Non, la puissance des femmes ne s’est pas consumée sur le bûcher et les sorcières ne sont pas celles qu’on croit

Après « Beauté Fatale » et « Chez Soi », Mona Chollet, journaliste au Monde Diplomatique, nous est revenue à l’automne avec un nouvel essai au titre alléchant : « Sorcières, la puissance invaincue des femmes ». Tout au long de cet ouvrage passionnant, l’auteur revient sur les terribles chasses aux sorcières des XVIe et XVIIe siècles ayant, d’une certaine manière, façonné la société misogyne dans laquelle nous évoluons. Un essai « empouvoirant » qui, sans injonction aucune, invite les sorcières que nous sommes à renaître de leurs cendres.

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« Inutile d’adhérer à W.I.T.C.H. Si vous êtes une femme et que vous osez regarder à l’intérieur de vous-même alors vous êtes une sorcière. »

Manifeste de W.I.T.C.H. (Women International Terrorist Conspiracy from Hell), New York, 1968

C’est sur ces quelques mots du manifeste des W.I.T.C.H. que s’ouvre l’essai. Inutile de paraphraser plus loin, le décor est planté ! Sorcière… En voilà un bien infâme qualificatif pour une femme. Célibataire endurcie, fille à chats, quinquagénaire à la crinière grisonnante, femme sans enfant, ce sont là les figures modernes des sorcières d’antan. Bien loin des contes des frères Grimm et des sorcières de Disney, Mona Chollet s’élève comme la porte-parole des sorcières d’aujourd’hui et redore le blason de ces femmes un peu trop indépendantes qui, au fil des siècles, ont toujours dérangé: tantôt brûlées sur le bûcher, tantôt ostracisées.

Au fil de son essai, Mona Chollet détricote le mythe de la sorcière pour en dévoiler trois archétypes qui font frémir : l’inacceptable femme sans enfant, la redoutable femme indépendante et la repoussante femme âgée.

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Blanche-Neige et les sept nains, de David Hand (1938)

Ce n’est un secret pour personne, dès les prémices des chasses aux sorcières, les femmes ont dérouillé : humiliations publiques, traques et même tortures menaçaient les femmes de la société d’alors, qu’elles soient jeunes, très jeunes parfois, ou âgées, puissantes ou pauvres, incultes ou érudites. Une accusation de sorcellerie pendait au nez de chaque femme et cela a eu pour conséquence de conditionner l’attitude des femmes et des hommes envers elle. Car au fil de la lecture, on s’aperçoit que cette terrible chasse aux sorcières, n’était en fait qu’un prétexte à une sanglante guerre contre les femmes. « Les femmes sont évincées de la place qu’elles occupaient dans le monde du travail. On les expulse des corporations ; l’apprentissage des métiers se formalise et on leur en interdit l’accès. La femme seule, en particulier, subit une pression économique insoutenable ». 

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Harry Potter et la Chambre des Secrets, de Chris Columbus (2002)

2f24bb16fa7105e8b2b7a63501d837f8[1]Au Moyen-Âge, les femmes isolées, veuves et les guérisseuses étaient envoyées au bûcher, non pas parce qu’elles conspiraient ou mangeaient des bambins pour le petit-déjeuner, mais bien parce qu’elles n’étaient pas sous la tutelle d’un homme. De ce fait, elles devenaient donc un danger, les procès de sorcellerie, eux, s’avéraient être la solution pour terrifier les femmes et les garder à leur place. « Les chasses aux sorcières ont permis de préparer la division sexuée du travail requise par le capitalisme, en réservant le travail rémunéré aux hommes et en assignant les femmes à la mise au monde et à l’éducation de la future main d’oeuvre. »

Une femme sous le joug d’un homme était l’assurance qu’elle se cantonnerait au foyer. Bon nombre d’hommes craignaient une révolte des femmes seules, ils ont donc entamé une chasse aux sorcières pour empêcher cela, prédestinant ainsi les générations de futures femmes à rester à leur place. C’est finalement sans raison que des femmes ont été tuées pendant des siècles. Dans Sorcières, la puissance invaincue des femmes, Mona Chollet démontre que cette fameuse accusation de sorcellerie n’était autre qu’un simple outil de domination machiste.

