Il fallait qu’Aude Mermilliod nous le dise: « Pour raconter cet IVG, je devais me mettre à nue, être dans le vrai, sans forcer le trait »

Après un premier album auquel le Prix Raymond Leblanc avait donné des ailes et un envol et dont on sentait déjà des aspirations très personnelles même dans la fiction, la talentueuse et si humaine Aude Mermilliod (se) livre un deuxième album. Il fallait que je vous le dise. Rien de prétentieux là-dedans, juste une expérience de vie, autobiographique, bouleversante et salvatrice. Parce que l’IVG, Interruption Volontaire de Grossesse, ça n’a rien de simple, c’est vite fait mais ça vous retourne longtemps. Une libération qui est aussi une souffrance. Mais, surtout, un droit auquel toutes les femmes doivent pouvoir prétendre. Dans ce roman graphique, croisant dans le réel et dans le dessin le Docteur Winckler, la jeune auteure livre un témoignage fort et sublime, qui fait pleurer mais aussi nourrir de l’espoir devant la force de la vie. Qui reprendra le dessus. Interview, parce qu’il fallait qu’on vous le fasse suivre, ce magnifique album.

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Bonjour Aude, pour votre deuxième album, Il fallait que je vous le dise, vous n’avez pas choisi un sujet facile. Ce qui marque, en premier, avant même de l’ouvrir, c’est sa couverture, dépouillée, aérienne. Comment l’avez-vous conçue ?

Ce fut compliqué, j’ai fait beaucoup d’essais. Je me suis dessinée marchant sur un tronc. Sous un arbre, sans fond, aussi . Avec mon éditeur, nous avons voulu encore plus épurer ce dessin. Il fallait que ce soit très aéré. A priori, le sujet de cet album n’est pas primesautier, il fallait le contrebalancer par quelque chose d’attrayant. Et le côté aérien, ça m’allait bien. L’air de dire: la vie continue, avec une couleur lumineuse et une typographie littéraire.

Pour un titre, comme une confidence. Il fallait que je vous dise. Ça sonne très « départ » ou en tout cas grand changement.

Et ça commence par la question : qui es-tu. Cette histoire, je l’ai commencée en ouvrant un blog dont je me servais comme journal intime, je ne l’ai jamais ouvert au public, jamais montré à qui que ce soit. Il m’a fallu trouver les mots pour le dire, là où les mots m’avaient manqué.

Cet album, il s’ouvre aussi sur les paroles d’une chanson, d’Anne Sylvestre.

J’ai été ravie qu’elle accepte. Je ne connaissais pas cette chanson, pour tout dire. Une amie me l’a fait découvrir. C’est sans doute la plus belle chanson sur le sujet.

Comment avez-vous écrit cet album ? Avez-vous pesé le pour et le contre ?

Pour le coup, ce fut extrêmement simple à écrire. Je voulais proposer une lecture unique. Je n’avais pas fini Les reflets changeants. Par chance, il n’y a pas eu de pause entre les deux albums. Et en plus, j’avais reçu le Prix Raymond Leblanc, ce qui me mettait dans une situation confortable. L’écriture de cet album fut tranquille, j’avais digéré ce qui pouvait ne pas être simple.

© Aude Mermilliod chez Casterman

Pour autant, au départ, j’étais toute seule. Martin Winckler m’a rejoint sur le projet par après. Je voulais utiliser son expérience en annexe. Mais le regard qu’il a apporté sur mon expérience, la manière dont il racontait la sienne, c’était précieux. Je l’ai donc invité à faire partie du libre. Problème : ce qui fut ma première ébauche était quasiment fini. J’ai doublé ma charge de travail.

© Aude Mermilliod chez Casterman

L’éditeur a accepté ?

C’était évident : un médecin homme, une figure féministe, c’était ce qu’il fallait pour donner de l’écho à cette histoire.

Et dès le début, c’est à lui que vous vous confiez.

Ça me permettait de donner du sens au récitatif, c’est à lui que je racontais mon histoire.

© Aude Mermilliod chez Casterman

En vous mettant complètement à nu, au propre comme au figuré.

Je devais me mettre à nu, ce n’était pas possible de forcer le trait. Je devais être dans le vrai. Il manque de témoignages autour de ce sujet. Ce que je raconte, ce n’est pas plus qu’un témoignage, mais je devais le nourrir. Là où j’avais créé mon héroïne des Reflets changeants « un peu boulotte, ni jolie ni moche », je devais ici utiliser mon corps, militant. Et si j’avais un doute, j’étais disponible, je pouvais me servir de photos.

Pourtant, Martin ne se destinait pas vraiment à l’IVG. Il n’était pas super-emballé à l’idée de le pratiquer au début.

Même avant que n’arrive ce choix déterminant dans sa vie professionnelle (et même plus), il savait qu’il allait être amené à pratiquer une médecine militante. On ne peut pas expliquer comment un jour on en arrive à pratiquer des IVG, c’est impossible. Martin a cette grande force de se remettre en question, de toujours privilégier la parole avec ses patientes.

