

Toujours est-il qu’Aliocha n’est pas lisse.

Non, il a une psychologie, une histoire familiale qui a traversé le XXe siècle, la Seconde Guerre Mondiale, les nazis. Ce n’est pas juste un beau type qui tatoue.

Mais comment Gabor a-t-il pris le train en marche ?

Le scénario était écrit, les 56 pages dialoguées et découpées. Beaucoup de dessinateurs s’y sont frottés lors d’essais qui ne se sont pas révélés concluants. Non pas qu’ils n’étaient pas talentueux, certains étaient balèzes mais ils ne correspondaient pas au projet. Je désespérais, trouverait-on quelqu’un pour mettre en images cette série ? Le problème, c’était la dynamique qui impliquait que le héros puisse voler dans l’air mais aussi le fait que l’action soit couplée à des aspects plus psychologiques. Il était aussi question de flashbacks historiques et du réalisme d’une ville comme Nice. Enfin, non-négligeable, l’élu devait aussi bien dessiner les mecs que les filles. Force est de constater que nous avons toujours du talent pour certaines choses, et d’autres pas.

Tome 1 © Barboni/Gabor

Puis, Gabor est arrivé, il dessinait très bien les héroïnes et les scènes d’action, nous le savions. Mais pas que. Il avait beaucoup d’atouts lui permettant de s’investir dans cette histoire. Il suffisait qu’il intègre cela à un univers urbain et c’était gagné. L’essai fut concluant.

Tome 1 © Barboni/Gabor

Restait la question des tatouages. J’étais inquiète. Je lui ai demandé si ça allait aller. Parce qu’il ne s’agissait pas de représenter un seul tatou. Lors de nos conversations entre Madrid et Bruxelles, en visio-conférence, un jour, Gabor a remonté sa manche, machinalement. J’ai alors vu qu’il était tatoué de partout. Alors, évidemment qu’il connaissait ce monde-là. C’est un fan de heavy metal.

Et vous, les tatouages ?

Ce n’est pas mon truc. Mais j’y ai été confrontée très jeune, sur le bras de mon grand-père né en 1900. Il avait été prisonnier de guerre et avait fait ce tatouage avec les moyens du bord, de la cendre, sans matériel. Ça m’impressionnait. Mon grand-père a eu une vie mouvementée, peut-être est-ce lui qui m’a sensibilisé au passé des familles. Toujours est-il qu’il est décédé quand j’avais six ans et qu’il a emporté avec lui son secret, son mystère. J’ai ainsi écrit mon roman Affaires de familles, inspiré de mon grand-père, il y a longtemps. En BD, j’aurais eu du mal à traiter le sujet, il me fallait du recul. Le roman est le meilleur moyen pour développer la psychologie.

Tome 1 © Barboni/Gabor

Le dessin sur la peau, ça me fascine. D’ailleurs, Aliocha n’est pas mon premier héros tatoué, un autre apparaissait déjà dans mon roman Escale au jardin des délices.

Bref, avec Gabor, au final, tout se combinait bien. Pour convenir à sa manière de faire, j’ai modifié certaines planches. Il a inventé des choses. Notamment pour la scène du vol en avion, dans le prochain épisode. Il a aussi imposé sa marque dès la première page: il voulait faire une vue de Nice, montrer le lieu de l’action de ce premier album. Moi, je n’avais pas voulu donner ce boulot dingue à mon dessinateur mais il l’a fait.

Tome 1 © Barboni/Gabor
Tome 1 © Barboni/Gabor chez Dupuis

De manière assez dantesque. Mais, du coup, cela vous enlevait une page pour le reste du récit.

Oui, il y avait un problème technique à résoudre. La vue de Nice, d’emblée, c’était une idée formidable mais cela mettait à mal mon découpage conçu comme un page-turner avec un suspense à la fin des pages impaires. Pour régler directement le souci, nous avons directement enchaîné sur une double-page de graffiti. Pour équilibrer tout, plus loin, vers le milieu, j’ai supprimé deux planches: une avant l’arrivé d’Aliocha chez son père, l’autre pendant la réception chez les mafieux: Aliocha et Sacha devaient se balader parmi les invités. Enlever ces scènes n’était pas problématique. Que du contraire, ce n’était pas plus mal: le lecteur pouvait se les imaginer.

