Pendant plus d’un mois confiné, il a fallu trouver de l’espace pour vivre, survivre, pour ne pas sentir la pression du vide, de l’enfermement. Avec des si on mettrait Paris en bouteille, mais avec des ailes ? Et si le ciel nous accueillait pour moins vivre l’un sur l’autre, pour décupler la place sur terre comme au ciel et mieux respecter les distances sociales de sécurité. Pour étudier la proposition, place à deux albums BD qui virevoltent et explorent un ciel sans limite.

Résumé de l’album Karmen : Il arrive qu’on se suicide sur un malentendu. C’est l’heure du rapport : un « code rouge » pour Karmen. À Palma de Majorque, la jeune femme avec ses cheveux roses et ses taches de rousseur, habillée d’une combinaison noire de squelette pénètre dans l’appartement d’une coloc étudiante. Elle se rend tout droit à la salle de bain où Catalina s’est taillé les veines. Dans l’instant suspendu entre la vie et la mort, l’introspection commence pour la jeune fille et son chagrin d’amour, emportée dans une narration fantastique qui jongle en mises à distances et dimensions parallèles.

Résumé de Skyward : Et si la première loi de la physique s’envolait ? Littéralement. Vingt ans plus tôt, la loi universelle de la gravitation a cessé soudainement de s’appliquer, entraînant des millions de personnes épouvantées aux confins du ciel. Depuis, l’humanité s’est adaptée. Et qui n’a jamais rêvé de pouvoir voler, ou presque ? Pour Willa, née juste avant le G-Day, c’est la vie idéale. Du moins, c’est ce qu’elle croit. Car si un faux-pas pourrait lui faire quitter la surface de la Terre, une menace bien plus tangible s’approche d’elle à toute vitesse.

Entre le monde des comics super-héroïcs et la BD européenne, son coeur balance et l’Espagnol Guillem March n’a pas choisi, faisant régulièrement des allers-retours entre des productions DC et des histoires indépendantes. Après avoir fricoté avec Jean Dufaux et Thilde Barboni, le Majorquin revient à ses premières amours, au début des années 2000 : être un auteur complet.

Naturellement, avec le temps, le dessinateur a pris de la bouteille, de l’aisance et une appréhension des pages et de leur montage héroïque. Karmen semble être la synthèse et la quintessence de son art, porté sur de grandes pages tout en gardant la dynamique d’un roman graphique qui nous happe jusqu’à la fin.

Catalina a décidé d’en finir, son sang se mélange à l’eau de son bain (c’est peut-être pour ça la couleur rose bonbon qui baigne l’ouverture de cet album et ne prépare pas du tout à ce que nous allons vivre) mais il y a encore un peu de vie entre la vie et la mort, pour réfléchir, pour regretter ou affirmer le choix de partir. Ce moment, cet instant va durer 152 planches sensitives et sensationnelles.

Pour appréhender ce pourquoi elle a fait ce geste, Catalina se fait accompagner, guider quand elle le veut bien, par Karmen, une femme sans âge, nue comme elle. Passé l’effroi, le duo ainsi formé s’en va parcourir, une dernière fois, le vaste monde, ses richesses, ses plaisirs mais aussi ses frustrations, les convictions et les contradictions.


Entre les souvenirs d’hier et peut-être ceux du futur. Puis, il y a toutes ces vies, ces rencontres que Catalina aurait pu faire mais dont elle a hypothéqué toutes les chances. Mais dans cet espace-temps invisible aux yeux des vivants, Catalina se voit offrir la brève chance de rattraper les occasions perdues.

Invisible et impalpable, Catalina capte des bribes des existences qui entrent en collision avec elle. Des parts de ces anonymes, tour à tour, éprouvantes, bouleversantes, réconfortantes. Dans cette promenade au-dessus de la ville, dans cet instant de liberté pourtant briser, Catalina saisit le sens de cette vie qui lui échappe, peut-être contre sa volonté en fin de compte. D’autant plus que pour d’obscures raisons, Karmen a besoin d’elle. Catalina est un cas inédit.