© Aude Mermilliod chez Casterman

Autrement que le médecin à qui vous avez eu affaire. Distant, froid, pas réconfortant alors que l’opération qu’il effectue n’est pas anodine. Très méthodique et peu chaleureux. 

Moi, je pense qu’il essayait de se protéger. Parce que ça lui fait du mal de me voir mal. Ça doit être douloureux de savoir que par sa main j’ai mal. Alors il installe la distance, il ne rentre pas relation avec sa patiente. Je ne pense pas que ce soit malveillant. Maladroit peut-être. Mais comment réagirions-nous ?

© Aude Mermilliod chez Casterman

Vous vous êtes posé des questions ?

Non. Bien sûr, la scène d’agression que j’ai subie, je n’étais pas heureuse de la raconter, de la dessiner, mais elle était nécessaire. En fait, je n’ai pas eu beaucoup d’émotions à raconter mon histoire. Par contre, pour ce qu’a vécu Martin Winckler… J’ai eu les larmes aux yeux.

Moi aussi, vous avez trouvé là une force graphique incroyable. Notamment sur ce moment où vous faites passer des « fantômes » de femmes passées entre les mains bienveillantes du Dr. Winckler ou Yvonne.

Elle est décédée, malheureusement. Qu’est-ce que cette femme était émouvante. Je suis déçue qu’elle n’ait pas pu voir son personnage en BD.

© Aude Mermilliod chez Casterman

On le voit, Martin a eu ses erreurs de jeunesse. Mais Yvonne était là pour l’inviter à penser autrement. À se mettre à la place des patientes.

C’est sûr, les généralistes reçoivent et ont beaucoup plus de femmes que d’hommes parmi leurs patients. Physiologiquement, elles vivent beaucoup plus de choses. Les hommes connaissent la puberté, les femmes doivent faire face aux règles, la grossesse, la ménopause, etc.

Plus loin, c’est une diversité de femmes qui apparaissent dans vos pages.

La BD est encore malheureusement très stéréotypée. Certains auteurs masculins dessinent ainsi toujours le même type de femmes. Dans certains récits, toutes les filles sont mignonnes et finissent par toutes se ressembler. Pour moi, il fallait qu’il y en ait de tous les types, avec des failles et des forces.

© Aude Mermilliod
© Aude Mermilliod chez Casterman

A priori, c’est difficile de mettre des mots sur ce choix qui a changé votre vie.

On parle de grossesse désirée ou non. Pourquoi avorter ne serait-il pas un choix de maman ? Au contraire, on se sent comme si on n’avait pas eu sa carte au club des mamans.

Je suis allée au Japon. Là-bas, se pratiquent des rituels pour les enfants qui n’ont pas pu naître. Peu importe la raison : avortement, fausse couche, mort-né. Pourquoi faudrait-il cloisonner les choses ?

Quel a été votre déclic pour en parler ?

La venue à la maison de la soeur de mon conjoint. Elle était enceinte. La voir, ça m’a ému, ça m’a ramené à mon expérience de la grossesse. Raconter ce que j’avais vécu coulait de source. J’ai mis une journée à écrire ma vie, ce que je voulais dire dans cet album.

Dans le cadre d’une IVG, les choses n’ont pas tellement changé dans la pratique.

Non, c’est vrai. Parce que ça marche et qu’il n’y a pas de raison d’en changer le modus operandi. Aujourd’hui, il n’y a plus besoin  d’anesthésie. Et le moyen le plus simple reste la pilule avortive, le moyen le moins invasif.

Naturellement, il y en a toujours pour dire que l’IVG est un choix confortable. Que certaines ne se protègent pas, tombent enceintes en sachant qu’elles peuvent se faire avorter. Ceux-là, il faut les inviter à venir voir. Qui sont-ils pour croire avoir la main-mise sur le corps des femmes.

© Aude Mermilliod chez Casterman

Comme ceux qui manifestent en rue en réclamant l’abolition de l’avortement au nom « de la vie » et du droit à celle-ci… C’est dingue.

Des jeunes, principalement catholiques, qui ont l’air de se chercher un combat. Ils ne sont pas cohérents. Comme si un embryon de moins de douze semaines pouvait avoir une conscience, le besoin de vivre.

La suite, c’est quoi ?

Un projet encore secret mais sur une thématique semblable.

© Aude Mermilliod chez Casterman

La force de la BD par rapport à ce genre de sujet touchy ?

Qu’elle est accessible et qu’elle peut tout reproduire à moindres frais. La force du dessin est d’être à cheval sur la littérature. Puis, on peut dessiner les silences, c’est important. C’est un très bon médium.

Titre : Il fallait que je vous le dise

Récit complet

Scénario, dessin et couleurs : Aude Mermilliod

Genre : Autobiographie, Drame, Société

Éditeur : Casterman

Nbre de pages : 168

Prix : 22€

Date de sortie : le 08/05/2019

Extraits : 

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