Et s’il y avait réellement une vie après la fin, qu’ils vécurent réellement et eurent beaucoup… d’albums. À l’heure de faire un choix, Benoit Feroumont a été tenté de (ne pas) conclure sa série, le Royaume, et d’en ouvrir toutes les ports, de descendre tous les ponts-levis. Car il y a encore beaucoup d’histoires, d’images à raconter et de sept lieues à découvrir. Dans un tome charnière pour l’avenir de la série, un peu à part et pourtant viscéralement lié aux précédents opus, l’auteur joue a à fond la carte des contes de fées (et de sorcières) pour approfondir la psychologie de ses personnages et les changer à jamais. La fin est peut-être un nouveau début, interview lors de la Fête de la BD bruxelloise.

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Bonjour Benoît, alors comme ça « voilà, c’est fini », Le Royaume ?
Fini, comment ça ? Tout se peut encore. Il y a quatre ans, lors de la fin de la prépublication de l’avant-dernier album dans Spirou, mon éditeur, Sergio Honoré, m’a demandé : « que fait-on? Ça ne décolle pas mais, d’un autre côté, on ne veut pas arrêter ». Bon, quand ça ne veut pas, j’ai tendance à ne pas m’énerver. J’avais déjà vécu ça avec Wondertown, nous avions arrêté en plein milieu de ce que nous souhaitions faire. J’avais ressenti plein de frustrations.

Avec cette idée que cet album pourrait être le dernier, j’avais également plein de frustrations. Notamment, celle de ne pas avoir exploré tout du monde que j’avais créé. J’avais imaginé une carte qui laissait envisager un univers plus large. Alors, je me suis dit que je ferais deux albums pour clore. Et si ça ne fonctionnait toujours pas, tant pis. Si ça prend, par contre, je ne m’empêcherai pas de continuer.
Mais le temps a passé, il y a eu des accidents de la vie. Et ce nouvel album a mis plus de temps que prévu à se concrétiser.

En un one-shot, un numéro plus que double.
Oui les graphistes ont fait du bon boulot. Cela faisait très longtemps que je voulais faire du conte de fées. Il y a un travail très « Disney » sur la couverture. Du moins, inspiré de ce que faisait Disney, dans des mondes médiévaux, dans les années 50 et 60. Le fait de travailler en sachant que c’était peut-être la fin a eu ses conséquences : je ne me suis pas retenu, je n’ai pas calculé – ce que je faisais trop par le passé – et j’ai assumé à fond le côté princesse.
Puis, ça parle belge. Avec des krols, une lavette.
Bref, Le Royaume de Blanche Fleur n’est pas le dernier album du Royaume. C’est la suite du tome 5. Si cet album fonctionne il y en aura d’autres, évidemment. S’il ne marche pas, je peux laisser Anne et les oiseaux sans regret ni frustration. Et faire autre chose. Mais mon voeu le plus cher c’est que l’album soit un grand succès et que j’aie encore la possibilité de faire pleins d’albums du Royaume. J’ai encore beaucoup d’idées.

Disney, vous nous en parlez ?
Je reconnais cette influence. Même si, à la fois, je déteste Disney. Ils ont trop pillé des contes, Perrault notamment, pour n’en retenir que la bluette. Mais, artistiquement, c’est fabuleux. Cela dit, ils ont arrêté de réaliser des films en dessins, ils ont opté pour la 3D, et je les en remercie. Ça laisse aux gens de l’appétit pour les choses, dessinées, et pour la BD.
Bon, la bande annonce du deuxième La Reine des Neiges est magnifique. Quel réalisme ! J’ai aussi adoré Zootopia.

Et vous donnez de la matière à Anne en expliquant ses origines, ce mystère.
Je me suis servi d’elle pour donner à lire ses aventures. Cet album, c’est un épilogue, une fin, avec un happy end. Dans le cinquième – le sixième étant une somme de récits courts -, nous terminions sur un drame : la taverne d’Anne avait brûlé. C’était fort. Dans Le Royaume de Blanche-Fleur, nous reprenons là, Anne doit tout reconstruire. Et tout ne va pas se passer comme prévu.
Anne, c’est une féministe avant l’heure, elle décide de ce qui lui arrive. Elle a du caractère et un super-pouvoir : sa cuisine.