Métaphysique, philosophique, dramatique, érotique sans l’être vraiment, cet album atterri dans nos mains est d’une beauté folle et d’une singularité édifiante. Lourd de propos et tellement léger dans le trait, Guillem March nous fait planer et faire le plein de sensations fortes mais pas gratuites. Bref, du grand Art. Bref, March ou rêve, la mort a rarement été traitée avec autant de poésie et de magie positives.

Dans Skyward, le ton aérien est donné dès la couverture. À l’envers en apesanteur, Willa semble avoir toujours volé, à l’aise et souriante dans cette promenade à ciel ouvert. Pourtant, ce sourire est né d’un drame. C’est ce que nous racontent Joe Henderson, Lee Garbett et Antonio Fabela dès les premières pages de ce premier tome.

À l’origine, il y eut G-Day, un jour comme tous les autres si ce n’est que, subitement, les voitures, les gens même les lourds camions-citernes n’ont plus subi la force d’attraction terrestre. Sans rien pour se retenir, certains ont disparu, sont morts aspirés par le ciel. Dans la maison désespérément vide d’une présence irradiante, essentielle, Willa et son papa ont du survivre à la disparition de leur mère-femme. Willa l’a si peu connue et, vingt ans plus tard, la vie est redevenue normal. Avec ses baskets qui lui permettent de faire du parkour à les hauteurs les plus folles, elle livre dans un temps record les colis les plus urgents. Plus besoin de drones dans cette société, tout le monde vole et il suffit d’une bonne paire de godasses et d’une condition athlétique pour être performant.

Cette vie-là, peut-être n’est-elle pas meilleure que celle d’avant G-Day, il y a eu des sacrifices, mais elle n’est pas pire. D’ailleurs, le pire de l’engeance humaine est toujours bien présent. À coups de balles, de jeux d’influence et de sombres desseins. Au milieu du jeu de quilles, il y a Willa qui va voir le ciel lui tomber sur la tête quand un sinistre et pourtant sémillant individu, costume-cravate, met son plan criminel qui va faire remonter les spectres du passé à la surface.

Avec Skyward, HiComics propose encore une fois un des toutes bonnes séries de l’année aux States. La preuve: elle figura parmi les séries en lice pour gagner un Eisner Award. Et les qualités de cet album d’introduction de cet univ-air foutrement intéressant sautent aux yeux. Le scénario est bien troussé, prenant à contre-pied les attentes et la peur d’assister à des clichés sur un pitch dont d’autres oeuvres ont profité ces derniers mois.

Les codes de l’air appropriés et rendus crédibles, Skyward s’impose en chef de file de celle-ci, maniant les éléments et dirigeant à la perfection le trait explosif et généreux de Lee Garbett tout en lui servant quelques idées graphiques sensationnelles.

Titre : Karmen
Récit complet
Scénario et dessin : Guillem March
Couleurs : Guillem March et Tony Lopez
Genre : Drame, Fantastique
Éditeur : Dupuis
Collection : Aire Libre
Nbre de pages : 152
Date de sortie : 07/02/2020
Extraits :
Série : Skyward
Tome : 1 – Ma vie en apesanteur (#1 – #5)
Scénario : Joe Henderson
Dessin : Lee Garbett
Couleurs : Antonio Fabela
Traduction : Anaïs Koechlin
Genre : Drame, Science-fiction, Thriller
Éditeur VF : Hi Comics
Éditeur VO : Images Comics
Nbre de pages : 136
Date de sortie : 30/10/2019
Extraits :
J’ai dévoré Karmen il y a deux jours je suis ravie de te voir aussi enthousiaste !
Marrant, karmen m’attend dans ma comma de de librairie mais skyward m’a assez decu avec un air de pschitt malgre un pitch super et quelques tres bonnes idees. J’attends la suite mais la serie est prevue courte et je crains un peu un manque d’ampleur….