Recherches © Gabor
Recherches © Gabor
Recherches © Gabor

Sacha, c’est la personnalité féminine qui prend très vite du galon dans ce premier album.

C’est un monde très masculin et je déteste les potiches. En BD, malgré tout, beaucoup d’héroïnes ne sont pas réalistes. Sacha est une médecin, une femme de notre époque – et on l’a vu, ne fût-ce qu’avec toutes les infirmières mobilisées pour lutter contre le Covid, il y a beaucoup de femmes fortes dans notre société – avec, elle aussi, un passé familial qui va jouer.

Gabor avait hâte de dessiner Sacha.

Recherches © Gabor

J’ai l’impression que les traits des personnages sont plus gros qu’à l’habitude.

Oui, nous avons voulu appuyer sur les contours noirs ou blancs, d’ailleurs. Il fallait du contraste, que le lecteur soit pris dans l’histoire. Dans l’atmosphère nocturne, aussi, qui est bien présente dans cet album. De plus, nous avons laissé des bords noirs à pas mal de planches, ça économise des cartouches puis ça amène un côté subliminal.

Comment a été créé graphiquement Aliocha votre héros ?

Souvent, avec le dessinateur, nous tâtonnons. C’est une affaire de discussion. Je montre comment je vois le héros en m’appuyant sur des photos d’acteurs. Ce sont des inspirations plus que des correspondances. Après quoi, Gabor chipote sur des croquis, nous entamons une partie de qui est-ce. Aliocha a ainsi été relooké, barbu.

Recherches © Gabor

Mais il y a bien eu un moment d’hésitation. Les propositions de Gabor étaient chouettes mais laquelle devais-je choisir ? Puis, devant une série, mon fils m’a un jour dit: « regarde, c’est ton personnage !  » Il me montrait Charlie Hunnam. Et Gabor l’a interprété au dessin, y a mis sa final touch.

Quant à ses tatouages, devait-il être tatoué de la tête au pied ? Non, résolument, ses tatouages les plus marquants ne devaient apparaître que quand il se déshabillait. Gabor a fait des essais magnifiques, des tatouages mélangés. Mais, rien à faire, les armoiries devaient apparaître clairement. Le sujet devait rester Aliocha et on le voit, en outre, souvent habillé.

Premières recherches © Gabor

Comment écrivez-vous alors ?

Parfois, je suis tellement tracassée par certaines choses , que j’ai besoin de me mettre dans ma bulle, d’écrire au finish. Quand je tiens les ficelles, ce n’est pas du 8-16, j’avance jusqu’à arriver là où je voulais.

Votre fils vous aide-t-il souvent ?

Je n’ai cette complicité qu’avec mon fils. Avec personne d’autre. Comme s’il y avait un sixième sens entre nous. J’ai appris il y a très longtemps que tout le monde a une opinion différente… mais mon fils me connait bien. Lors de mes longues sessions de travail, il grattait à ma porte, m’apportait le café.

Tome 1 © Barboni/Gabor

L’Histoire a son mot à dire dans votre récit.

Oui, le XXe siècle fut très agité, avec deux guerres, l’émergence du nazisme. Les oeuvres de toute une vie ont parfois été mises à mal. Les périodes agitées sont propices aux convoitises, aux secrets de famille.

Comme une croix gammée à l’arrière d’un tableau très célèbre.

Oui, on va dénouer ça par la suite. Dans les familles, il n’y a pas forcément que des héros. Il y a plein de choses à raconter sur le XXe siècle. C’est déjà dur de se connaître soi-même. L’Histoire, nous ne la connaissons que par les fragments de la réalité dont le savoir nous est parvenu.

Tome 1 © Barboni/Gabor chez Dupuis

Et des méchants.

Golgotha, dans ce premier tome, n’est déjà pas tendre. Mais dans le tome 2, un vraiment très méchant va apparaître. Une femme. Avec Gabor, comme je ne sais pas parler espagnol et lui pas français, nous communiquons en anglais. Si le casting était fourni en hommes, Gabor m’a dit : « I need a very bad bad bad girl. » Qui sait, peut-être Sybilla sera-t-elle en couverture du second tome.

Vous parliez, tout à l’heure de Banksy. Les histoires se recoupent. Aliocha agit contre la traite négrière, dénonce ce qui arrive aux migrants. Banksy a, lui, affrété un bateau pour aider les migrants.