Avec une certaine critique, par sa concurrente directe, des gens qui sont là uniquement pour faire du chiffre.
Oui, une critique du capitalisme, de l’ambition qui guide tout. Mais jusqu’où peut-on aller ? On gagne une belle gayole et puis après ? Bien sûr, j’aime avoir un peu d’argent, encore plus quand je suis limite-limite, mais ce n’est pas une fin en soi.
Pour Anne, j’ai suivi le conseil qui veut que plus le personnage va souffrir, plus le lecteur sera heureux qu’il s’en sorte. Ça a un côté sadique: qu’est-ce qui pourrait bien encore lui arriver ?

Long format, donc, et des illustrations qui créent des sortes de chapitres.
Ce sont des grandes respirations. Je m’en sers autant visuellement que dramatiquement. Puis, j’ai pensé aux enfants qui ne savent pas lire. J’ai truffé ces dessins de petits animaux. Comme ça, ils peuvent lire ça avec les parents. Il y a des souris, des renards, et les lecteurs peuvent les suivre avec le doigt. Je n’ai pas mis de phylactères car les bulles stoppent l’imagination du lecteur.
Sur une illustration de travaux, j’ai quand même réussi à intégrer 46 personnages. Et un chien.


Vous avez aussi changé de coloriste. Christelle Coopman cède sa place à Sarah Marchand (alias Une princesse barbare).
Christelle, qui est ma femme, je lui ai demandé d’arrêter. Elle a un temps plein dans l’enseignement, ça faisait trop. Elle ne voulait pas. Et je la comprends, c’est un travail créatif. C’est dur de laisser tomber ça, d’autant plus qu’elle était attachée aux personnages. Sarah a pris le relais au pied levé. Depuis le début, elle est lumineuse. Puis, il y a un lien, c’est une ancienne élève de Christelle.

Autre remplacement, François va tomber amoureux d’une autre personne qu’Anne ! Une révolution ! Et Anne va avoir du mal à le laisser partir.
Anne n’est vraiment pas amoureuse mais c’est vrai qu’elle a du mal à le laisser partir. C’est une femme, elle aime bien avoir l’attention des hommes. Mais, François était vraiment devenu obsédé.
Et sa nouvelle muse me permettait de travailler sur le genre, de jeter le trouble. Cette nouvelle venue a un côté garçon manqué, elle est militaire. Généreuse. Ça contre-balance les personnages moins fouillés que j’ai pu faire.

Puis, il y a ce personnage qui surprend tout le monde… Taisons son nom.
On va se rendre compte que c’est peut-être lui qui tire les ficelles. Nous sommes tellement habitués aux twists constants qui peuplent tellement de films. J’ai revu Fenêtre sur cour, récemment, je ne m’en souvenais plus mais j’étais persuadé qu’il y avait un retournement de situation. Mais non, rien ne donne tort au héros. Nous sommes habitués à devoir chercher plus loin. Et si, pour une fois, je tentais un truc simple, que le gentil soit vraiment gentil.
Le Royaume devient ici, comme dans Marvel, etc., un univers étendu.
C’est vrai, avant, c’était une rue et un château. On s’en émancipe. Puis, vous avez vu la carte. Un jour, j’espère en faire le tour.
La suite ?
Le développement d’un long-métrage d’animation pour enfants qui parle d’une majorette qui devient Une sorcière. Nous en ormes au stade de l’écriture d’une nouvelle version du scénario. Mais je suis en train de dessiner tout ce qu’on appelle le character design. Les recherches graphiques.
En parallèle, je travaille sur un nouveau projet de BD érotique. Une BD érotico- comique. Une sorte de satire sociale.
Des expos ? Il y a notamment eu celle, tonitruante, à la galerie Huberty-Breyne à Paris.
Oui, un succès, il y avait une longue file. Une très chouette expérience. Avant ça, Morgan Di Salvia, quand il était encore directeur de la Maison culturelle de Quaregnon, m’avait gratifié d’une rétrospective. Puis, chaque année, lors du parcours d’artiste à St Gilles, j’ouvre ma cave sur mon travail. C’est une très belle fête, là aussi.
Merci Benoît et longue vie à ce formidable Royaume et ses milles et une histoires qui restent à raconter.

Tome : 7 / Hors-série – Le royaume de Blanche-Fleur
Scénario et dessin : Benoît Feroumont
Couleurs : Sarah Marchand
Genre : Conte, Humour
Éditeur : Dupuis
Nbre de pages: 108
Prix: 19,95€
Date de sortie: le 30/08/2019
Extraits :