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Et justement, cette chasse aux sorcières coïncide étrangement avec l’intensification de l’exploitation de la nature au moment de la Renaissance. L’Ancien Monde façonné par la nourricière Terre-Mère a été remplacé par une vision « mécaniste » de la nature. Cité dans les lignes de Mona Chollet, Susan Bordoro parle d’une « fuite loin du féminin, loin de la mémoire de l’union avec le monde maternel, et un rejet de toutes les valeurs qui y sont associées”.

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Hocus Pocus : les trois sorcières, de Kenny Ortega (1994)

sota5En s’appuyant à la fois sur des faits historiques et sur la littérature féministe, entre autres, de Gloria Steinem, Carolyn Merchant ou même Sophie Fontanel, Mona Chollet dresse un tableau édifiant de liens entre féminisme et sorcellerie. Car eDepuis la fin des années 60 et l’émergence de mouvements féministes tels la Women International Terrorist Conspiracy from Hell, écourté W.I.T.C.H., les sorcières se réveillent et c’est tant mieux ! Elles s’exposent sur Instagram, descendent dans la rue quand il le faut et s’unissent pour jeter des mauvais sorts à Donald Trump.

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©WitchPDX (WITCHPDX.COM)

Nous sommes les petites-filles des sorcières que vous n’avez pas pu brûler, disait un slogan dans une manifestation du siècle dernier. Ces quelques mots sont encore plus d’actualité aujourd’hui. Les voix de femmes s’élèvent pour « renverser un ordre symbolique et un mode de connaissance qui se sont construits explicitement contre elles ». 

« Le monde doit à nouveau être mis sens dessus dessous », nous dit Carolyn Merchant, écoféministe citée par Mona Chollet. C’est ce qui est en train de se passer avec la libération de la parole, le système qui a façonné la figure de la femme depuis des siècles s’étiole ; il est temps de créer, d’innover, de renaître de ses cendres. Car non, la puissance des femmes ne s’est pas consumée sur le bûcher, tout comme celle des hommes ne se limite pas à une prétendue supériorité. Si la société attend des femmes de rester à leur place sans déborder du moule de la perfection, Mona Chollet et ses nombreuses références féministes nous invitent, sans aucune injonction, à nous reconnecter à notre sorcière intérieure pour libérer notre plein potentiel. Cela sonne finalement très développement personnel ! Pour ça, nul besoin de devenir extrémiste, d’aller à contre-courant de la société moderne ou de se convertir à la Wicca. Mona Chollet laisse libre cours à l’imagination de chacune, puisqu’être une sorcière c’est s’écouter et faire ce qui nous semble juste, qu’importe l’autorité. « Remettre le monde sens dessus dessous : pas une mince affaire. Mais il peut y avoir une immense volupté (…) à laisser notre pensée et notre imagination suivre les chemins sur lesquels nous entraîne le chuchotement des sorcières. »

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C’est un bien beau cadeau au féminisme que nous offre Mona Chollet avec Sorcières, toujours dans la justesse et sans jamais tomber dans un extrémisme qui se trompe souvent de chemin et de combat. En entremêlant sociologie, histoire moderne et plus ancienne, et expériences plus personnelles, l’auteure nous livre un travail fouillé de par ses références et riche de son intelligence. Mieux encore, plus que n’importe quel livre de développement personnel, Sorcières décomplexe la femme de toutes les injonctions qu’on n’a pu lui imposer. Les quelques pages sur le non-désir d’enfant et sur le célibat interpellent autant qu’elles dédramatisent : non, ce n’est pas une obligation d’être mère, ce n’est pas une obligation non plus de vivre à deux ! Une femme peut s’épanouir en dehors des sentiers battus par ces commandements immémoriaux, tout en restant Femme. Vive les femmes, et longue vie aux sorcières !

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De Mona Chollet

Paru le 13 septembre 2018

Éditions Zones/La Découverte

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