C’est fou, non ? Pourtant j’ai écrit ce scénario il y a très longtemps. Banksy me fascine dans la manière qu’il a d’associer l’anonymat à cette figure de graffeur qui pourrait être fortuné. Je lance un avis, il peut me contacter, je ne dirai pas qui il est. Quel grand coup que sa petite fille au ballon qui a rendu le marché de l’art complètement fou lorsque les enchères se sont envolées et que l’oeuvre une fois adjugée s’est retrouvée déchiquetée. J’aurais inventé ça dans un scénario, on m’aurait dit que j’exagérais. Pourtant la valeur de l’oeuvre a encore augmenté en lamelles.

Tome 1 © Barboni/Gabor chez Dupuis

Une idée de qui se cache derrière ce pseudonyme ?

Aucune. On a dit que c’était le leader de Massive Attack mais je n’ai aucune idée. J’ai tellement envie que ce soit un inconnu, qu’il reste dans l’anonymat. La question est plutôt va-t-il pouvoir le rester ? Mais j’imagine que certains savent. Qui sait, peut-être était-ce ce graffeur que j’ai croisé le jour où j’allais récupérer ma voiture ? En tout cas, Banksy, c’est une belle histoire. Mais il n’est pas connu partout, Gabor m’a dit qu’il n’était pas populaire en Espagne.

Vous vous embarquez, donc, pour la première fois dans une série qui pourrait être au long cours.

Oui, j’ai toujours rêvé de ça. Mais jusqu’ici, peut-être, cela n’avait-il jamais été le moment. Mais ça fait un bout de temps que j’ai besoin d’explorer une série de pistes que seule une histoire sur plusieurs tomes peut concrétiser.

Tome 2 © Barboni/Gabor

Et, bon sang, une série d’aventure, de divertissement, ça peut être très difficile à mettre en place. Des détails peuvent ficher tout le sens en l’air. Il faut être costaud. J’aime la jouer deus ex machina, que le lecteur se dise « merde, alors », quelques pages ou quelques albums plus loin. Par exemple, Weber, le policier qui alterne cigarettes et vapotage dans ce premier tome: au-delà du gimmick, du running-gag, cette habitude sera extrêmement importante dans le troisième volume.

Recherches © Gabor

Vous allez voyager par la suite ? Quitter Nice ?

Oui, c’est prévu. Un héros, même anonyme, qui s’attire des ennuis, ne peut pas rester au même endroit. Nous irons voir du côté de l’Angleterre.

Vous aviez aussi un autre projet avec le regretté Olivier Cinna. Un dessinateur incroyable, trop tôt parti.

Oui, quelle tristesse. Olivier, c’était plus qu’un co-auteur, c’était un ami, nous nous entendions très bien. Mais il est parti à 46 ans, d’une crise cardiaque, quel drame pour sa famille, ses enfants. L’album, à côté, c’est dérisoire. Toujours est-il qu’il en a signé 37 pages extraordinaires de PermafrostIl avait poussé encore plus loin les recherches chromatiques pour représenter le Pôle Nord, l’Afrique. C’est d’un niveau exceptionnel, Olivier était au sommet de son art graphique. L’album devait paraître chez Aire Libre, mais comment lui succéder. Olivier avait une signature tellement particulière. Engager quelqu’un pour l’imiter, non, impossible de m’y résoudre. Puis, ce one-shot, ce n’est pas comme une série qui continue et peut changer de dessinateur en cours de route. Alors, pour ces 37 planches sur les 68 initialement prévues, finalement portées à 80, c’est l’impasse. C’était un album très particulier à écrire puisque nous rajoutions au fur et à mesure des séquences, des planches pleines pour laisser le pouvoir à l’artiste.

La veille de sa mort, Olivier travaillait sur cet album, il était en pleine forme. Je lui avais envoyé la séquence suivante maquettisée sous forme de planche. Et il avait voulu absolument la terminer pour le vendredi soir, me l’envoyer dans la foulée, ce qui était contraire à ses habitudes. Je lui ai dit d’attendre, de prendre son temps. Mais il était têtu. Alors, il m’a envoyé la planche. Il y avait une petite erreur, je lui ai envoyé un mail pour le lui signaler. Malheureusement, il ne m’a jamais répondu. C’était un véritable artiste, comme le montre aussi le cahier de croquis Haiku qu’il venait de finir et qui est paru à titre posthume.

Des coups de coeur récents pour occuper le confinement de nos lecteurs ?

Je crains d’avoir tellement travaillé, notamment sur mon nouveau roman, que je n’ai rien lu. Et quand est arrivé le premier confinement, je n’ai rien pu acheter, c’était horrible.

Oh, il y a quand même une BD: Karmen de Guillem March. Un chef-d’oeuvre, un album extraordinaire. Pour avoir travaillé avec lui, je savais qu’il pouvait scénariser ses propres récits.

© March/Lopez chez Dupuis

Un nouveau roman ?

Oui, « Un amour à l’ombre de la Dolce Vita ». Un récit qui se déroule dans les années 60-70, dans le milieu du cinéma. De quoi faire se rencontrer l’histoire du Cinéma et celle de paysans à Cinecitta qui échappe à leur condition difficile en devenant acteurs ou réalisateurs.

Ce roman est en voie de traduction en italien et sera publié au printemps par une éditrice romaine. Nous essayons pour l’instant de joindre Terence Hill pour obtenir une préface…

J’avais d’abord traité cette idée sous forme de roman graphique, accepté par José-Louis Bocquet pour Aire Libre. Problème, je n’ai jamais trouvé de dessinateur pour l’illustrer. Au bout d’un moment, je me suis lancée dans l’écriture du roman, ce qui m’a permis de bien développer l’intrigue. Mais le scénario du roman graphique existe.

Tome 1 © Barboni/Gabor chez Dupuis

Début novembre, alors que j’envoie un mail à Thilde et Gabor pour avoir des illustrations (histoire d’illustrer dûment cette grande interview), c’est l’incompréhension vertigineuse: Thilde m’apprend que la série est purement et simplement annulée, alors que, comme elle l’avait dit dans notre conversation, le deuxième tome était terminé et programmé et que Gabor était en voie de mettre la dernière main au troisième. Après même pas un mois de présence limitée (cause de Covid mais peut-être pas que) dans les rayons des libraires de ce début de série prometteur et participant au sang neuf dans la production Dupuis, la décision a de quoi rendre incrédule. J’ai donc voulu poser quelques questions supplémentaires à Thilde en regard de cette situation qui serait cocasse si elle n’était pas dramatique.

M’enfin, je viens d’apprendre qu’après seulement un mois de présence dans les rayons, D.O.W. était annulée, avec effet immédiat. Le tome 2, déjà prêt, ne sortira pas. Mais comment cela est-il possible ?

Il faudrait le demander au nouveau directeur éditorial de Dupuis, Stéphane Beaujean. J’ai reçu un coup de fil de lui, un vendredi après-midi m’annonçant froidement qu’il stoppait la série après un mois… Il avait promis d’attendre les résultats du volume 2 pour prendre une décision, étant donné les circonstances COVID. Il a prétexté les mauvaises ventes pour tout arrêter.

Recherches pour le tome 3 © Gabor

D’autant plus que les séries lancées et arrêtés aussitôt, dont les tomes 2 n’arrivent jamais, c’était la mode il y a 20 ans mais plus en 2020, si ? Quid du pacte que l’éditeur, plus que les auteurs qui finalement ont peu de choses à dire quand on voit comment le sort de votre série était scellé si vite, passe avec le lecteur ?

Le volume 2 est prêt à l’impression, le 3 est pratiquement fini …Pour moi qui suis très attachée à la fidélité, à la parole donnée, c’est très dur de me dire que les lecteurs, les journalistes, ceux qui ont aimé le volume 1 et qui attendent la suite, ne sauront jamais comment l’intrigue va évoluer. Un volume 1 met les éléments en place, puis cela devient très ludique de suivre les péripéties.

D’autant plus que les circonstances, le confinement n’ont pas joué en la faveur d’un début de série en librairie. Je pensais que les éditeurs auraient de la patience, feraient du replacement quand les temps éditoriaux seraient meilleurs… Ça ne me semble pas humain.

Dupuis avait promis d’attendre les résultats du volume 2. Ils ont changé d’avis sans tenir compte des circonstances …

Tome 1 © Barboni/Gabor chez Dupuis

D’ailleurs, quand les librairies étaient ouvertes, les lecteurs ont-ils eu la possibilité de trouver cet album ? Moi, j’ai eu du mal à le trouver…

L’album qui est un album grand public n’était pas distribué dans les supermarchés, ni dans les librairies type « Club » et était difficile à trouver ailleurs.

Cela n’a pas aidé. Il faut dire qu’il était programmé pour mars, puis pour janvier 2021 puis, finalement distribué en septembre 2020. Certains libraires n’étaient même pas au courant. La crise sanitaire n’a pas été très propice à la mise en place correcte d’une nouvelle série.

Tome 2 © Barboni/Gabor

C’est certain. Mais les critiques journalistiques sont bonnes, non ? Y compris à l’étranger ?

Les critiques sont dithyrambiques. Toutes se terminent par « vivement le volume 2 ». L’absurdité d’une prise de décision si rapide fait que des articles sont encore sortis après la décision.  Un article en anglais dit même que D.O.W. est ce que la BD devrait être aujourd’hui. Cela fait plaisir de lire cela mais… Je crois que la nouvelle direction de Dupuis n’a pas lu les articles et n’a peut-être même pas lu le volume 2 et le 3.

Encore plus quand on sait que Gabor a passé cinq ans de sa vie a dessiné D.O.W., c’est ça ?

Exactement ! Et la même semaine, nous recevions un mail général aux auteurs de la part de Dupuis disant que «  les auteurs allaient être soutenus, qu’ils étaient importants, etc.». Un joli blabla de communication …

Tome 2 © Barboni/Gabor

Quelles sont les possibilité de continuer l’aventure malgré tout ?

Pour l’instant, nous attendons de récupérer les droits, ce qui est un minimum.

Un éditeur qui pourrait publier le tout en intégral ?

Ce serait l’idéal

En passant par des éditeurs étrangers ? En comics ? Le potentiel est là, non ?

Oui, en comics, en effet. Mais ce n’est pas facile de trouver les bonnes pistes avec une série arrêtée en plein envol.

Tome 1 © Barboni/Gabor chez Dupuis

Cela annonce-t-il un changement de direction dans le catalogue de Dupuis ?

À eux de vous le dire

Cela remet-il en cause la publication de Permafrost ?

La femme d’Olivier Cinna a reçu, dans la foulée, un mail lui disant que le projet est également abandonné.

Comment allez-vous éditer ce projet laissé inabouti par le décès brutal d’Olivier Cinna ? Comment le prolonger ?

Tout est conçu pour que ce récit puisse faire un one-shot cohérent avec un deuxième dessinateur prenant à sa charge la deuxième partie. Étrangement, les 37 planches dessinées par Olivier s’arrêtent à la fin de la première partie. Un autre dessinateur, relatant les événements 25 ans plus tard, peut donc prendre le relais. Je pourrai vous en dire plus dans quelques temps …

Un aperçu du projet secret posté par Olivier Cinna © Barboni/Cinna

J’imagine qu’une telle expérience vous laisse amère. Comment envisagez-vous la suite de votre parcours ? Cela met un frein à la corde BD de votre arc ?

Cela m’a surtout fait un choc d’être confrontée à tant de mensonges, de cynisme et d’hypocrisie. Le monde de la BD fonctionne aujourd’hui comme toutes les entreprises … sans état d’âme. C’est triste pour une maison comme Dupuis qui n’a jamais fonctionné comme cela. Je suis très attachée malgré tout à cette maison de Marcinelle. J’aurais espéré qu’elle garde son âme plus longtemps.

Je pense aux auteurs, aux dessinateurs dont c’est l’unique métier. La période est vraiment très difficile à vivre. Heureusement, j’ai d’autres projets notamment romanesques. D’autres n’ont pas cette échappatoire. Je pense aux jeunes artistes qui se trouvent confrontés à des situations de ce genre. Il faut être solides pour supporter cela.

Tome 1 © Barboni/Gabor

Série : D.O.W.

Tome : 1 – Les ailes du loup

Scénario : Thilde Barboni

Dessin et couleurs : Gabor

Genre : Espionnage, Super-Héros, Thriller

Éditeur : Dupuis

Nbre de pages : 56

Prix : 16,50€

Date de sortie : le 11/09/2020

Extraits : 

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